samedi 24 avril 2021

Printemps des années quatre-vingt-dix / Autour de Pâques, avril 1998.

 Cette année là, Pâques et son lundi se fêtaient les 12 et 13 avril. Le renouveau : quelle jolie et heureuse période malgré les années qui passent, les pages qui se tournent... L'incertitude de ce que sera demain n'inquiétait pas en 1998... 

Correspondance 1998.

Au village : 

"... Pour les départs de ce bas monde, l'autre jour avaient lieu trois enterrements, la mère de Mme Figeac qui habite sur la Terrasse, la doyenne de la commune, Denise Bolumar, qui avait quatre-vingt-dix-sept-ans (maintenant c'est Madame Chamayrac qui prend le relais, et un inconnu de Saint-Pierre. Par la même occasion, j'ai appris la fin de Salvador Pérucho à Fabrezan (mari de Cécile Huillet) et celle de sa sœur Louise, mère de Louis Sala.../... Samedi 4 avril a lieu le "Repas de l'âge d'Or" dans le local municipal, Bd Général de Gaulle. Les mauvaises langues disent que s'il arrive malheur à quelqu'un, le cimetière est juste en face..."

"... Aujourd'hui le temps est gris et n'invite pas aux sorties. Les forsythias ont toujours leurs belles fleurs jaunes, et ce sont à présent les arbres de Judée qui commencent à nous offrir leur belle couleur grenat tandis que le marronnier du jardin public se pare de belles feuilles de même que nos divers figuiers..."

"... les fils électriques aériens connaissent leurs derniers instants, et les hirondelles devront se contenter des antennes de télévision ou des rebords des toits. notre rue a vu disparaître les fils (électricité et téléphone) qui passaient devant nos fenêtres. les néons sont hors service et, en compensation, deux jolis réverbères à lumière jaune, installés sur les murs d'en face, dispensent un éclairage plus puissant dès la nuit venue. plus tard, les poteaux en ciment eux-mêmes seront enlevés. Le tri des déchets est également à l'honneur. de nombreux "points bleus" ont éclos sur le territoire : chacun comporte trois conteneurs, un pour le plastique, pour le papier et pour le verre, le tout chapeauté par le SIVOM (Syndicat intercommunal)..." 

A la mer : 

"... la clémence de la température aurait permis de manger en plein air mais nous nous méfions en cette saison du vent d'Espagne qui était vraiment très froid sur la plage. Il y a assez de monde à Saint-Pierre et les commerces sont ouverts. le camping doit être ouvert : dimanche nous avons vu Alban Sire et sa femme qui avaient l'air de déménager de menus objets ; ils devaient rejoindre leurs quartiers d'été. Pourtant, mardi dernier, certains tènements ont souffert de la gelée. Contre toute attente, on dit que les vignes de "Marigolles" n'ont pas été touchées. Dans le Minervois, ça a été bien pire, et une bonne partie de la récolte a été perdue, si bien qu'on a parlé de calamité agricole et que le journal télévisé en a fait mention..." 

Au village encore, grands travaux du "pluvial" avec circulation alternée, déviations... les grosses dents d'une scie géante taillent une tranchée dans le revêtement : ils posent des conduites 

"... "des buses de six cents" m'a dit un ouvrier. Hier les services de l'EDF ont enlevé, à l'aide d'un puissant camion-grue, le grand poteau de ciment à la limite de la maison, poteau auquel tu avais grimpé aussi facilement que le fait Youssouf au cocotier." 

Derrière mon père, les poteaux en ciment et au fond le néon et les lignes aériennes des années 60 (diapositive François Dedieu mai 1991) .

dimanche 18 avril 2021

"VIENS AVEC MOI PETIT..." Pierre Bilbe / Explication de texte

Ruines de Tuffarel en plein massif de la Clape.

 " Un livre est ouvert devant moi. Et soudain, sans qu'on m'ait prévenu, je vois et j'entends que ses lignes sont vivantes, que, deux à deux, elles se répondent par la rime, comme des oiseaux ou des vendangeurs, et que ce qu'elles racontent nous enchante à la manière des êtres ou des choses qui n'ont pas besoin qu'on les traduise " (Francis Jammes, De l'âge divin à l'âge ingrat). 

"... qui n'ont pas besoin qu'on les traduise" nous dit le poète qui fit tant aimer les ânes aux garçons au caractère rude pourtant, à la communale de nos campagnes. Enfin... loués soient nos instituteurs qui, en parallèle au monde clos et cadré du calcul, du français, au prétexte de nous faire encore réciter, sans s'ouvrir du côté libertaire de leur démarche, la décence voulant alors que l'on tût toute sensibilité, ouvraient en nous, avec la poésie derrière la récitation, des fenêtres d'évasions et de rêves infinis... Restons-en là de ce préalable. Quoi qu'il en soit, en Béarn, Francis Jammes a beaucoup aimé les bœufs, les abeilles... les femmes, les ânes et plus généralement la vie qui s'écoule dans un village au pied des Pyrénées. Ce doit être pour ce dernier point que je l'évoque avec Pierre Bilbe, notre poète de la garrigue et du village, bien à nous, encore d'un terroir trop rustique pour une parisianité égocentrique prétentieuse, fate et pédante...

Explication de texte. 

1. Que nous apprend le poème sur la personnalité de l'auteur ? 

2. D'après vous qui est ce "petit" ? 

3. Est-ce que la première strophe permet de situer géographiquement le poème ? Quels sont, par la suite, les mots qui ne laissent aucun doute sur la géographie du lieu ? 

Réponses : 

1. Il apprécie son coin de terre. Y est-il né ? L'a-t-il adopté ? Il tient à en faire le tour, de l'horizon au sol qu'il foule en passant par un ciel de saison "des approches de mars". Il est respectueux des générations qui se sont succédé : la Nature en témoigne encore (jachères, arbres abandonnés). Et ce  processus de transformation, il le constate non sans crainte, celle-ci n'en serait-elle pas explicitement formulée. Sa pensée se prolonge non seulement sur la place de l'Homme sur la Terre mais encore au sein de l'Univers. Pour conclure il affirme que nous devons honorer la nature tant pour sa beauté que sa fonction nourricière. 

2. "Viens avec moi petit..." L'image est trop symbolique pour qu'on s'en tienne à sa banalité apparente. "Le vieil homme et l'enfant"... Michel Simon... ou encore << Je t’aime bien, mon vieux parrain, mais je t’aimerais davantage, plus que tous les autres, si tu ne fumais pas la pipe.>> ("Poil de Carotte" Jules Romains).

Le petit-fils qui émigre définitivement ; adieux sur le port de Beyrouth laissant son grand-père au Liban : << Je te quitte , dit l'enfant retenant ses larmes. 
-- Tu m'emportes, dit le vieux.>> ("L'enfant multiple" Andrée Chedid).

Aujourd'hui encore, sur l'estran d'une plage, je vois partir d'un pas bonhomme un adulte tenant un enfant par la main (Arte / promo actuelle du film"L'été de Kikujiro"). 
 
Émotion universelle ô combien ravivée par les gestes barrières actuels... ne plus serrer une main... Ne plus prendre un enfant par la main ? Est-ce possible ? 
 
Bien sûr que l'auteur aurait aimé partager sur ce thème instinctif, lui qui peut-être ne put se nourrir de telles références... Guitou de ces copains d'enfance au lien indéfectible défiant le temps ne me dit-il pas qu'après seulement 22 mois d'école communale, son expression poétique (Guy le compare même à Lamartine) reste d'autant plus remarquable qu'elle est l’œuvre d'un autodidacte ? 
Aussi est-ce naturellement que nous évoquons cet instinct si subliminalement humaniste. 

Ce petit doit aussi être le garçon qu'il fut, soucieux de voir ce qui lui fut donné de découvrir, de comprendre, de s'élever puis de s'inscrire dans une lignée de passeurs de mémoire, d'éveilleurs de consciences. 

3. Jouons au candide. La première strophe parle des Pins de la Mairie mais seuls ceux qui les fréquentent notamment pour les champignons savent de quelle mairie il s'agit. L'indication "Lespignan", avec l'aide d'un dictionnaire encyclopédique sinon de l'Internet, est plus parlante. Et même si le nom propre "Pérignan" (1) pose problème, nous sommes, sans doute possible, en Languedoc. Adossé à la Méditerranée, le regard s'ouvre au Nord-Ouest sur le rebord du Massif Central assimilé parfois à l'extrémité extrême des Cévennes, au Sud sur la ligne de crête qui depuis la masse pyramidale du Canigou voit le bout des doigts des Pyrénées caresser la Méditerranée.
 
Par la suite, la garrigue, la vigne, le pin parasol confirment que nous sommes bien au bord du Golfe du Lion, en Languedoc.  

Pourquoi l'idée peut-être pas heureuse de prolonger "Viens avec moi, petit..." avec une explication de textes ? C'est que j'ai imaginé, dans mes manuels scolaires, simples livres de lecture ou livres uniques de français sinon du français par les textes, parmi les auteurs cultes de la langue française, trouver cette veine régionale toujours insidieusement mâchurée par un pouvoir central n'osant néanmoins aller plus loin, la honte atteignant déjà des sommets pour le pays dit des droits de l'Homme et des libertés. 
 
Sauf que vers 1960, je ne pouvais d'autant plus réaliser que, personne ne s'intéressant à moi, on ne m'a jamais proposé "Viens avec moi, petit...".    

(1) ancien nom de Fleury-d'Aude où les gens se disent plus volontiers "Pérignanais" que "Fleurystes".