mercredi 13 mars 2019

TOMI UNGERER ALSACIEN, PAS FRANÇAIS !



Ou « LA SINCÉRITÉ DU MOMENT »

https://www.ina.fr/video/CPB81050501 (vidéo de 1981). 



« … Quand je pense à la France, je pense à une basse-cour avec un fumier au milieu et avec des coqs qui se prennent le relais à faire des cocoricos et beaucoup de vent avec leurs ailes. Pour moi c’est une nation de gallinacés à laquelle je ne dois rien, strictement rien.
- Et aujourd’hui le Louvre t’a cueilli, prolonge la journaliste… Et là il est gêné Tomi, il en sourit, il en rit pour la masquer sa gêne… 
- Parce que je me suis fait accueillir… c’est parce que j’ai décidé un jour que ce soit fait de cette façon. Ce n’est pas exactement une réconciliation avec la France mais il faut quand même bien dire que ça fait pratiquement 18 ans que j’ai refusé  de travailler en France, d’avoir quoi que ce soit à faire avec la France, ceci sans doute par complexe d’infériorité alsacien, expérience alsacienne, un accent  alsacien alors que j’étais tellement mieux accueilli ailleurs […]

Quand on me demande à l’étranger qu’est ce que je suis, je dis que je suis Alsacien, je ne dis pas que je sois Français ou Allemand quoi que ce soit, je dis que je suis Alsacien […]

Résultat de la guerre de l’expérience nazie, de l’éducation sous les nazis, de la désillusion de la libération, tout ça sont des sources de la colère, le côté satirique de mes dessins est basé… sur une colère que j’exploite à fond… Pour être honnête on est avant tout en colère vis à vis de soi-même […]

La colère  est basée sur les choses qu’on reproche aux autres mais ces défauts on les retrouve en soi-même. Dans le fond toutes mes satires sont des portraits de moi-même […]

La France ce n’est pas une colère, c’était plutôt une désillusion [...] En Laponie, avec son rücksack :
« A Hammerfest, à l’auberge de jeunesse il y avait deux Français. C’est formidable ça fait des semaines que je veux parler français. Alors il y en a un qui m’a regardé avec l’œil glacé, qui ne m’a rien dit ; l’autre avec un œil un peu moins glacé « On ne t’a pas demandé ton histoire ». ça a toujours été un petit peu symbolique de ma position vis-à-vis de la France parce que la France ne m’a jamais demandé « son » histoire […]

Pour moi la France c’est le pays de la ligne Maginot et du centre Pompidou […]

J’étais intégré à la deuxième guerre Mondiale, nous sommes devenus Allemands en 1939 (1940  non ? NDLR) et nous sommes redevenus Français en 45 […]

En Alsace nous sommes essentiellement des spectateurs… /… et pour moi je peux vraiment dire que j’étais un spectateur dans la deuxième Guerre Mondiale, je peux pas dire que j’ai eu la chance d’être dans la poche de Colmar (1) comme gamin oui mais enfin c’est une expérience qui m’a beaucoup servi dans mon relativisme des choses, dans l’interprétation relative des choses, d’être à la fois bilingue, d’être passé par le nettoyage de cerveau, la propagande nazie à l’école […]

Après la guerre ça ne valait guère mieux. Bon on s’attendait à une libération… On appelle ça libération avant que ça arrive, une fois que c’est arrivé c’est plus de la libération parce qu’alors là pour un mot d’alsacien c’était une heure de retenue à l’école, y avait la même chose en Bretagne et ailleurs… » 

(  (1) Mulhouse et Strasbourg ont été libérées fin novembre 1944, Colmar seulement le 2 février 1945.   

François Mathey (1917-1993), conservateur et d'une ouverture d'esprit qui a dû lui valoir de la malveillance et des inimitiés de la part des courtisans (sa biographie le confirme) : « Ungerer, personne ne le connait, enfin, les Français. Les Français n’ont jamais reconnu les leurs. Ou ils les reconnaissent toujours trop tard. Mais Ungerer,  né à Strasbourg a fait toute sa carrière aux États-Unis, en grande partie en tous cas et les États-Unis, ça c’est le miracle américain permanent, l’ont reconnu tout de suite. Ungerer n’est pas tombé dans le piège et n’a jamais reconnu qu’il était devenu pour autant américain. Il est resté foncièrement ce qu’il était, un étudiant du XVIème, en hauts-de-chausses avec une plume au chapeau faisant des farces à chaque instant,, un personnage très médiéval. Mais c’est peut-être aussi dans la mesure où il a fait un pied de nez, involontaire mais un pied de nez tout de même à la France  pendant quelques années que c’est une raison pour laquelle les Français ne l’ont pas encore reconnu mais je suis sûr qu’après cette exposition il va devenir un personnage terriblement parisien et c’est de cela que je voudrais le préserver. Il pourrait devenir Parisien comme il était très New-yorkais parce qu’il sait se faire aimer de tous les gens qu’il fréquente. »

Tomi_Ungerer_par_Claude_Truong-Ngoc_mars_2014 Wikipedia


« LA SINCÉRITÉ DU MOMENT »
Ungerer, si fin par ailleurs, n’a que des clichés anti français trop subjectifs et faciles : le coq trop fier de brailler les deux pieds dans la merde et ces deux globe-trotters si spéciaux croisés au fin fond de la Norvège. Sinon, il est vrai que le rouleau compresseur jacobo-parisien ne sait qu’écraser et phagocyter dans un cynisme sans état d’âme, c’est ainsi que les langues régionales continuent d’être traitées en contradiction d’ailleurs, avec les lois européennes par ailleurs si approuvées.
La France, elle, n’a pas une once d’honnêteté et de sincérité quand il s’agit de récupérer tout ce qui peut entretenir sa prétendue « grandeur », de siphonner ce que la province fait de mieux pour lui donner l’estampille francilienne de Paris… d’où l’image d’arrogance qui lui reste collée !
Et bien des provinciaux se font retourner, complètement attirés qu’ils sont par les ors de la République et appâtés… « C’est avec des hochets qu’on mène les hommes » aurait dit Napoléon…
Ainsi notre ami Tomi s’est laissé épinglé le bimbelot de commandeur des arts et lettres en 1984, puis le hochet de la légion d’honneur en 1990, suivi par des breloques toujours plus clinquantes : officier de la légion en 2001, chevalier des palmipèdes en 2004, commandeur méritant en 2013 et de la légion en 2017… un plastron de médailles à la soviétique ! Ils l’ont bien retourné le Tomi !    

mardi 12 mars 2019

MESTA des SUBMESETAS de la MESETA / Paysans en Espagne

ESPAGNE : la paysannerie soumise au sacro-saint droit de propriété. 

La défense inconditionnelle de la propriété privée est une des prérogatives essentielles du droit déjà au Haut Moyen Âge, avec les Wisigoths. Rien ne change sous la domination arabe quand les nobles wisigoths se convertissent afin de garder leurs terres sans plus payer de taxes.
La soumission des paysans au sacro-saint droit de propriété va se doubler, à partir de 1273 de la pression imposée par la MESTA, une gilde des gros propriétaires de troupeaux de Castille. Une oppression qui ne cessera officiellement qu'en 1836. 

LA MESTA.
A une lettre près, on pense au mot "meseta" (1) désignant le plateau avec l'idée de table, "mensa" en latin devenu "mesa" en castillan... par amuïssement du "n" devant le "s" m'aurait dit papa, or, la "mesta" est à l'origine un mot arabe désignant la période hivernale par opposition à la "mesaïfa", la saison d'été. En résumé de l'appellation complète "Honrado Concejo de la Mesta de Pastores", le nom MESTA désigne la corporation associant tous les gros propriétaires pour gérer les transhumances des grands troupeaux du Nord vers l'Estrémadure à l'origine. Une association regroupant la haute noblesse possédante et des ordres ecclésiastiques (d'Alcantara, de Santiago, de Calatrava). 

* Ces puissants imposent aux paysans d'abandonner et de laisser en friches de grandes surfaces cultivables au profit de leurs troupeaux. 

* Les moutons sont menés par les bergers qui s'opposent aux paysans directement sur le terrain en piétinant et ravageant les cultures, ce qui donne lieu à de nombreux conflits se réglant toujours en faveur des éleveurs. 

* La Mesta dispose d'un tribunal spécial où doivent se juger toutes les contestations, un tribunal juge et partie. La Mesta a ses alcades, ses entregadores, ses achagueros (fermeires desamendes qui harcèlent et accablent les fermiers.

* En 1477, ce sont trois millions de bêtes, menées par 40.000 à 60.000 bergers !  

* En 1501, un décret accorde la tenure perpétuelle (jouissance) de tout champ occupé périodiquement par les moutons. Le cheptel atteint alors les sept millions de têtes.  

* Les troupeaux ne peuvent passer dans les terres des villes, des nobles, du clergé. 

* Les trois « cañadas reales » (Leonesa, Segoviana et de la Mancha) marquent les plus longs trajets de transhumance (jusqu'à 800 km) pour revenir, avant l'hiver, vers l'Estrémadure ou l'Andalousie.  

* Une riche vie économique est liée à ces cañadas reales : des ateliers pour travailler la laine, des foires (Medina del Campo, Burgos, Ciudad Real, Albacete). où se vendent des tissus de luxe et où les échanges se finalisent entre l'Espagne, la France et les Pays-Bas.   

*  En 1738, afin de limiter l’infertilité des sols accaparés par la Mesta, Philippe V tente de lui interdire les terrains communaux. En 1748 il doit y renoncer mais compense en taxant davantage la laine. 

* En 1786, la MESTA perd son droit de jouissance perpétuelle. Les pâtures peuvent être encloses et cultivées.

* 1836, la MESTA est supprimée.

*  Aujourd'hui on compte cinq millions de moutons concernant cette transhumance, un nombre qui correspond à la moitié de tout le bétail en Espagne. 

(1) La Meseta, plateau central de Castille se divise en deux submesetas dont celle du Nord (Castilla-Leon) d'une altitude moyenne supérieure à celle du Sud (Castilla-La Mancha). 

Extremadura. Spain; Pixabay.