dimanche 18 juin 2017

LES OREILLONS MOELLEUX, SENTEURS MOITES DES BEAUX JOURS... / Pézenas, école de garçons

Septembre, les vendanges, la rentrée, les sucs collants, musqués des grappes, sucres de la belle saison avant le changement de régime. Ainsi va le calendrier de l’écolier. Années 60... les coings et les châtaignes de l’automne. L’hiver : l’Espagne des grenades et des oranges. Jardins et vergers du printemps avec les fraises, les cerises.  Juin, parfum des abricots aux pommettes rougies par les premiers coups de soleil. 
  

Fin du cycle : « les cahiers au feu et les maîtres au milieu ». Dans le cartable, avant tout, un plein sac de noyaux. C’est le temps des récrés qui se prolongent. Les maîtres, en blouses grises, passent et repassent, indulgents, permissifs même si le préau et le mur d’enceinte de la cour ont des airs de kermesse. Réminiscence des foires historiques de Pézenas (1), les forains tiennent boutique, les chalands déambulent. Qui expose un petit soldat, un coureur du Tour de France ou l’hippopotame en plastique gris du fond de paquet de poudre de lessive Omo.
A trois mètres environ, une ligne à la craie. Sans mordre sur le tracé, l’intéressé vise et lance un cœur d’abricot sur le petit sujet. S’il tombe, c’est gagné, sinon le tenancier ramasse les noyaux épars. Des sacs gonflés font le tour des platanes ; les autres se voient moins et pour cause. De vrais fortunes passent de main en main... Irruption encore du Moyen-Age avec le droit de frapper monnaie. On se trimballe avec des bourses pleines. Pas d’emporte-pièce, l’atelier c’est la maison avec les abricots du dessert. « Maman, ne les jette pas ! ». Chacun amasse, thésaurise un trésor de noyaux aussi précieux que les cauris des peuplades lointaines ! Certains ont l’œil sur les composts des jardins ou les fourrent au fond des poubelles ! 

Période heureuse, même si j’assume ma solitude. Je n’ai pas de camarade attitré... Qui était dans ma classe ? Mystère... je vois seulement monsieur Carrère, serein, ni en bien, ni en mal. Je ne sais plus l’odeur de la craie, de l’encre, du papier, des crayons de couleur... Je sais seulement que la salle est orientée est-ouest avec le tableau au couchant. L’hiver, après l’étude, sans peur mais non sans reproches, je repartais dans la nuit, le long de la Peyne puis par un chemin de vignes vers la campagne du docteur Rolland, une demie-heure environ.
Mais le haut préau aux poutres massives, les grands murs gardiens de l'inconnu, les platanes, étaient mes amis ; l’éclipse totale du 15 février 1961 aussi, observée à travers des verres passés au noir de fumée. 
Est-ce pour une plaie ouverte telle celle évoquée dans le « Temps des cerises » ou peut-être parce qu’ils ont sur la peau les mêmes taches que moi sur le nez et les joues mais en avant-goût de grandes vacances, j'aimerai toujours le temps des abricots qu’on ouvre en rêvant, oreillons moelleux du parfum des beaux jours (2).    
 

(1) le marché du samedi a les mêmes origines historiques et seul le roi (peut-être à l’exception de Foix et de la Bourgogne) octroyait ce droit aux villes.   
(2) obscurantisme ? superstition ? les noyaux qui me suivent partout... 

 


NOTE : dans les hauteurs de l’Indu Kush, un peuple friand d’abricots et plus particulièrement de l’amande du noyau, ne serait pas affecté par les cancers...   


Crédit photo : 1. Abricots rouges du Roussillon en cagette Auteur Varaine. 

vendredi 16 juin 2017

«... LOLITA MIA... » /1939, fin de la Guerra Civil (Espagne).

  

Pour évoquer les haines irréductibles et mortelles qui ont marqué la défaite du camp républicain et favorisé la synergie des nationalistes.

Il ne s’en était jamais confié, l’ami Jean-Pierre, et il fallut le hasard de fichiers à enregistrer et la découverte, en haut dans son bureau, d’une étagère complète d’ouvrages sur la Guerre d’Espagne pour qu’il parle de son père, Ramon, réfugié espagnol.
 

Parce que le livre est fatigué et scotché, je lui ai un peu forcé la main même si les principes d’échange et de partage priment dans une vieille amitié. De René Grando, Jacques Queralt, Xavier Febrès, « VOUS AVEZ LA MEMOIRE COURTE... 1939 : 500 000 républicains venus du Sud "indésirables" en Roussillon ».
Des témoignages précieux, un éclairage bénéfique pour plus de compréhension quant au foisonnement complexe des forces bloquées ou libérées, antagonistes, de celles aussi, intestines, suicidaires, cataclysmiques dans le camp dit "républicain", notamment dans l’élimination des trotskistes et des anarchistes par les staliniens. Bien des choses à relever et, page 77, un poème poignant, quand l’homme dévoile ses faiblesses charnelles. Le poète le fait parler de l’être aimé, ici la femme que les turbulences de l’Histoire ont peut-être figée dans la mort ou échouée parmi des survivants :

«... Pensaba en ti, Lolita,
mirando los tejados de Madrid.
Pero ahora...
          Este viento,
esta arena en los ojos,
esta arena...
          Argelès ! Saint-Cyprien !
Pensaba en ti, morena,
y con agua del río te escribio :
« Lola, Lolita mia ».

Rafael Alberti. « Qui a dit que nous étions morts ? » Poèmes de guerre et d’exil. Editeurs français réunis, Paris 1964.

Rafael Alberti (1902 - 1999), poète espagnol né et mort à El Puerto de Santa Maria...
... Ne suivent, à longueur de sites, que des louanges à sens unique, les plus "narcoleptiquement" dangereuses émanant des milieux intellectuels (poésie et littérature) qui, à force de ne considérer que le plaisir de l'intelligence créatrice, déconnectent et exonèrent Alberti, d’une réalité plus crue.

TIMEO DANAOS ET DONA FERENTES... Je crains les laudateurs et porteurs de lauriers...

LES LAUDATEURS... si pudiques quant aux terribles circonstances de la guerre civile espagnole : 

http://republique-des-lettres.fr/10445-rafael-alberti.php
«... Pendant la guerre civile espagnole (1936-39), il s'engage sous les couleurs républicaines et devient secrétaire de l'Alliance des intellectuels anti-fascistes. Il voyage à Paris, Berlin, Rome, Moscou, et fonde à Madrid une revue de combat, Octubre. A la même époque, il entre dans la légende en sauvant d'un bombardement les quatre tableaux les plus importants du Musée madrilène du Prado, dont Les Ménines de Velazquez... »

http://www.premiere.fr/Star/Rafael-Alberti
«... Il combat aussi bien par le biais des revues (Octubre, qu’il a fondée en 1934, et El Mono azul, dont il est le directeur) que sur le front... »

http://www.humanite.fr/node/216410
«... Lorsqu'éclate la guerre civile, en 1936, il prend une part ardente aux activités de l'Alliance des intellectuels anti-fascistes...»

https://www.poesie.net/alberti.htm
«... L'année 1931 voit naître la République Espagnole pour laquelle il s'engage de toute sa poésie et quand la Guerre d'Espagne éclate, il se trouve à Madrid en compagnie de Pablo Neruda, Miguel Hernandez et de quelques autres poète qui vont prendre fait et cause pour le camp républicain...»

Les Espagnols, quant à eux, restent coupables de se taire tant ils rechignent à revenir posément sur la plaie toujours béante de la révolution étranglée et de l’épuration génocidaire perpétrée par le fascisme franquiste :

 http://www.cervantes.es/bibliotecas_documentacion_espanol/biografias/napoles_rafael_alberti.htm
«... En 1939, al terminar la Guerra Civil española, emigra a la República Argentina, desde donde se traslada a Roma en 1962... »

Josep Fontana, pourtant catalan et, qui plus est, de Barcelone, la ville par excellence des prolétaires révoltés, aborde à peine la « Segunda República española » dans son dernier ouvrage de 800 pages « EL SIGLO DE LA REVOLUCIÓN » (fébrero de 2017, ed. CRÍTICA), pourtant sous-titré « Una historia del mundo desde 1914 ».

L’APORIE pour prévenir une narcose mémorielle, la dissonance portée par Wikipedia et un autre site (1) mais dans les mêmes termes... 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafael_Alberti
«... En 1936, la guerre civile espagnole commence. Il anime une Alliance des intellectuels antifascistes avec José Bergamin et dirige la revue El Mono azul2. Il s'implique alors activement dans la répression stalinienne à l'intérieur de la zone tenue par le front populaire.

Dans El Mono Azul, lui et les autres membres du Comité d'épuration entretiennent une rubrique appelée "A Paseo", dans laquelle figure le nom des intellectuels qui doivent être « épurés » comme contre-révolutionnaires. Parmi ceux mentionnés, Miguel de Unamuno, Pedro Muñoz Seca, Manuel García Morente, Fernando Vela, et même ses amis des années précédentes Ernesto Giménez Caballero et Rafael Sánchez Mazas... »

Sans préjugé, sans avis préconçu, beaucoup par crainte de la pensée unique et seulement animé de la prétention de la mouche du coche, la question se pose de savoir quelle responsabilité peut porter Alberti dans une épuration toujours expéditive, sanglante, barbare. Était-il intellectuel avant d’être stalinien ?
Il a certes écrit de très belles choses quand bien même ma morgue d’écrivassier oserait son bémol...  

« Lola, Lolita mia »... belle déclaration lancée vers l’Espagne, au-delà des Pyrénées, vers celle qui a suscité cet amour... Le poète a connu de près la triste réalité des camps d’internement, derrière des barbelés où les réfugiés sont parqués à même le sable... Et l’évocation de Lola doit le toucher de près...
Pardon mais cela met mal à l’aise de savoir qu’entre le 22 février et le 6 mars 1939, Rafael Alberti a été évacué sur Alicante où il a pris l’avion pour Oran avant d’arriver par bateau à Marseille puis Paris (2) le12 mars. Que le poète parle pour les voix anonymes et muettes qui elles ont connu les camps d'internement... Excusez-moi pour ces doutes et cette suspicion peut-être exagérée.   

Le natif d’El Puerto de Santa Maria qui a enduré près de quarante années d’exil sans savoir s’il reverrait un jour la terre natale, a été incité par le roi à revenir en Espagne (1977).
«... "Je suis parti le poing fermé car c'était le temps de la guerre et je reviens la main ouverte, tendue à l'amitié de tous. " déclara-t-il alors...
«... Ensuite est venu le temps des hommages et des honneurs dans son pays natal retrouvé... »
https://www.poesie.net/alberti.htm

Oui mais n’est-ce pas au nom de cette "amitié de tous" que l’on voudrait recouvrir d’une chape de plomb la répression génocidaire menée par Franco contre ceux qui, d’après lui, ne représentaient pas l’Espagne... Continuation de l’exploitation, de l’obscurantisme... 

Les victimes de trop nombreuses fosses communes, qui souvent n’avaient fait que travailler sous le régime de la Seconde République, sont encore à réhabiliter.
 

Comprenne qui pourra mais Alberti, et pas seulement parce qu'il a eu la chance d'échapper au franquisme, passe après les poètes qu’il définit lui-même comme « poètes du sacrifice », Federico Garcia Lorca, Antonio Machado, Miguel Hernández...    

(1) http://mediatheques.valenceromans.fr/recherche/viewnotice/id_catalogue/67/id_module/10/clef/POESIA-19241967-ALBERTIR--AGUILAR-1978-1/id/267417/id_notice/91669/type_doc/1/code_rebond/A10672
(2) a pris un billet coûteux de première classe (non contrôlée) pour ne pas être envoyé en camp d’internement.  



crédit photos commons wikimedia
1. Federico Garcia Lorca auteur sinaloaarchivohistorico
2. Drapeau de la seconde république espagnole. 
3. Antonio Machado auteur inconnu téléchargé par Claudio Elias
4. Miguel Hernandez en prison avant sa mort 1939 auteur inconnu