mardi 4 octobre 2016

LES CORBIÈRES XII / "L’île singulière" dévie le Verdouble.


Pardon d’emprunter à Paul Valéry son expression pour Sète, son "île" natale mais, entre le Verdouble et au sud, la vallée du Triby à l’origine du ruisseau de Cucugnan affluent du Verdouble plus à l’est, peut-on parler d’un ensemble, d’un même bassin ? Un îlot montagneux (1), en effet, barre le cours du Verdouble, obligé de faire un coude à quatre-vint-dix degrés pour filer dans une vallée étroite où seules, malgré la rivière, une bergerie, deux ou trois métairies aujourd’hui en ruines, étaient installées. Au sud des cinq-cents mètres de cette montagne, Cucugnan s’étage sur sa propre éminence, au-dessus du ruisseau derrière et d’une cuvette de vignes devant, remontant jusqu’aux garrigues dominées par le château de Quéribus, autre citadelle du vertige, « fils de Carcassonne » sur l’ancienne frontière de l’Aragon. 


Des ruines parfois remontées par des néo-ruraux qui relancent une viticulture au top de la qualité... et des prix. Reprenons un instant le sujet de la vigne qui, un demi-siècle encore en arrière marquait l’essentiel du calendrier et de la vie des villages. L’époque a vu le nombre de viticulteurs fondre, les propriétés gonfler en surface cultivée, le vin de tous les jours est pratiquement devenu un produit de luxe. Hier, tati Paulette et tonton Vincent venaient les faire les vendanges en famille, à Cucugnan, un mois plus tard, en gros, après la plaine, les nuits étant plus fraîches dans les Corbières. Et si le cousin Constant à la mine rubiconde a si malicieusement souri un temps aux Londoniens, la campagne de pub qui n’avait rien du marcketting opiniâtre actuel, visait surtout à défendre un vin du Sud injustement méprisé ! Je viens d’en boire une de bibine, un Côte de Bourg à peine passable allongé d’eau, 187 ml seulement, par chance... je sais de quoi il retourne et si la grande production du Languedoc a toujours pâti des lois déloyales du marché (coupages, sucrages), nombre de producteurs avaient à cœur d’être dignes et fiers de leurs vins !
On se louait alors pour les vendanges et certains montaient dans les Corbières après un contrat en bas. En ce début d’octobre 2016, la récolte se termine mais vous pouvez toujours postuler pour l’an prochain... 50 à 60 euros nets par jour à gagner sans, certainement, les litres de vin alloués à l’époque ! Sinon, à raison de 180 euros pour 3 jours par exemple, à débourser puisque, désormais, le coupeur peut payer pour un stage chez le patron ! Et prière d’aller se faire héberger ailleurs ! La collation du matin et le repas vigneron sont quand même compris dans le prix ! La vie moderne, c’est quelque chose !
Le web parle aussi d’arboriculture dans le coin. Le cousin s’y serait mis depuis une vingtaine d’années. En complément ou à la place des vignes ?.. J’aurais dû aller lui dire bonjour, quand nous avons fait étape, la fois où je n’ai finalement pas pris ce tableau de cerises d’une expo-vente qui disaient « Mange-moi ! ». Je les vois comme si c’était hier, comme je n’oublie pas le plaisir malicieux qui éclairait le visage du cousin dès qu’on parlait des sangliers. Ces visites rares chez des proches éloignés, serait-ce par alliance, il en reste toujours quelque chose...
Peuvent-ils penser de même ceux de la ville, sans lien ou qui l’ont perdu avec la province originelle, avec cette France majoritairement de paysans, encore avant la Seconde Guerre Mondiale, du temps où on disait «ferme» et non «exploitation agricole» ? 


Du civet, on en a mangé justement, cette fois là, à l’auberge. D’ailleurs, le cousin, je l’imagine toujours sur la piste des sangliers ! Jadis un gibier providentiel dont ne profitait pas la plaine... Alors qu’à présent le même cochon sauvage qui est descendu dans le bas-pays où il a proliféré, nuit tant aux cultures qu’il est assimilé à une calamité. Encore une illustration que tout et son contraire peuvent se succéder, que tout peut changer du tout au tout , à l’échelle d’une vie d’homme !
Comme pour Peyrepertuse, je ne vais pas visiter pour vous le château de Quéribus. Je ne reviendrai pas non plus sur la douloureuse, puisque à Cucugnan comme à Duilhac chez les voisins, la fréquentation touristique se traduit par un endettement, des coûts, des impôts exagérés pour les contribuables (2). Il y a bien le fameux curé de Cucugnan mais attachons-nous plutôt à son époque parce qu’elle n’empoisonnait pas son monde aussi cyniquement, pour faire toujours plus de fric  !

(1) le Pech Capel (493 m.), le Roc Pounchut (518 m.), le Pech de la Caune (487 m.) en sont les principales hauteurs.
(2) Cucugnan dépenses 5567€ alors que la dépense moyenne pour cette catégorie de communes est de 1298€ / impôts 690 + dette 6552 = 7242€/hab.  


photos autorisées commons wikimedia
1. Quéribus vu depuis le château de Peyrepertuse / auteur Guillaume Paumier / Au 1er plan "l'Île singulière". 
2. Cucugnan author jacques Le Letty.
3. Sanglier Author KoS. 
4. Cucugnan Quéribus Author LucasD.

samedi 1 octobre 2016

ITINÉRAIRE D’UN ENFANT GÅTÉ (V) Vers les trépidations d’un monde moderne

Quelque part à gauche, Sacy, le village de cet écrivain qui se crut longtemps sans racines, sentiment révélateur du manque d’humilité des hommes avant qu’un ferment de sagesse ne vienne, avec les ans, les faire douter. Avec lui et sans évoquer pour autant et pour changer, des souvenirs de géographie avec la Champagne Pouilleuse, nous ressentons la réputation inhospitalière, marneuse, insalubre du bourg, en bas, comparée à la saine atmosphère du plateau que les voisins d’en haut se plaisent à exagérer. Ce que je garde, néanmoins, de cet homme de lettres savoureux et chaleureux, est le lien qu’il a su rétablir avec sa terre, ses racines «... je sens que ce village et ce terroir, ce minuscule finage entre quatre vallées, entre la Cure et le Serein, instillent peu à peu en moi leurs vignes, leurs forêts, leurs pierres jaunes et tendres, comme un sang séculaire revenant dans des membres longtemps ankylosés...» Jacques Lacarrière, Chemin faisant, 1977. (1) 


Des éoliennes ; on croirait les toucher tant elles sont proches. Est-ce leur stature ou la solennité des grandes pales tournant lentement qui me font songer à une croix de Lorraine monumentale, plus vers l’est, celle de De Gaulle, LE grand homme politique des soixante-seize dernières années...
Le paysage a changé, ce sont désormais de grands champs. La moisson est derrière nous ; un gros tracteur passe dans les chaumes peut-être pour casser la croûte qui étouffe la terre ; un nuage de poussière l’escorte ; ce mois d’août est très chaud, marqué par le manque d’eau et à présent la canicule. Dans l’air conditionné d’un train à 300 à l’heure, on l’oublierait presque. Plus que dans cette Bourgogne de pays enclavés, couverts de forêts, seulement traversée par les autoroutes et le rail à grande vitesse, ici les hommes sont plus à leur affaire : la rivière se double d’un canal, les voies ferrées deviennent multiples, au loin des nuées de condensation couronnent les tours d’une centrale (2). La voie longe l’autoroute (A5 après vérification) où même les voitures semblent faire du sur-place.  

     
Voici un autre village, original avec son petit clocher noir, grillon des foyers ! Comment se nomme-t-il ? Il y a bien une église marie-Madeleine dont le clocher vrille paraît-il mais ce n’est pas celui de Fouju. Rien à Crisenoy non plus pas plus que pour la collégiale Saint-Martin de Champeaux. C’est foutu ! Pour Yèbles, un site parle d’une maire noire et musulmane. Chou blanc encore ! A moins que ce ne soit celui de Courquetaine, sombre sur ses murs de pierre blanche.
L’arrêt à Marne-la-Vallée-Chessy est annoncé ainsi que la correspondance surréaliste pour Quimper ! « Disneyland station » est devenue une destination y compris pour ceux qui viennent de sortir de l’avion à Roissy. 


Roissy Charles-de-Gaulle. J’aurais voulu saluer Thomas, l’aîné si dévoué et si gentil pour ses petits frères mais n’était-ce pas aussi mettre l’accent sur le handicap de son cadet ? Nous sommes partis comme des voleurs... Les premiers en bas attendent de voir le quai se présenter à droite ou à gauche. Une jeune femme appuie à plusieurs reprises pour l’ouverture de la porte. Une autre a du mal, avec les marches, à engager les roues de la poussette. Sinon, pas d’énervement entre les sortants et ceux qui ne seront tranquilles qu’une fois à l’intérieur. 
La gare est fonctionnelle, l’ascenseur pas trop surchargé. Le temps de se retourner, si le point info est fermé, un panneau géant indique bien "Terminal C".
Flo remarque un A380... d’Emirates. File d’attente pour le vol vers La Réunion. Dommage d’avoir raté l’enregistrement en ligne. Dans la salle d’embarquement deux ou trois enfants impossibles braillent et courent partout. Quoi de plus normal pour des parents impassibles.
L’avion est plein de gosses d’ailleurs... mais ceux de ma génération qui en ont fait trois doivent aussi se poser les questions. En 1950 nous étions 2,5 milliards, multipliez par trois pour chiffrer, en gros, la population mondiale actuelle. Le vin commandé pour la dînette vient stopper net mes projections sur la planète : c’est un Côtes de Bourg 2012, un Château Lorette... buvable coupé d’eau... Ne valant pas tripette, quoi ! Mais que vaut le palais d’un languedocien culotté, à en croire les indécrottables, par les piquettes ?               

(1) Sa terre, celle des aïeux, entre Auxerrois et Terreplaine, le pénètre le jour même où il revient voir la maison léguée par la grand-tante à ses parents. Un vieux assis au soleil le regarde avancer, et à son grand étonnement :
« "C’est bien toi, Jacques ?... /... Tu ne te rappelles pas. Tu étais trop jeune. je suis le père Delphin. Tu venais en vacances ici, tout petit et je t’ai souvent pris sur les genoux. Je t’ai reconnu depuis l’église. Celui-là, c’est Jacques je me suis dit. Tu marches exactement comme ton père et ton grand-père." De ce jour, j’ai aimé Sacy pour l’accueil et le sourire de cet homme. »  
(2) L’Armançon et le Canal de Bourgogne, ensuite la centrale de Nogent s/Seine visible depuis Montereau-fault-Yonne Ladite ville tient son nom de sa position géographique au confluent de l'Yonne et de la Seine "à la fourche de l’Yonne". Mais « fault »  a été surtout compris par "faillir", "se perdre"... est-ce vraiment l’Yonne qui se perd dans la Seine ou l’inverse ? 

Photos autorisées commons wikimedia : 
1. village de Sacy chez Lacarrière auteur Roland Godefroy 
2. Nogent sur Seine La centrale vue de la D951 author AntonyB
3. MLV–Chessy auteur Clem from Paris, France