lundi 31 mars 2025

TOI et les PETITS OISEAUX ! (1)

Quand l'attente patiente le renouveau, d'abord secouée dans sa somnolence par l'amandier en fleur, réveillée ensuite, dans une garrigue retrouvée, par la vivifiante quête d'asperges sauvages, puis ébranlée d'un coup par le “ tchitchi ” des crécerellettes, on aimerait que cet enthousiasme n'en finisse pas de monter. Alors, aidés en cela par un azur où enfin notre Cers a pu se prévaloir de son souffle, trop puissant mais pour le moins bénéfique, cherchant confirmation, on regarde le ciel. Dès potron-minet, l'ondoiement bruyant d'un vol de corneilles ; à la première heure aussi,  toujours ces goélands, suffisants, peu sympathiques, mal aimés et pourtant protégés... ; craintifs encore de ces chassés-croisés, moins culottés qu'à l'habitude, nos commensaux de pigeons ne rasent plus que les toits ; parfois passe vite un étourneau, non plus en groupe, peut-être retardataire en vu d'un mariage, plus au nord. 

Hirondelle_rustique 2021 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license. Auteur Pierre-Marie Epiney

Et comme j'aimerais voir les premières hirondelles. Fin mars nous sommes, sont-elles trois dans le bleu ? cinq deux jours plus tard ? On positive, on se dit que ce n'est qu'un début, on ne veut pas admettre que c'est seulement se raccrocher au peu qui reste... On s'empêche de réfléchir aux petits moineaux devenus rares depuis qu'il est mal vu de laisser des trous dans ses murs, on regrette le souvenir de l'apuput régulier d'une huppe, celui du chardonneret, si beau à voir et à entendre. Et l'enthousiasme retombe comme un soufflet. Plus encore à penser que là-bas, le cyclone a dû exterminer le souimanga (nectariniidae confondu avec le colibri), le foudy (rouge cardinal), le zostérops à lunette, aussi endémique que le souimanga... 
Le ciel reste vide d'un spleen trop plein ; des hirondelles j'ai dû rêver ; même à l'heure d'été le soleil voudrait réchauffer les cœurs ; il ne reste plus que l'ordinateur, qu'on croit, en consolante... Consolation de prime abord, encore à chercher mes hirondelles, à faire la connaissance d'une poétesse jusque là ignorée, Reine Garde :     

« L'hiver au doux printemps vient de céder la place
Mars de sa tiède haleine a réchauffé l'espace,
La prairie étale ses fleurs :
Revenez donc, mes hirondelles,
Ne me soyez point infidèles,
Revenez, le bruit de vos ailes
A l'instant suspendra mes pleurs... » Reine Garde (1810 -1883). 

Et non, ce n'est pas un nom de la poétique moderne, mais celui d'une femme ancrée dans un temps d'avant, d'abord simple servante puis couturière et commerçante mais femme de lettres aussi, voilà déjà près d'un siècle et demi. Le sésame de l'internet ouvrant bien des portes, on ne devrait pas tomber dans l'anachronisme, un piège lorsqu'on rejette des pratiques passées : 

« ...Dans ta captivité je semblais te suffire,
Tu comprenais mes pas, ma voix,
Mon nom même, en ton chant tu savais me le dire ;
Dès que tu me voyais sourire,
Tu le gazouillais mille fois !.. »

Chardonneret élégant du Tarn 2012 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Photographe Pierre Dalous.

Difficile d'accepter les cages à oiseaux de la part de partisans de la liberté. Ces « Vers à mon chardonneret » de Reine Garde ont été relevés par Alphonse de Lamartine (1790-1869). 
Marie Agnès Reine Garde tenait absolument à rencontrer le poète qu'accompagnaient tant d'hommages et louanges. Depuis Aix-en Provence, sans rien dire, elle a pris le train pour Marseille où Lamartine et son épouse étaient en villégiature. Signe des temps aussi, Lamartine, rentrant d'une sortie accepte sans façon cette visite inopinée. Dédié à Reine Garde, son roman « Geneviève » relate en détail cette rencontre avec une dame de peut-être 35-40 ans, qui rougit à plusieurs reprises d'avoir été si audacieuse et parce que sa vie intéresse l'illustre personnage. 
Comme on passe des oiseaux à une poétesse pré-Félibrige, écrivant en français et en provençal, reconnue par Frédéric Mistral en tant que troubarello dans un trio de femmes. (à suivre) 


jeudi 27 mars 2025

Plus compliqué que SAUCISSE et JAMBON (5 et fin).

 Et mon père alors, qui me porte, moi qui suis dans sa maison ? 

Papa, tu es beau ! 


* François Dedieu (1922-2017), professeur de français, de russe, passionné de langues, de mots... (debout, bras tendus, les classeurs empilés de notre correspondance remontent du milieu des cuisses jusqu'au menton). Des lettres et courriels, dans l'acceptation de l'absence physique, plus apaisés que le geste si fort au moment de la séparation pour des mois, à des milliers de kilomètres, qui nous voyait serrés dans les bras l'un de l'autre, dans un « Au revoir papa ! » disant « Je t'aime ! » sans le prononcer. Et merci de m'aimer moi, l'enfant difficile, l'adolescent à problèmes que je fus, si souvent sur la corde raide. Ce qui est sûr est qu'après avoir longtemps imputé mes refus et rejets aux autres, en premier à mon père, j'ai mis très longtemps à reconnaître mes torts. J'ai été un sale gosse... voilà ce qui doit être dit en premier plutôt que de mettre en avant des circonstances “ minimisantes ”... Certains bons côtés auraient-ils quelque peu compensé, à la longue ? Redevant à mon père l'amour des langues, des livres, des mots, par un stratagème qu'il a feint d'ignorer, par le biais de souvenirs que l'âge se permet d'ouvrir, ne serait-ce que pour nos descendants, j'ai osé entreprendre la publication de nos vies pour ce qui les lient au village. Papa a si bien répondu et prolongé que force était de reconnaître qu'un deuxième tome s'écrivait en miroir, un diptyque donc avec « CABOUJOLETTE, Pages de Vie à Fleury-d'Aude II » le concernant, lui, pour un vécu plus loin dans le temps. Resté admiratif et peu critique de la matrice parisienne, avec les années, il n'en est pas moins revenu à reconnaître en lui l'attache vitale au languedocien, variante de l'occitan exclusivement pratiquée entre ses parents bien que bilingues appliqués, exigeants en orthographe, grammaire, conjugaison, bien français et pourtant binationaux qui s'ignorent. 

Tout passe, tout s'efface sauf si on s'efforce à repenser, à recréer, à revivre, à rechercher. Au delà de cette « Festa dal porc » que je retrouve bien qu'oubliée de moi, papa précise « seguida » (1), de la présentation du « Vin Bourru » qu'il me fit, je ressens fort la dette fructueuse que doit chaque fils au père qui continue de le porter (2) (penser l'inverse est une erreur, une vanité n'ayant pas lieu d'être).   

Plus légèrement, en conclusion, à propos de cochon, une des rares choses sympa chez les Parigots, Gabin et Bourvil fourguant du porc au noir dans « La Traversée de Paris », un film d'Autant-Lara, (1956) et encore... d'après une nouvelle de Marcel Aymé (1902-1967), il est vrai “ agent double ” dans la capitale malgré son attachement d'origine à la Franche-Comté...  

(1) terme peut-être local, non trouvé ailleurs, Mistral dans Lou Tresor dau Felibrige notant seulement « tua lou porc », tuer le porc. 

Côté terre, l'étang de la chasse aux canards, entre nous, une petite Camargue magnifique offerte par l'Aude, le fleuve, modeste au point de ne pas se prévaloir de son delta, le fleuve qu'on dit rivière tant il nous est familier... 
 

(2) Guy, professeur d'occitan, portant à bout de bras, chaque mois, une quarantaine d'élèves plus chenus que vermeils, apporte qui il est en plus du cours de langue. La fois dernière, il raconte la double trace de pas laissée dans le sable, au retour bien chargé d'une nuit jadis au canard (les appelants, le matériel avant tout...) ; s'ouvrant à son père, compagnon de chasse, d'un rêve en période triste, étrange et marquant, d'une seule trace de pas derrière eux, il reçut cette réponse aussi spontanée qu'éclairante « Ès ieu que te portavi... », « C'est moi qui te portais... ».