lundi 8 décembre 2025

DZAOUDZI, l'aéroport (18)

 Attente vaine des bagages, comme souvent, pour ne pas dire « toujours », du moins « très, très souvent » avec Kenya Airways, peut-être fierté de l’Afrique mais non sans point noir. Un Embraer pratiquement plein (en 2023, à moitié seulement). Un avion plus gros ou alors que n’autorisent-ils qu'un seul bagage au lieu de deux, les tarifs resteraient attractifs face aux compagnies sur l’Outremer Indien dont Air Austral, l’aviateur institutionnel réunionnais subventionné, étouffant l’ouverture de Mayotte à la métropole et au Monde (sûr qu'ils y sont pour beaucoup dans l'empêchement à la piste longue), dans un quasi monopole, avec la complicité de Corsair. 
Certains l’ont mauvaise de ne pas récupérer leurs affaires mais pourquoi récriminer ? le personnel de Dzaoudzi n’y est pour rien et qui sait si le monsieur badgé qui met tant de valises de côté y est pour quelque chose ? Le déchargement terminé, je vais voir, avec d’autres. Hélas, ce sont les bagages de mardi dernier ; il aurait pu préciser. Bref, ça peut durer une semaine… ou deux… Faudra appeler dès qu’un nouveau vol atterrira… et revenir chercher nos biens (il fut un temps ou un fourgon affrété assurait la distribution à domicile sur tout l'archipel… mais loin de s’arranger, la situation a empiré). 

mai 2023. 

Alors ? la compagnie de Nairobi ? Fini les packs de Roquefort dans les valises, surtout pas de périssable… Des voisins non informés se demandent si le Comté et l’Abondance vont supporter… Sinon, pas mal quand même Kenya Airways : un jeune à Nairobi pour Maurice, ne disait-il pas avoir payé seulement 670 euros l’aller-retour ?

Plutôt que le contrôle douanier causant un embouteillage, ce sont ceux, en deuxième et troisième file, innocents aux mains pleines, vrais culottés voulant passer devant tout le monde, qui bloquent le passage « Rien à déclarer ». Se laisser faire ? Patienter ? Râler ? La meilleure des défenses étant l’attaque : pardon, pardon, jouer des coudes. À culotté, culotté et demi. Faisant barrage, les douaniers amusés me laissent passer ; sans m’en excuser auprès du troupeau, je lance aux gabelous qu’ils peuvent voir mon sac. Ce qui eût pu passer pour une provocation, passe… il est vrai qu'à Mayotte, c’est presque toujours bon vivant, pas renfrogné, presque toujours en sourires entre inconnus, réminiscence timide d'un paradis perdu encore perceptible plus de trente années après.

Une longue file de taxis collectifs attend à destination du débarcadère. Ce n’est plus un alignement hétéroclite de véhicules de tous genres, marrons parfois, au black, gages de gains immédiats, jadis, car la maréchaussée a peu à peu prescrit l’ordre européen. Il reste une place. Rieur (je l'ai abordé en disant une bêtise), le voisin glisse à droite du chauffeur. Je demande si après le cyclone, les bananes donnent à nouveau : 

« Ça commence, il me dit, mais je ne mets plus de manioc. 
—  Ah bon ? et pourquoi ? 
— Ils m'ont tout volé, des bananes aussi ils me prennent, mais pas tout » (à suivre)


dimanche 7 décembre 2025

« ...Qui m'est une province et beaucoup davantage... » (17)

Des photos certes, en arrivant, mais comme on en prend de nos êtres aimés, sans raison précise, juste parce qu'on aime... Mayotte avec des trouées de soleil dans un mitage nuageux ; l’appareil survole Grande-Terre, plein centre, la contourne afin de se présenter sur la seconde île habitée, contre les souffles du nord, entre le Kashkazi de Nord-Ouest et le Nyombeni de Nord-Est, éclaireur du premier, mais tout aussi messager de la saison des pluies.  

Ciel mitigé sur Mayotte, ce 11 novembre 2025. Sur l'autre bord de la baie de Chiconi, la petite échancrure au centre de la photo, grâce à l'imposant bâtiment du lycée de Sada (dit « polyvalent » : triste de ne pas avoir un vrai nom...), je situe la maison qui m'abrite. Et comme toujours, tout se bouscule dans ma tête :
1) 11 novembre, je n'ai pas encore marqué ma fidélité au rituel qui chaque année, me fait lire la liste de nos Poilus morts au combat. (fait le 8 décembre en relevant l'occurrence des prénoms, avec six Henri ou Joseph...)  
2) éclair de pensée pour la chèvre de Monsieur Seguin d'Alphonse Daudet ; tout en bas dans la plaine, la maison avec son clos derrière « Que c'est petit dit-elle... »
3) un clos ? et c'est Joachim du Bellay qui dit bonjour :
« ...Reverrais-je le clos de ma pauvre maison, 
Qui m'est une province et beaucoup davantage ? » ; il se sentait exilé, lui, heureux comme Ulysse, de revoir fumer sa cheminée. (1522-1560), son seul refuge... pas migrateur donc Joachim, contrairement à ceux avec au moins deux points de chute ; pas de chance non plus, Joachim, 37 ans, apoplexie, un AVC je pense... 
Toujours du coq à l'âne, merci de me supporter...  


Déplumé, le versant de La Vigie ne présente que des bouloches éparses, de verdure certes mais dépouillé d'arbres, mutilé ; faudrait une photo pour plus de précision quant aux manguiers, aux cocotiers... sauf que fatigue et soulagement prévalent... 

« Tu veux te voir avec beaucoup de cheveux ? Prends vite une photo ! », voici ce que disait la blague entre hommes sur un début de calvitie ? De quoi rire jaune, sur la végétation, suite au passage de Chido, le cyclone, il y a 11 mois de cela. Des flaques, lors du roulage, confortent l’idée d’un bon début de saison des pluies, promesse d'un mieux dans les coupures d’eau potable, plantations et semailles. 

Acacia_roja_-_Flamboyán_(Delonix_regia) 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license. Autor Alejandro Bayer Tamayo de Armenia Columbia. 
Étonnamment fourni, celui-ci, à côté de celui de l'aéroport de Mayotte. désolé on n'a pas toujours à cœur de prendre une photo comme de toujours se justifier : mes flamboyants brûleront à jamais pour Petit Georges...   


Aux abords immédiats, durant le roulage, un flamboyant vif vermillon, tel celui, à Sainte-Suzanne, dont le rouge m’avait foudroyé d’espoir en faveur d’un “ Petit Georges ”, 11-12 ans, au Québec, en lutte alors contre une leucémie (1)… Sauf que la vie a une logique que l’espérance n’admet pas ; sauf que l'espoir ne sait pas se taire face à l'unidirectionnel de la vie, parfois une ferrade à vif le rappelle, jusque dans les chairs. 

Dans le conduit de descente où, moins surpris que la première fois, quittant la clim de l'avion, le corps entre en contact avec la réalité climatique de Mayotte, un papier de l’ARS, pistage, dépistage de santé publique, est distribué. Pas de poubelle en vue : reliquat d'un esprit, jadis, un peu rebelle ; de toute façon, on ne peut y échapper : un cerbère empêche l’accès au contrôle des passeports « Seulement le numéro de téléphone », il lance, compatissant. Avec quel stylo ? Où est passé le mien ? Obligeante, une dame m'en prête un. Pas celui du préposé qui ne reviendra pas... Vite, faut lui rendre. Qui plus est, cette aide vient relativiser le sentiment général que les Indiens de l'île sont à part, vivent entre eux depuis ces temps anciens où on les a envoyés commercer puis s'installer là où les affaires étaient possibles... Le temps bouscule nos à-peu-près, faut en convenir et en savoir gré. 

« Monsieur, ce visage, je vous ai reconnu de loin, fallait que je vous parle. Le collège de Chiconi ? Années 90 en histoire-géo, c’est bien vous ? Superbe, souriant, il a fait en sorte de me précéder d’une place pour m’aborder.

— Mais oui, c’est gentil de ta part. Rappelle-moi qui tu es. (la mémoire se réduit aux quelques uns, les derniers surtout, sinon ceux au triste destin, de ces milliers sûrement, d'enfants et adolescents confiés à nos devoirs sur quarante années de métier...). 

— “ Bel… Ben… ” j’ai 47 ans, une belle jeunesse à étudier, avec vous tous, les profs. Une autre époque, du respect, on aimait apprendre… Et vous, toujours à Mayotte ?

— C’est vrai. Vous étiez tous touchants de confiance... Tu sais j’ai eu la chance de ce respect réciproque. Loyauté, sincérité permettaient d’aborder tous les sujets, sans tabou. (J'ai toujours été pour aller de concert plutôt que d'assujettir, de guider mais par le dialogue, la persuasion, pas le bâton). Sinon, oui, ma vie a continué, je me partage entre la métropole et Mayotte, et depuis la retraite, ici, à Sada, et un dernier fils qui a 19 ans aujourd’hui. (Et lui de me citer cinq ou six noms de collègues avant de s’enquérir du mien, un moindre mal, pas de quoi s'en savoir mal. Moi aussi devrais chercher dans mes listes et cahiers de notes. 
Les passeports, les bagages, l’anticipation du trajet à la barge, les conditions n’y sont pas pour une disponibilité sans entrave, un échange sans arrière-pensées).

— De toute façon, je suis toujours à Sada, on se reverra. (Oh ! Pas le temps de demander ce qu’il fait… comme je m'en veux. » (à suivre) 

(1) terrible un gosse demandant à mourir pour ne plus souffrir ! Petit Georges est parti en juillet 2011... La vie nous broie les tripes de ses serres mortelles...