Des photos certes, en arrivant, mais comme on en prend de nos êtres aimés, sans raison précise, juste parce qu'on aime... Mayotte avec des trouées de soleil dans un mitage nuageux ; l’appareil survole Grande-Terre, plein centre, la contourne afin de se présenter sur la seconde île habitée, contre les souffles du nord, entre le Kashkazi de Nord-Ouest et le Nyombeni de Nord-Est, éclaireur du premier, mais tout aussi messager de la saison des pluies.
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Ciel mitigé sur Mayotte, ce 11 novembre 2025. Sur l'autre bord de la baie de Chiconi, la petite échancrure au centre de la photo, grâce à l'imposant bâtiment du lycée de Sada (dit « polyvalent » : triste de ne pas avoir un vrai nom...), je situe la maison qui m'abrite. Et comme toujours, tout se bouscule dans ma tête : 1) 11 novembre, je ne suis pas encore marqué ma fidélité au rituel qui chaque année, me fait lire la liste de nos Poilus morts au combat. 2) éclair de pensée pour la chèvre de Monsieur Seguin d'Alphonse Daudet ; tout en bas dans la plaine, la maison avec son clos derrière « Que c'est petit dit-elle... » 3) un clos ? et c'est Joachim du Bellay qui dit bonjour : « ...Reverrais-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province et beaucoup davantage ? » ; il se sentait exilé, lui, heureux comme Ulysse, de revoir fumer sa cheminée. (1522-1560), son seul refuge... pas migrateur donc, avec au moins deux points de chute ; pas de chance non plus, à 37 ans, apoplexie, un AVC je pense... Toujours du coq à l'âne, merci de me supporter... |
Déplumé, le versant de La Vigie ne présente que des bouloches éparses, de verdure certes mais dépouillé d'arbres, mutilé ; faudrait une photo pour plus de précision quant aux manguiers, aux cocotiers... sauf que fatigue et soulagement prévalent...
« Tu veux te voir avec beaucoup de cheveux ? Prends vite une photo ! », voici ce que disait la blague entre hommes sur une probable calvitie ? De quoi rire jaune, sur la végétation, suite au passage de Chido, le cyclone, il y a 11 mois de cela. Des flaques, lors du roulage, confortent l’idée d’un bon début de saison des pluies, promesse d'un mieux dans les coupures d’eau potable, plantations et semailles.
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Acacia_roja_-_Flamboyán_(Delonix_regia) 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license. Autor Alejandro Bayer Tamayo de Armenia Columbia. Étonnamment fourni, celui-ci, à côté de celui de l'aéroport de Mayotte. désolé on n'a pas toujours à cœur de prendre une photo comme de toujours se justifier : mes flamboyants brûleront à jamais pour Petit Georges... |
Aux abords immédiats, durant le roulage, un flamboyant vif vermillon, tel celui, à Sainte-Suzanne, dont le rouge m’avait foudroyé d’espoir en faveur d’un “ Petit Georges ”, 11-12 ans, au Québec, en lutte alors contre une leucémie (1)… Sauf que la vie a une logique que l’espérance n’admet pas ; sauf que l'espoir ne sait pas se taire face à l'unidirectionnel de la vie, parfois une émotion ferrade à vif, le rappelle, jusque dans les chairs.
Dans le conduit de descente où, moins surpris que la première fois, quittant la clim de l'avion, le corps entre en contact avec la réalité climatique de Mayotte, un papier de l’ARS, pistage, dépistage de santé publique, est distribué. Pas de poubelle en vue : reliquat d'un esprit, jadis, un peu rebelle ; de toute façon, on ne peut y échapper : un cerbère empêche l’accès au contrôle des passeports « Seulement le numéro de téléphone », il lance, compatissant. Avec quel stylo ? Où est passé le mien ? Obligeante, une dame m'en prête un. Pas celui du préposé qui ne reviendra pas... Vite, faut lui rendre. Qui plus est, cette aide vient relativiser le sentiment général que les Indiens de l'île sont à part, vivent entre eux depuis ces temps anciens où on les a envoyés commercer puis s'installer là où les affaires étaient possibles... Le temps bouscule nos à-peu-près, faut en convenir et en savoir gré.
« Monsieur, ce visage, je vous ai reconnu de loin, fallait que je vous parle. Le collège de Chiconi ? Années 90 en histoire-géo, c’est bien vous ? Superbe, souriant, il a fait en sorte de me précéder d’une place pour m’aborder.
— Mais oui, c’est gentil de ta part. Rappelle-moi qui tu es. (la mémoire se réduit aux quelques uns, les derniers surtout, sinon ceux au triste destin, de ces milliers sûrement, d'enfants et adolescents confiés à nos devoirs sur quarante années de métier...).
— “ Bel… Ben… ” j’ai 47 ans, une belle jeunesse à étudier, avec vous tous les profs. Une autre époque, du respect, on aimait apprendre… Et vous, toujours à Mayotte ?
— C’est vrai. Tu sais j’ai eu la chance de ce respect réciproque. Loyauté, sincérité permettaient d’aborder tous les sujets, sans tabou. (J'ai toujours été pour aller de concert plutôt que d'assujettir, de guider mais par le dialogue, la persuasion, pas le bâton). Sinon, oui, ma vie a continué, je me partage entre la métropole et Mayotte, et depuis la retraite, ici, à Sada, et un dernier fils qui a 19 ans aujourd’hui. (Et lui de me citer cinq ou six noms de collègues avant de s’enquérir du mien, un moindre mal, pas de quoi s'en savoir mal. Moi aussi devrais chercher dans mes listes et cahiers de notes. Les passeports, les bagages, l’anticipation du trajet à la barge, les conditions n’y sont pas pour une disponibilité sans entrave, un échange sans arrière-pensées).
— De toute façon, je suis toujours à Sada, on se reverra. (Oh ! Pas le temps de demander ce qu’il fait… comme je m'en veux. » (à suivre)