jeudi 20 novembre 2025

RETOUR À MAYOTTE, quitter son village (2).

Prémices : d'abord élastique, le compte à rebours se contracte, s'accélère, toujours plus serré. Il faut absolument s'aider d'une première liste, d'abord pour les achats à faire, personnels, à apporter, ensuite à propos des papiers et affaires à ne pas laisser, de santé surtout, l'ordi, ses satellites et tous les câbles de recharge, de transmission. Un deuxième papier devrait lister tout ce qu'il faut faire pour laisser la maison hiverner, les jours qui passent, le stress qui augmente, oppresse, question de tempérament surtout s'il faut lutter contre un caractère procrastinateur du “ dernier moment ”. Alors, au climat angoissant qui s'installe, répondent des phases rapides et hyperactives qui rassurent et autoriseraient presque le naturel à reprendre le dessus. Sauf que pour un emploi du temps non contraint, le cœur, la disponibilité n'y sont plus : si avec accord des deux côtés (l'ami Alain se dit “ surbooké ”), la dégustation d'huîtres à Leucate (1) et la balade sur la falaise sont remises à un printemps décompressé, à deux jours du départ, je n'en laisse rien paraître puisque l'ami Jean-Pierre a aussi invité « Fais simple » j'ai suggéré, disposé à seulement nourrir le corps par nécessité ; 

Cagaraous à la narbonnaise, image d'archives. 

sauf que le menu collait trop bien à sa nature de chef familial aimant recevoir et étonner. À l'apéro, un modeste kir vu qu'il reste du champagne d'une libation antérieure, sinon va pour les œufs mimosa rehaussés d'un trigone de poivron rouge, les caracoles aussi étaient réussis dans une sauce rousse avec saucisses et encornets, pratiquement à la rouille grâce à l'aïoli monté par Francine ; pour finir et faire “ simple ”, le clafoutis bien moelleux de la patronne. Stress ? Angoisse ? Allons donc des idées tout ça ! D'abord, l'amitié en avait aussitôt pris le dessus. Ensuite, y étant à vélo, sûr que cela excluait la peur du gendarme, du contrôle d'alcoolémie... à éviter toute complication, à quelques jours du départ, prudence et concentration s'imposent plus encore que d'habitude, s'il faut se déplacer. ne pas ajouter à la perturbation ! À se sentir préoccupé, autant ne pas en rajouter... Le temps est gris, entrées maritimes, sur ce chemin vicinal de crête entre nos deux villages voisins, du thym à un endroit mais pas de romarin, une infusion exotique à Mayotte, à joindre à la verveine offerte par Francine ; je devrais en trouver sur mon chemin, sans faire de détour, sur le plateau dominant la dalle effondrée de l'ancien refuge des gitans, lieu-dit de Fontlaurier, ledit laurier oublié (que restera-t-il des feuilles sèches en réserve ?)... La digestion n'est pas facile, comme quoi le stress, l'angoisse... combien d'escargots ? je n'ai plus l'âge de compter les cent qui passaient comme rien à condition de se passer du bain de l'après-midi, le plat étant prisé lors de la saison à la mer. Concernant le départ, l'un dans l'autre, presque à l'emporte-pièce, tout prend tournure, le contenu des valises, celui du sac-à-dos, la vaisselle à ranger, le frigo-congélateur à dégeler, à vider, le périssable à céder. Le lendemain arrive, inéluctable mais non sans apprécier le poulet de grain du dimanche chez ma sœur, les patatas de Diego, toujours aussi moelleuses.  (à suivre)

(1) hasard, hier au 20h, la mise en cause de Michel Py, maire de Leucate, pour ses frais de représentation aussi élevés que ceux d'Anne Hidalgo,  la maire de Paris.  




mardi 18 novembre 2025

RETOUR à MAYOTTE. 10 et 11 novembre 2025.

Prémices. Rappelant ce lointain pour un vécu moins contraint, trente années en arrière, pourquoi ces avions toujours vers le Sud, à laisser leurs traînées si le vent doit tourner marin ? 

Vol_d'oiseaux-Île_de_Cosne_(Cher) 2012 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license. Auteur Cjp24. 
Mince, pas moyen de récupérer les miennes de photos... Chercher, repasser, se demander et enfin comprendre à la vue d'un imbécile heureux porteur d'un béret qu'un doigt intrusif avait inversé la prise... mis en accusation, le doigt a dit que c'étaient les yeux... et oui, un soleil aveuglant et l'âge avant tout...
 


Et ces vols d'oiseaux semblant s'attendre ? Par une belle journée de début novembre, depuis le chemin de Baureno,  à suivre les “ grous ” si sonores des grues, il se confirme qu'elles ne feront pas étape dans l'Étang de Fleury... Pourquoi le feraient-elles d'ailleurs, puisque à part quelques pluies d'automne, modestes bien que bienvenues, le déficit hydrique est tel  aux marges du Golfe, que son émissaire, le Ruisseau du Bouquet (1), est à sec depuis belle lurette ? 

L'Étang de Fleury vu depuis la colline du moulin 1967 Diapositive François Dedieu. Époque géniale, un clic, une photo, et ce par milliers... sauf qu'un clic malencontreux, un bug du disque externe et plus de photos... Les diapos de papa, au moins, moins nombreuses mais toujours là. Nous avions peu, avant... Aujourd'hui, tout avoir c'est aussi n'avoir rien...


Non, depuis ce modeste seuil entre le village et la cuvette enclavée dans La Clape, il y a longtemps que nous n'avons pas vu l'eau miroiter suite aux pluies pourtant courantes d'automne. Les grues se regroupent afin de profiter d'une ascendance ; elles tournent, en spirale et montent au point de devenir toutes petites avant de cingler à nouveau, en vol plus uni, vers l'Espagne. Prendre de l'altitude afin d'aller plus loin... De quoi se sentir également migrateur, par destination. Pas voyageur, juste à devoir s'éloigner, par destinée... une « Forza del Destino » finalement bien moins alambiquée et plus facile à suivre que l'opéra de Verdi (2). Pas plus émi- qu'immi-, juste mi- du migrateur. 
Fatalisme familial ? enchaînement improbable ? une rencontre de travailleurs étrangers dans l'Allemagne nazie, une charrette de diplomates français expulsés, en représailles, de Prague par le pouvoir communiste, l'opportunité d'un poste au Brésil pour échapper au dénuement. Aléas qui se superposent, se démultiplient avec les générations, c'est s'avancer et souvent se tromper que d'annoncer des chemins tout tracés...   

Plutôt que de suivre un livret d'opéra aux péripéties outrancières, plutôt que de s'atteler à une saga remontant loin dans un passé dit familial, autant ne considérer qu'une tranche de vie, celle liée à une nomination à Mayotte dans les années 90. Sensation d’un retour à la case départ, au jour de la migration initiale, consentie suite à un sur-place économique lié au matérialisme imposé par nos sociétés dites développées… pensée pour les migrants obligés en vue de survivre plus que de vivre, risquant de mourir en chemin ou en mer, se coupant du cercle familier, parfois à jamais. Partir, une décision, un acte impactant... un bien pour un mal sinon l'inverse... bref un départ pour du mieux qui a un prix, un 27 septembre 1994. Une relation de ce voyage doit figurer dans mes papiers ou courriers tout comme quelques unes d’autres entre l’Europe et le Sud-Ouest de l’Océan Indien, plus espacées tant le voyage est devenu trajet. Sinon, à confondre, à oublier si rapidement, on en arrive à réduire à l’extrême le temps qui pourtant passe déjà si vite. Il y aurait suffi de noter... encore une capacité des écrits qui restent. Et cette fois, vu que la migration n’a pu se faire en 2024 pour cause de santé et que la chance qui s’en est suivie au prix modique de seulement dix-sept mois écoulés, inconcevable tant elle est trop belle, motive. Trop belle, oui, en parallèle à ceux qui luttent depuis des années, à ceux qui savent qu’ils doivent quitter ce monde. Pas de quoi s'emballer, tout n'est que sursis, tout peut aller mal du jour au lendemain

En attendant, le dire c'est manquer de pudeur. J’ai beau dire que c’est pour moi sinon mes fils, ma compagne, ma famille, nos descendants, nous regrettons tant ces blancs si courants dans la vie de nos proches, l’argument passe à peine comme circonstance atténuante ; plus acceptable peut-être, l’idée que toute existence ne s’inscrit que dans le flux des 117 milliards qui peu ou prou ont fait ce que nous sommes, et que le témoignage, serait-il personnel, se fait aussi au nom de tous ceux pouvant y adhérer, partager plus ou moins. Aussi, manière de relever toutes les différences formant néanmoins le groupe, l'occasion de méditer le mot de Jules Michelet  « Chaque homme est une humanité, une histoire universelle ». Chacun est un rien bien qu'unique, chacun est tout... 

Sans qu'on sache où elle ira, chaque trajectoire singulière ne laissera en définitive qu'une trace relative : pas de chemin, seulement un sillage sur la mer, l'image chère à Antonio Machado, l'intellectuel et poète remarquable amené à mourir en exil à Collioure, semble répondre à ce questionnement... 

« ...Caminante no hay camino, sino estelas en la mar... » 

Qu'il en soit ainsi plutôt que, pour reprendre la métaphore, un sillage moins éphémère d'hydrocarbures, de pollution, de réprobation morale marquant plus durablement la mémoire humaine.  

(1) à peine dévoilé par les cartes et écrits, au cours pas si anodin, relativement, de toute évidence pour ses riverains pérignanais : à une époque préromaine, par un étonnant souterrain n'a-t-il pas permis de drainer puis de mettre en culture l'étang dit « de Fleury » ? Ne rejoint-il pas la source qui lui donne son nom, accessible par un escalier et où les femmes puisaient encore l'eau dans les années 50 ? N'a-t-il pas, là où de nos jours, les lotissements se sont multipliés, accueilli nombre de potagers, si pratiques et productifs, en bas du village ? Sans aller dans l'anecdotique avec les petits profits jadis procurés : blèdes, épinards, pleurotes jusqu'à une eau claire que notre ami Louis s'est même risqué à boire alors, plus en aval, grâce à une pousarenco, un “ seau à balancier ” autrement dit « puits à balancier », cigognier, sigonho, gruo sinon chadouf (pour parler français), avant de rejoindre la plaine, n'a-t-il pas, en plus d'autres productions, offert à l'oncle Noé des comportes de melons ? (à lire, sur ce blog toute une série d'articles sur « Le ruisseau du Bouquet »)   

(2) pour ceux qui aiment lier hasards, aléas et coïncidences : à cause de la maladie, en 1861, de la soprano Emma la Grua, la création de l'opéra de Verdi, évoqué fortuitement ici, n'eut lieu que le 10 novembre 1862...