vendredi 10 octobre 2025

Février 98, une lettre journal de bord...

« Fleury-d'Aude, le 1er février 1998. 

Bien cher fils, 

Déjà un mois de 98 qui vient de se terminer. février s'annonce sous de bons auspices : la température est douce pour la saison et le soleil nous est revenu. Avec dix ou onze degrés et sans un souffle de vent — c'était marin aujourd'hui — c'est un peu de printemps qui nous arrive. les premiers amandiers sont en fleur — on en voit un par-ci par-là —. La maison est vite chaude? Nous avons fait une petite sortie à Bouïsset. 

Aux pins de Bouisset (écrit ici avec un « i » simple. Diapo François Dedieu 1973. 


[...] Lundi 2 février 1998. Journée maussade ce lundi : temps couvert, à peine une vague et timide percée du soleil et une belle averse vers 18 heures. [...] Il est maintenant 23 h 20 et il pleut toujours, doucement à présent. ce soir, un coup de fil surprise de Thérèse, la sœur aînée de mon copain de lycée Pierre Alias qui s'est noyé dans l'Aude, près du Païcherou à Carcassonne alors que le lendemain il aurait appris dans le journal sa réussite au baccalauréat. 

[...] Mardi 3 février 1998. La pluie continue toujours, et le marin également. 

[...] En classant mes vieux papiers à conserver dieu sait pourquoi — mais je jette tout de même un gros paquet de temps à autre dans le conteneur “ Spécial papier ” à Narbonne, ici ils ne sont pas capables d'en prévoir un seul ! —, je suis tombé sur mes lettres de sixième à la maison. J'allais alors sur mes douze ans et venait de passer, le 16 juin 1934, mon Certificat d'Etudes Primaires, que mamé Ernestine fit encadrer — c'était alors la coutume —. Et j'ai été vraiment étonné par deux choses : 1. le nombre de fautes graves que je commettais alors que j'étais un des meilleurs élèves de ma classe — mais j'y prêtais moins d'attention que dans les dictées, bien sûr —. 2. le fait que la lettre partait de Carcassonne et parvenait à Fleury — à cette époque, le tampon d'arrivée se trouvait obligatoirement au dos de l'enveloppe — le même jour ! ce qui est loin d'être le cas à l'heure actuelle. je n'avais jamais remarqué ce détail. De toute façon, ma première remarque sur les fautes nous enseigne à nous professeurs à nous montrer indulgents et modestes à l'égard de nos élèves surtout si leur langue vernaculaire n'est pas le français. 

[...] Mercredi, le 4 février 1998. Je pourrais ajouter que sur certaines “ missives ”, de Degrave le futur préfet ou Marcel de Roquefeuil qui s'en voyait avec les Alsaciens à Saverne — il faut dire qu'il était dans les impôts et qu'ils n'en payaient pas là-bas sous Hitler, chose peu crédible que j'ignorais —, au dos de ces enveloppes donc et écrit de ma main, je lis encore « Reçue le dimanche » ; c'est vrai que les facteurs — trois pour Fleury dont parfois, en remplacement, le frère de M. Sanchon, Etienne — assuraient deux tournées quotidiennes, une dans la matinée, la seconde l'après-midi, sauf le dimanche, où il n'y en avait qu'une; le matin. 

[...] 21 h 10. Nous avons lu tes deux épîtres et avons apprécié ton lyrisme. Je vois que tu lis mon “ journal de guerre ” qui est sans prétention aucune, où j'ai mis ma vie d'exil au jour le jour sans vouloir rien cacher — ce qui m'avait valu d'ailleurs la saisie par la Gestapo de mon carnet et mon séjour en prison en septembre 1943 : il faut que j'en rétablisse le début, d'où mes recherches dans les vieilles lettres pour éviter de “ broder ” malgré moi —. Je tiens à ce que vous connaissiez un peu notre existence pendant ces rudes années qui nous ont quelque peu volé notre jeunesse, parce que j'ai tellement regretté de n'avoir de la vie de mon père durant la Grande Guerre que quelques rares instantanés. Il s'était engagé en 1915 et fit ensuite partie de l'association « Les moins de vingt ans » ; il a été artilleur ; cuisinier un certain temps ; il a bu son meilleur champagne chez le vigneron, à Cumières, un tout petit village proche d'Epernay ; il a été à Verdun, mais où exactement ? Il n'écrivait pas pendant des semaines alors en première ligne, en plein danger ; sur plainte de sa mère — c'est la maman de Marcellin l'ancien maire qui écrivait les lettres — un haut gradé était venu le tancer et l'obliger à écrire sa lettres sous ses yeux : il l'avait prise et fait promettre de ne plus recommencer. Quelques autres détails encore mais tout cela reste bien sporadique et incomplet ; il m'arrive de regretter un peu. Mais qu'y faire ? » 

Confiant ce qu'on peut considérer comme un journal de bord, papa me prenait à témoin. Après le temps qu'il fait, le souvenir de son pauvre copain mort noyé à 19 ans (avec qui ils correspondaient souvent en languedocien), le courrier postal, son journal de guerre (1943), son père Poilu de 1915, poursuit avec Paul Valéry, un paragraphe faisant suite à cet article et que je me permets de commenter... La longue lettre se termine avec un paragraphe « J'ai un poil à ma zout » : 

À l'heure de l'électricité reine, le “ poil à sa zout ”... 


De s'être couché tard pour cause de Pierre Benoît, auteur qui sortait un roman par an avec une héroïne en « A » comme initiale... et renfermant chaque fois une phrase cachée de Chateaubriand (!), papa a oublié de fermer le robinet du poêle : 3 cm accumulés dans le cylindre de combustion ! Qu'y faire tout allumage étant à proscrire ? Eurêka il a dû dire sinon penser, en trouvant la combine pour, à force de patience prélever le mazout en trop grâce à une éponge au bout d'une ficelle : un succès malgré l'odeur dans la maison et sur les mains. 

Sacré papa qui sait prendre congé : 

« Voilà nos petites nouvelles, si l'on peut dire. Tu auras quelques minutes de lecture, sous ta varangue, accompagné du martin triste, du gentil margouillat (agame ou gecko ?) et de la chienne du lotissement par toi recueillie. Bien le bonjour à Gilbert et à bientôt de tes cogitations lyriques si intéressantes. 

Tendres embrassades, Papa. » (mentions manuscrites : François, Jirina) 

PS : la radio passe « T'en va pas comme ça... » (1963)... entre tant de choses me ramenant à papa toujours là bien que parti le 23 septembre 2017...    


mercredi 8 octobre 2025

L'artilleur, Cyrano, la vanille (fin de Coquet Lamy).

(pas un inventaire à la Prévert, seulement la fin de la lettre des 12 et 13 février 1998).  

« Vendredi 13 février 1998

Me revoici. Il est huit heures trente, je viens d'allumer le gros poêle resté éteint plusieurs jours. Il fait très doux en effet et sur la cheminée Louis XVI, le baromètre est rarement monté aussi haut pour le « Beau Temps » ; on nous promet encore quelques jours de douceur ; les amandiers fleurissent et le rose des “ amers ” rivalise avec le blanc des amandes douces ; nous avons connu pourtant des années plus précoces. 

Amandiers février 2017

Je pense que Stani doit procéder aux derniers préparatifs avant de rejoindre Istres. Trois sacs pour chacun des cent quarante-neuf partants, voilà de quoi échauffer les muscles quand il faut caser tout ça dans le camion. « Je dois partir vendredi 13 à 13 heures. J'espère que ça va me porter chance. » nous disait-il l'autre jour. Il vaut mieux le savoir dans un avion civil à destination de Djibouti puis en Transal vers La Réunion et Mayotte, que dans une expédition punitive contre Sadam Husayn. Notre gouvernement semble enfin avoir compris quelque chose ! J'apprends qu'aux Comores, les troubles reprennent à Anjouan. 
Pour le moment j'ai laissé « Les Noces dans la Maison » sur la cheminée. Ta relation de voyage ne manque pas de détails et avec une queue de 59 cm, ton espadon-voilier ne peut être qu'un beau poisson ! 
19h 40 : parti à 13 h, après Djibouti, Stani survole peut-être déjà l'Océan Indien. Quand tu liras cette lettre sûrement l'auras-tu déjà accueilli. Hier Olivier est passé : il aide papi Marcel pour une réfection du  plâtre dans la cage d'escalier. Comme j'ai trouvé, mardi à Bouïsset, mes premières asperges sauvages, il a dit qu'il irait aussi si le temps le permet. 

Tu nous dit que la “ tirade des nez ” manque dans ta bibliothèque, je vais te taper à la machine ce passage de la scène 4 du premier acte de « Cyrano de Bergerac », pièce magnifiquement traduite en tchèque par le poète Jaroslav Vrchlicky, de son vrai nom Emil Frida, né en 1853 à Louny et mort en 1912 à Domazlice. Et en vers, un vrai tour de force ! Monsieur Sochor, secrétaire à l'Institut Français de Prague en même temps que moi disait qu'il avait tellement aimé cette traduction que l'originale en français ne l'avait pas enthousiasmé (il connaissait parfaitement notre langue pour être resté de nombreuses années au Crédit Lyonnais. 

Pour cette fois ce sera tout (quatre pages A4 ! / note JFD). Nous te laissons à la joie de retrouver ton fiston, tu seras son cicerone pour les promenades dans l'île et les explications. Laeti qui prépare un partiel de langue tchèque a acheté un guide  1 Le Petit Futé, Country guide La Réunion / Mayotte ». Les dernières pages (177 à 212) concernent Mayotte. je lis page 207 : 
« Le petit village de Coconi abrite un lycée agricole et un jardin des épices qu'on peut visiter (se renseigner auprès du principal du lycée). En arrivant de Combani, quelques centaines de mètres avant le village, se trouvent sur la gauche les services de la DAF. Un grand bonjour au petit futé qui s'occupe de l'environnement et de la forêt, et qui organise le Mahoraid. Les services administratifs de l'agriculture occupent une très belle maison coloniale à la sortie du village, sur la route de Sada. C'est, selon Mayotte Vacances, la plus belle maison de l'île. La coopérative de vanille est installée à Coconi, à côté de la poste, après avoir longtemps été à Chiconi. On peut la visiter et selon les saisons, voir les différentes étapes du travail de la vanille, grâce à un champ de démonstration. Pour vous restaurer, n'hésitez pas à recourir aux gargotes des mamas-brochettes. »
Sui un encadré sur la vanille qui commence ainsi « La vanille de Mayotte présente le meilleur taux de vanilline de l'Océan Indien. » 

Musicale Plage, Mayotte. 

Mais tout cela m'entraîne trop loin. A la prochaine pour une suite éventuelle. A la fin du guide, une double page « Ecrire dans le Petit Futé. Pourquoi pas vous ? »

Le bonjour à Gilbert et autour de vous. 
Tendres embrassades de nous tous à vous deux. 
A bientôt de tes bonnes nouvelles. » 
Papa. (mentions manuscrites : maman Jirina, François)