jeudi 15 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE, André DAVID (2)

Et André qui nous complique si joliment la tâche à partir du moment où il faut s’engager en vue d’entrevoir l’originalité de la Montagne Noire, bastion avancé de la résistance à la surrection pyrénéenne. André David, si jeune dans le camp des 36 % entre 19 et 22 ans perdus pour le pays… Certes, mes deux grands-parents sans gueules cassées bien qu’au moral brisé au point de n'en pouvoir parler, ont eu la chance, chacun dans un camp adverse, de figurer dans les 64 autres pour cent qui en revinrent. Aridité, froideur des chiffres à côté de la flambée sanglante mais pathétique des coquelicots3… « ...il a deux trous rouges au côté droit »… Pardon, j’oblige André à rejoindre Arthur dans « Le Dormeur du Val »… et deux larmes aux coins mais à ceux des grands yeux mouillés, magnifiques, de Pénélope Cruz dans Volver, le film d’Almodovar que passe Arte ce soir et que je ne veux pas manquer… Je n’en suis pas à une digression près… Ne pas pleurer sur soi, sur ce qu’on a fait à la rigueur mais pleurer avant tout sur les autres.  


Planches de dessins de Léo DAVID (48 cm de long).


André David… Pour s’intéresser à la Montagne Noire, j’imagine4 qu’il est d’autant plus du coin que son père Léo David (1864-1952), professeur de dessin (peut-être trois années avant sa mutation à Libourne, en 1896, a enseigné en 1893 au collège de Pézenas que je devais humblement fréquenter près de 70 ans plus tard… pardon d’encore profiter des coïncidences comme faire-valoir !), son père donc, va courir, trois étés durant, tous les sentiers du fils, pour en tirer plus d’une centaine de vues dessinées. Si je n’ose pas m’embarquer vers le déchirement à vie d’un père qui perd son enfant (c’est déjà terrible seulement de penser que ça peut arriver)… une douleur qu’on pourrait ressentir à travers les innombrables traits minutieux de ses vues de la Montagne Noire… il faut arrêter d’imaginer même si on garde ses suppositions pour soi. 


Village de Pradelles et Pic de Nore 2006 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jcb-caz-11

Mulets de l'armée suisse 1979 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Sonderegger Christof

3 Sans parler du symbole à rapprocher du bleuet d’une France allergique au rouge rappelant trop la Commune de Paris, la Semaine Sanglante (fin mai 1871), je veux encore relever dans les forums honorant les mémoires de 14-18, des relations plus sensibles relevant, après nos morts et blessés, des mêmes épreuves pour les équidés, ici, dans les Vosges, les mulets. Un journal de campagne, en effet, plus réceptif aux détresses et à la douleur des animaux, au delà des blessures et des morts, mentionne, en outre, que le caporal muletier J.F.M. a été cassé de son grade pour avoir toléré que les hommes prissent pour leur usage personnel, les couvertures affectées aux mulets… Tous n'étaient pas insensibles aux souffrances des animaux auxiliaires. 

4 J’imagine d’autant plus naturellement que mon grand copain José (1949-2024) se nomme David, qu’André David (1917-1987) était peut-être son père, qu’un autre André David (1929-2010) m’a laissé le bon souvenir d’un homme aussi souriant qu’avenant (il habitait, sauf erreur, impasse de la Couveuse) et qu’enfin, je n’oublie pas François David (1908-1993), de Vinassan, le dynamique « papé rambal » d’une disruption toujours gaie, grand-père de mon ex et avec qui j’ai partagé une même affection.


mercredi 14 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE. André DAVID (1)

La Montagne_Noire sur la carte du Massif Central  under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license. Auteur Technob 105

Accrochée au Massif Central1 pour en être la pointe extrême du rebord oriental (longtemps appelé Cévennes), soulevé par les Alpes et ici par les Pyrénées, elle fait de l’Aude le second département sur deux systèmes montagneux2. Cette approche valait-elle de figurer dans le ressenti subjectif de ce quadrant Sud-Sud-Ouest de mon ancrage ? Jusque là, pas particulièrement. Il y a fallu encore un hasard, une coïncidence, une opportunité, que dire encore, un accident heureux dans l’exploration de l’intimité intellectuelle de mon père… une prospection qui hélas ne peut se conduire que post mortem, avec une dérangeante sensation de légiste sinon de découvreur de trésors autour d’une momie... 




C’est une large armoire plutôt pas sculptée comme le buffet d’Arthur Rimbaud, bien qu’elle ait aussi de lourdes portes à glaces ; mon père ne me les a jamais ouvertes. Néanmoins, les années filant, s’il m’est arrivé de l’ouvrir en passant, cette fois j’ai tourné la clé avec une impatience de découvreur… une caverne d’Ali Baba, deux, voire trois rangs de livres parfois avec celui caché par ceux devant ! 500 peut-être 600 ouvrages dont une collection d’une grosse centaine d’exemplaires, soigneusement recouverts de ce papier bleu d’une bibliothèque de classe primaire, aux étiquettes méticuleusement collées, bien droites tant sur le plat de devant que sur le dos, un soin des plus pratiques permettant de savoir le titre sans avoir à sortir l’objet de l’alignement. 


et toujours impeccable 84 ans plus tard... 


N° 102 André David, LA MONTAGNE NOIRE… 1941, la date, ne correspond pas à 1924, année d’édition.

André DAVID passe les grandes vacances de 1913 à courir la Montagne Noire, à noter sur un calepin, à dessiner, à prendre des photos. L’hiver qui suit, il complète sa quête dans les archives et bibliothèques. Profitant des trois semaines à Pâques, il finalise un travail remarquable même pour les parties seulement résumées.

Hélas, en regard des plus de deux millions de morts et disparus français, André, né en 1893, est tué le 8 mars 1915 dans sa vingt-deuxième année, sur le front des Vosges. Je ne pouvais ne pas ouvrir cet énième tiroir qu’il serait indécent de trouver digressif… Accompagnant chacun de nous, c’est tout un bataillon apparemment disparate qui va nous accompagner et enfler au fil des âges jusqu’à partir avec nous, possiblement transmis ou sombrant pour un temps sinon à jamais… Me concernant, c’est l’histoire de mes grands-pères et même d’un arrière-grand-oncle en bas de l'Hartmannswillerkopf. Une transmission amorcée par le géniteur avec, pour le descendant, la clause morale, la responsabilité d’apporter sa pierre sinon, a minima, de passer le relais… L’armoire, on dirait, du noyer « Très vieux… » tel le chêne du buffet à Rimbaud, et « qui a pris cet air si bon des vieilles gens… », enfin, cet air si bon et complice de papa, pas vieux du tout pour avoir gardé un allant vital constant que seul un traquenard du destin sut mettre à bas, à quatre-vingt-quinze ans passés. (à suivre) 

1 Défini en tant que « Groupe de hautes terres » par le géographe Paul Vidal de la Blache (1845-1918), natif de Pézenas et qui le nomma « Massif Central ».

2 Le premier étant le Haut-Rhin, à cheval sur les Vosges et le Jura.