vendredi 21 février 2025

HENRI BOSCO pour des coïncidences trop convergentes...

Mu comme par un instinct, mon fond scribouillard profondément sudiste essaie de se retourner sur ce que la Provence du Rhône a inspiré. Avec l'article un peu contraint sur le Luberon, en mentionnant Henri Bosco, pour avoir seulement papillonné sur ses écrits, suis-je autorisé à le considérer en tant qu'écrivain marquant ? Retenir les balancelles roses du Golfe du Lion, se souvenir de l'âne culotte, revivre une émotion d'ado grâce au prénom aimé de Geneviève (1) du Mas Théotime, n'y suffisent pas ; d'avoir oublié Malicroix à propos de la Camargue, d'avoir éludé Bosco à Avignon appuient d'autant plus sur ce ressenti coupable. 

Henri Bosco écrit under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license 2014 Auteure Souricette-du-13

Bosco, ce sont d'abord des souvenirs confus, scolaires avec quelques pages seulement de « L'Enfant et la Rivière ». Des passages qui ont néanmoins compté dans mon plaisir de la géographie à travers la Durance, fille sauvage de Provence. Ensuite, c'est « Le Mas Théotime » juste parce que j'ai dû lire quelque part qu'un des personnages se prénomme Geneviève. Au lycée elle est une camarade de classe sauf qu'à trop vouloir se retrouver, dire “ camaraderie ” ne dit pas tout et qu'il y a un peu de ce que les autres prétendent voir et comprendre. Bien sûr qu'il y a entre nous une complicité, une attirance amicale. Manquant de lucidité pour un sentiment qui ne lèverait pas, restant dans l'amitié, j'ai longtemps cru être dans l'attente d'amour, avant de convoler ailleurs, d'engager ma vie d'adulte pour fonder une famille... 

Dans « Le Mas Théotime », fantasque, mariée mais en rupture de ban, la cousine Geneviève fait irruption un jour auprès de Pascal, le propriétaire. On attend l'amorce d'une histoire d'amour, potentielle, qui par le passé eût pu aboutir, avec ses moments mais toujours avortée, impossible. Geneviève partira loin et Pascal mariera Françoise, la fille du métayer, douce terrienne sans complications, patiente pour la moisson, la vendange, l'offrande de son amour paisible donnant le change après l'orage d'une passion destructrice. 

Même la couverture illustre l'emprise générée par ce roman. Le Livre de Poche ne mentionne pas l'auteur. Nous la devons à Roger Bezombes (1913-1994), peintre, graveur, sculpteur, illustrateur de livres. Le même patronyme que monsieur Bezombes, surveillant général du collège de Pézenas, qui sauf erreur, était d'Aniane... Encore une coïncidence...  

Cinquante huit ans plus tard, en plein covid, j'ouvre et je relis le livre en moquant celui que je fus « Bien sûr que je croyais seulement être amoureux, bêta que j'étais ! ». Pourtant les pages, se font plus difficiles à tourner, plus lourdes de tout ce qui revient en mémoire et refait battre le cœur. Au seuil d'une histoire qui n'a pas fleuri, ne pouvant retrouver sa piste, je la cherche encore même si elle est loin... Est-elle vivante au moins ? Où vit-elle ? A-t-elle des enfants ? un mari ? Son allure, son visage, sa voix, son sourire sont là, ses dix sept printemps restent nets dans mes limbes... Et moi je retrouve ma vingtième année... 
... « ... Cependant, à présent que je suis devenu vieux, très vieux, je dois confesser que de tous les visages du passé, celui que je revois le plus distinctement est celui de cette fille, à laquelle je n'ai jamais cessé de rêver pendant toutes ces longues années. Elle fut le seul amour terrestre de ma vie, et pourtant je ne savais, et jamais je ne sus son nom. » Paroles finales d'Adso de Melk dans le film « Le Nom de la Rose » (2).   

Les ouvrages de Bosco expriment un pays de naissance et de vie connu en profondeur, un terroir ouvrant sur l'universel et que seul un parisianisme borné voudrait cantonner au régionalisme fermé. Il a souvent écrit sur la Provence depuis le Maroc (il y poursuivait une brillante carrière d'enseignant), comme quoi ni le temps (tant que la vie est là), ni l'espace, ne sauraient dissiper un ancrage profond, qu'il soit vers un être ou un coin de Planète Bleue...  Bosco aime le passé ; pour lui, le souvenir c'est la fidélité, fidélité à l'enfant qu'il fut et à la langue provençale qu'il pratique avec les parents et ses tantes : tout est dit pour qu'il soit un de mes écrivains préférés et, faut-il l'avouer, pour confluer, serait-ce modestement, dans son sillon...  

(1) Au revoir, Geneviève de Fleury (71 ans), fille de Fifi et d'Alban, un de nos coiffeurs d'alors.    

(2) Encore un hasard de coïncidences, bien que située en Italie, la trame du film est historiquement languedocienne. Sean Connery dans le rôle de Guillaume de Baskerville joue en réalité le rôle de Bernard Délicieux, qui, au début des années 1300 dans le Midi, a défendu les Bonshommes prétendus hérétiques ainsi que les béguins dissidents contre Bernard Gui, évêque de Lodève.   


mercredi 19 février 2025

LUBE, LUBÉ... LUBÉRON, LUBERON.

Grand ou Petit sinon oriental, le Luberon, un arrière pays émergeant souvent des œuvres de Giono, Bosco, Pagnol, rapport au peuplement puis à l'exode rural, reste connu pour avoir accueilli nombre d'artistes et d'auteurs depuis des décennies. Comparée à l'attraction exercée à titre particulier par les villages de la Provence Rhodanienne, cette concentration de privilégiés explique peut-être un a priori négatif. Sans aller jusqu'à cataloguer que tout ce qui est excessif est insignifiant, j'y vois la raison d'une gêne. Néanmoins, cette indisposition me pose problème vu qu'outre la nature tant géologique que climatique, au moins deux auteurs appréciés plaident pour ne pas rejeter le Luberon, à savoir Bosco et Camus. 

Au cours du XXème siècle, le Luberon a vu arriver en villégiature nombre de politiques, d'acteurs du cinéma dans tous les sens du terme, des médias, des chanteurs, peintres, photographes, architectes, une marge de gens fortunés, qui ont réussi.  

Si les débuts du mouvement étaient marqués par un esthétisme lié au retour à la terre, à l'intérêt pour une nature géographiquement marquée, la décentralisation de la saison théâtrale à Avignon et alentours initiée par Jean Vilar dès 1947, va accélérer un mouvement de personnalités plus connues, plus en vue ;  les locaux, eux, parfois de retour aux origines, au village d'où les aïeux émigrèrent pour plus de commodités, se mêlent aux célébrités pour le pastis, la pétanque sinon au marché ou chez le boulanger. Lors d'une troisième vague, le paraître, l'entre-soi, la frime, le fric ont prévalu, transportant pour quelques mois au plus les mondanités parisiennes... Une “ faune ” étrangère à un art de vivre local, à une culture sudiste, aux paysages typiques si bien dépeints par Van Gogh ou Cézanne. Après les maisons serrées des villages perchés, est venu le temps des piscines pour les invités. 

Bonnieux_au_coeur_du_Luberon_(Vaucluse) 2017 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Mathieu BROSSAIS

Parmi les villages les plus prisés suivant les périodes, Gordes, Roussillon, au nord du Calavon, Oppède, Ménerbes, Lacoste et Bonnieux au sud de la rivière, sur le piémont septentrional du petit Luberon ; Lourmarin, versant sud, tourné vers la Durance, particulièrement cher à Bosco et Camus. 

Depuis en gros les années 2000 la vogue est à revendre dans le Luberon pour d'autres arrière-pays de soleil, de garrigues sur le pourtour méditerranéen. 

Alors, parler du Luberon malgré un a priori négatif  sinon une répulsion initiale ? oui, par considération et respect pour au moins deux écrivains, Bosco, Camus. 

Henri_Bosco_(cropped) 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Souricette-du-13

Henri Bosco (1888-1976) s'est partagé entre les hauteurs de Nice et Lourmarin qu'il a aimé en tant que terre inspirante de faune sauvage, de mystères, de paysans, de vignerons. Des agriculteurs paisibles ont succédé aux réfugiés divers venus trouver ici refuge à cause de la religion, de la conscription systématique sous Napoléon, aussi pour résister à l'occupant allemand. Bosco relevait le côté sévère du Luberon à côté de la Provence ouverte de Daudet, avec, entre les deux, Pagnol venu tourner à Grambois et Vitrolles-en-Luberon (« La Gloire de mon Père », « Le Château de ma Mère », le cadre de « L'Eau des Collines » évoquant aussi cet arrière pays provençal). 
Bosco a voulu que ses cendres reposent à Lourmarin, là où vécut son père. 

Albert_Camus,_gagnant_de_prix_Nobel,_portrait_en_buste, 1957, domaine public Author Photograph by United Press International

Albert Camus (1913-1960). Dans le monde de la culture, il a fait l'effet d'une étoile filante. Bien qu'alourdie par les malheurs et la pauvreté originelle de la famille, avec les honneurs, sa vie a versé dans la bulle des privilégiés suivis en Provence, paradoxalement grâce à René Char. Jusqu'à une fin prématurée. Tout est lié : son œuvre chez Gallimard, son amitié avec Michel, le neveu héritier de la société d'édition, la maison achetée dans le Luberon, ses positions courageuses d'écrivain engagé, le retour vers Paris, enfin, le terrible accident de la Facel Vega avec Michel Gallimard au volant, après Pont-sur-Yonne (4 janvier 1960 / les passagères arrière sauves).   

Source principale : Mappemonde 3 / 97, Le Luberon, refuge d'artistes, Cécile Helle.