Serait-ce “ nécromancique ” d'aller taper épisodiquement un nom en mémoire pour savoir s'il est toujours vivant ? Non, pas ce genre de curiosité mais plutôt s'il vous a marqué, parce que les autres, même morts, seraient encore capables de nous gâcher la sérénité... Allons, ne soyons pas si tranchants, n'en soyons pas si convaincus... Soit. Heureusement, les enseignants finalement sont plus nombreux que ce qu'on croyait à avoir ressenti avec sérieux et bienveillance le pouvoir démesuré qu'ils détiennent sur la personnalité en gestation de l'enfant, de l'adolescent fragiles, qui vont vers leur forme d'imago, n'en serait-elle jamais définitive. Non, l'intérêt qui est porté à ce nom recherché révèle un attachement touchant à un sentiment de quelque chose, jusqu'à une émotion, expression d'une certaine affection.
Si la recherche aboutit, encore faut-il ne pas faire erreur sur la personne... C'est vrai que les avis de décès sont souvent lapidaires, comme s'il fallait aussi enterrer la vie du décédé, ne pas surcharger avec les vivants pressés. Ici, au contraire, dans la circonstance qui me pousse à réagir, l'avis d'obsèques du Midi-Libre, l'ouverture aux autres de la famille, apaisent une frustration, hélas, souvent habituelle.
Le 19 février 2024, le journal (je suppose qu'il en était de même, parallèlement dans l'Indépendant) annonçait les obsèques de Marcel Sinsollier, 92 ans. Le nom, certes, mais est-ce bien la personne ? Si la profession, active ou passée, était mentionnée, est-ce que ce serait trop demander ? Ce n'est pas en raison d'une hiérarchie arbitraire entre métiers, mais si le mot “ professeur ” figurait, en rapport avec ce que je disais de l'influence des enseignants ?
Par l'entremise du Net, et c'est heureux, en plus des bougies, des fleurs sinon d'un arbre à planter, figure la rubrique « Hommages et messages... », « ... à Marcel Sinsollier » qui plus est, une formule bien sentie. Au milieu des condoléances, de l'émouvant hommage de Gisèle, une nièce ensoleillée depuis son enfance, par ce tonton aussi distingué que gentil, les témoignages d'anciens élèves confirment : Sinsollier a bien été mon prof d'Histoire-Géo, en troisième, au lycée-prison-Napoléon III Victor Hugo, à Narbonne.
2021 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Mf-memoire. Boulevard Marcel Sembat Narbonne, Lycée Victor Hugo (alors de la 6e à la Terminale) ; dans les années 60 l'aile nord-est (où s'engage la voiture après le rond-point), ne comportait qu'un niveau peu assorti à l'ensemble. La classe et le gymnase concernés se trouvaient dans le coin diagonalement opposé à celui de la photographie. |
Oh ! n'allez pas en déduire à de l'irrespect de ma part, surtout pas. Officiellement, bien sûr, nous disions « Monsieur Sinsollier » et « professeur ». Mais entre nous, ce “ prof ”, c'était “ Sinsolle ”... mais c'était dit avec estime, égards. Sans partager l'opinion toute faite de nombre de censeurs dans l'âme, à contre-courant des codes déshumanisés, lui, avait les mots pour mettre en avant le positif quand tous les autres jetaient la pierre... Il savait remettre à sa place, mais sans en faire un drame, jusqu'à en plaisanter même, celui qui n'ayant pas fait le travail, racontait des histoires (2). Dans une salle infecte (1), sentant encore le cambouis d'un ancien garage avant, sous la haute et chiche verrière glauque faisant honte au bleu du Midi, lui, rayonnait par sa voix directe, sa droiture, son maintien impeccable, son attitude sans ambiguïté aucune. Une autorité juste et sereine que personne ne se serait amusé à contester...
Il a fallu qu'il meure pour que je sache son prénom : « Marcel » (il nous avait alors seulement dit une fois qu'il était officier de réserve) (3). Il a fallu qu'il meure pour que je sache qu'il était de novembre 1931, né à Oran, comme son père, je suppose, né en 1910. Il a fallu qu'il meure pour que je réalise qu'ils ont sûrement connu la Guerre d'Algérie, l'exode des Pieds-Noirs... que mon professeur enseignait une Histoire peut-être vécue dans sa chair...
Qu'est-ce que je vais mettre comme hommage ? que ce soit sobre, puisque, qu'on le veuille ou non, rendre hommage à quelqu'un conduit à se mettre en avant. Oh comme il m'a fait aimer la géographie, cet homme ! Comme hier, je vois nos schémas en 3D du relief karstique, des cluses du Jura... plus impartial pour mon travail, je réalise que j'abusais des premiers feutres de toutes les couleurs, c'étaient trop d'ocres, de jaunes, d'orangés et monsieur Sinsollier qui se gardait d'y trouver à redire et complimentait plutôt pour la perspective et le soin apporté. Bien sûr qu'on aime faire plaisir à qui vous le rend bien !
Je me garde pour moi que ce matin, lors d'une explication pour expliquer qu'à parler du Sud, je suis moins sensibilisé aux beautés trop voyantes en paysages, en personnalités, de la côte sud-est, d'Azur, tout à coup, en hésitant sur le double “ l ”, qu'est-ce qui m'a pris d'aller taper « Sinsollier ». Pour “ le Jack ”, Jalaguier, encore un de ces professeurs qui comptent, je savais déjà. Désormais, pour Marcel Sinsollier, je sais. Toutefois, paraissent aussi les prénoms des siens... cela n'a rien d'un voyeurisme surtout touchant aux petits-enfants : Emmanuelle, Pierre, Marc, Thibault, Lauryne, Arthus et Nicolas... J'idéalise peut-être mais un papi pareil, quelle chance ! (4).