dimanche 29 mai 2022

L'ÂNE de mamé Antoinette / Présentation.

 Les ânes... Pour Porfiri Pantazi, le "Russe" de Pérignan, les déclinaisons phonétiques du mot "âne" relevaient du mystère. Quand devait-il dire un "nâne", des "zânes", un petit "tâne" ? C'est vrai que les "zânes" restent des compagnons de travail parfois durement traités, par exemple en Afrique. Chez nous, l'égoïsme a vite mené à les gommer des mémoires comme on l'a fait ensuite des chevaux de trait, compagnons de travail pourtant livrés aux bouchers... Néanmoins, en retrouvant un bon cap, une question grave de vie ou de mort, cette Histoire qui est la nôtre n'a pas dit son dernier mot...  

C'est que, petits, notre première rencontre avec lui a eu lieu pour Noël : l'âne est à l'honneur dans la crèche. 

Ensuite à l'école "J'aime l'âne si doux marchant le long des houx..." du poète Francis Jammes qui les aimait au point de vouloir être accepté dans leur paradis. 

Troisième rencontre, à Pézenas, rappelant Cadichon de la Comtesse de Ségur, puisque, avec Jacky le copain de classe, on l'a promené sous les grands pins du parc, au domaine de Grange Rouge, la propriété des grands-parents Lapointe. 

Puis, il y a Hugues Aufray 
"... en Provence, 
Au milieu des moutons, 
Dans le Sud de la France, 
Au pays des santons..." 
La fin quand même, il aurait pu ne pas en rajouter, parler de la mort suffisait à bouleverser les petits. A propos, au pays des santons comme en Italie, ne vend-on pas du saucisson d'âne ? 

Et puis, ces jeunes mariés au pays des maisons blanches rehaussées du rouge des géraniums. Ils vont à la corvée d'eau, c'est touristique presque d'accompagner les ânes sauf que le second bloque des deux fers, dans un refus typique de l'espèce. Demi-tour du marié devant, pour le cas pas exotique, qui enfant fit ses classes auprès de l'abuelo (le grand-père) : quelques claquements de langue et plus de problème pour arriver au puits.    

Un jour, devenu adulte et curieux de lectures, on aime cette traversée des Cévennes de Robert-Louis Stevenson en équipe avec Modestine la petite ânesse si docile et serviable. 

A quelque temps de là, à nouveau dans la vie vraie, c'est mamé Antoinette pour les quelques années à la ferme avec un âne au caractère bien trempé. On va parler de leur équipage à part tout à l'heure. 

« S'il vous plaît, dessine-moi un poisson ! » (A. de Saint-Exupéry). Grains entiers frits wikimedia commons Auteur Superbass

Par la suite, comme une parenthèse triste avec d'un côté des êtres transportés de progrès mais inconscients des dégâts collatéraux à la nature et si oublieux dans leur ingratitude envers tous ces compagnons de jadis, ânes, mules, chevaux jusqu'aux cochons et aux volailles et pigeons. Il en fallut du temps pour que l'instinct de conservation ne nous ramène à un mea culpa de meilleures intentions : les municipalités ont installé des petites fermes pour que les enfants sachent de quoi ont l'air tous ces animaux domestiques jadis familiers. Peut-être la hantise du "Dessine-moi un poisson !"...  


  
L'an passé, dans les photos en noir et blanc de nos papiers, j'ai trouvé un petit âne gris certainement des années 50 - début 60. Était-il lié au vieux Cazal qui, au village, promenait ainsi sa carriole à peu près à la même époque ? 


Toujours l'an passé, au bord de l'Aude, un âne parqué (ou était-ce une dame ?) venait jusqu'à la clôture pour saluer les promeneurs. Devais-je lui dire que son coin "Nego saumo" n'était pas favorable à son espèce puisqu'au moins un jeune âne s'était noyé par là ? 

Equidae_Equus_africanus_asinus wikimedia commons Auteur NasserHalaweh

Voudrait-on les reléguer aux oubliettes qu'ils viennent poser leur tête sur notre épaule. On parle d'un élevage d'ânes à Coursan, à l'honneur ce mois-ci sur Audemag du Conseil Départemental. 



Raison de plus pour parler de l'âne de mamé Antoinette, une brave femme qui vivait à Vinassan, du côté de la cave coopérative ou du moins de ce qu'il en reste, s'agissant, bien que déplacée, d'une fontaine artésienne. (à suivre)


samedi 28 mai 2022

Mayotte, petite île, mais dans son océan, comme Cendrillon chez son prince (2)

Attention, avec le découpage de ma chronique en trois volets c'est X dès les premiers mots !  

... les tétons durs jouant les essuie-glace sur ma poitrine. Olivier n'avait que 50 ans : une insuffisance l'emporta. Mort aussi le Lazaré, entreprise à toucher des gains et néanmoins repaire de plaisirs solidaires. Mieux vaut ne pas aller voir ce qu'il y a à la place, l'ère du béton a sabré le rapport séculaire d'un rouge latérite lié aux verts profonds de la forêt primaire, aux clairières défrichées où la lune qui fait pousser éclaire, une lune, jadis égayant le petit peuple entre animisme et islam mais qui ne compte plus que pour rythmer les phases du ramadan. 

Qu'est-ce qu'il a chanté Lama, dans la mesure où je ne relève que ce qui me recoupe ? "Une île, entre le ciel et l'eau... tranquille comme un enfant qui dort... fidèle à en mourir pour elle". Comment ne pas évoquer, d'ici, épaulés par quelques relais en métropole, ces hommes et ces femmes qui ont sacrifié leur personne à la cause de Mayotte secouant des chaînes qui sonnaient il n'y a guère, au cou et aux pieds des esclaves déportés d'Afrique ? Des militants de sangs mêlés, prouvant aux simplistes partiaux que la couleur de peau, la religion, ne peuvent piquer qu'au ras des sensitives. Des chatouilleuses pour repousser les envahisseurs, des agitateurs, des orateurs pour mener le peuple, des leaders parce que pour eux, rester français c'est être libre. Une lutte de 55 ans pour arriver au département, le 101e ! Dans les lacets de cette montée au surnom plaisant de "Tourmalet" (70 m seulement mais un mur et cinq têtes d'épingles !), montant sur le plateau de Barakani, dans les bambous et la majesté des frondaisons, ils restent présents, ils vivent en nous. Il faut le dire à nos enfants ! 

Dimanche, cela fera peut-être une trentaine de fois que la route me fredonne tout ça, et pour cette énième fois, plutôt que de se soumettre à la force de l'habitude, le murmure deviendra grondement jusqu'au plus profond de mon être parce qu'une petite voix me force à l'écrire et que même ébranlé, j'ai un peu la naïveté de croire que ça peut me guérir. Le col d'Ongojou, là où la route passe un des rachis volcaniques coupant l'île en petits bassins. Au levant le versant à l'alizé, au couchant, l'autre plus gras des vents de mousson. Des deux côtés, le lagon, pour la joie des enfants mais sur les plages fréquentées seulement. Plus question, en effet, de chercher la crique pour Robinson ou celle des amoureux. Dans les phases aigües, l'insécurité violente a même amené les gendarmes à accompagner des groupes constitués de promeneurs invités à faire connaître à l'avance leur balade. 



Ongojou : là-haut, le vieil Ali fait corps avec son champ. Ses ylangs alignés embaument mais la fleur se ramasserait à perte, d'ailleurs il a démonté les rigoles de bambous pour l'eau de l'alambic, il a vendu les cuves. Qu'importent ces quelques sous, l'inquiétant est qu'on ne vit plus en paix dans ce paradis perdu. Une année on lui a razzié les vaches, quelques mois en arrière, ce sont les chiens errants qui lui ont dépecé un veau vivant, régulièrement des cocos, des régimes de bananes disparaissent, il y a quelques jours un grand avocatier a été dépouillé, des fruits par la suite vendus au bord de la route. J'en oubliais la phalange qui lui manque, alors qu'il gardait un lotissement de wazungus, de Blancs... cela marquait les débuts d'une violence parfois sanglante (années 2000), l'insécurité des braves gens qui se mettent en cage derrière des barreaux aux fenêtres, des portes en fer, les descentes en brousse de bandes de voyous, les attaques, la nuit, des barreurs de routes, les enfants des rues en maraude qui deviennent de jeunes adultes meurtriers comme ces chiens errants. Sur la parcelle mitoyenne issue du partage, son frère presque aussi âgé, ce ne doit être qu'une coïncidence mais qui vient de perdre son fils d'une quarantaine d'années, tué à la machette par une meute d'enfants-loups. Est-ce par fatalisme que ces faits plus que divers n'entament pas une dignité non seulement sans haine mais silencieuse qui plus est. Et s'ils aiment la France, c'est malgré nos dirigeants politiques pourtant si imparfaits. Un Etat si déloyal envers ses gens simples et respectables et trop enclin à servir les gros intérêts... (à suivre)