mardi 19 avril 2022

LESPIGNAN, étang de la MATTE (2)

Avec la pluie de grenouilles qui va impressionner les enfants, on peut encore leur raconter la pêche miraculeuse d'Adrien qui, sous le pontil, à l'aide d'une comporte, faucha des dizaines de muges. Ce qui suit, par contre, n'est pas pour eux, ça les perturberait... 

En hiver, un brouillard couvrait parfois la plaine, plus mystérieuse encore avec, sur le tronçon en "S", le long des hauts murs du parc de Clotinières, le domaine à cheval sur la plaine et les garrigues, l'apparition fantomatique de la Dame Blanche (ah si elle avait traîné plus loin, cette fois là, pour protéger papa !). Floue de ses longs voiles mais bienfaitrice, d'après ceux qui s'affichent en témoins directs pour y avoir échappé, elle alerte le voyageur sur un possible accident. Aussi, une flopée d'oreilles plus ou moins perméables à l'occultisme relaient la rencontre brumeuse... Les gens de nos villages en ont entendu parler. 
Pour ceux qui croient aux pouvoirs surnaturels, dans le village même de Lespignan, en contrebas de la tour du château, quelque part aux abords de la brèche percée par la route de Béziers dans les remparts de jadis, en haut de la côte, toujours une dizaine d' autos garées, dès l'aurore, pour une consultation chez un sorcier, un mage, rebouteux peut-être, réputé, qui, à force d'endosser les mauvais sorts, en mourut pas vieux encore... 

C'est quelque chose, cette route de Lespignan ! Avec les années, on apprend que les trois dos d'âne passent sur des canaux, quoique, pour le premier, je me demande, le deuxième par contre, est appelé canal des Lintostes et rejoint l'Aude, le troisième, canal de la Matte, part de l'étang éponyme et va jusqu'à celui de Vendres. Avec celui de Capestang, ces trois marais plus ou moins étendus, écrêtent relativement les crues de l'Aude et relèvent aussi d'un équilibre biologique incluant une protection du milieu tenant compte des activités humaines. 

Etang_de_la_Matte Lespignan wikimedia commons Auteur JYB Devot

Pour cette eau qui remplit les trop-pleins en hiver et garantit la survie de la roselière et des prairies humides, il faut curer les prises d'eau à Aude, les fossés. Au printemps il faut graduellement assécher, ce qui permet d'accéder aux vignes auparavant submergées et aussi aux prairies où les moutons seraient utiles pour éviter un ensauvagement broussailleux. Il faudra bien aussi légiférer pour canaliser les intrusions anarchiques, de motos furieuses, de camping-cars, de fouineurs aussi même nos gentils promeneurs et photographes qui peuvent déranger des animaux de plus en plus rares. Et puis ne faut-il pas contrôler et même éliminer ce que la quête sans fin du profit a amené collatéralement : les ragondins, les écrevisses par exemple, parmi les végétaux, le lippia canescens (1), pas consommé par le bétail, particulièrement invasif dans la basse vallée de l'Aude, la jussie, amenée dans le Lez (abords de Montpellier) au XIXe, qui envahit et étouffe toute biodiversité (il faut arracher plusieurs années durant). Et ces espèces liées aux changements tant climatiques que d'occupation par l'homme du milieu : sangliers, goélands leucophées ou autres ibis sacrés... 



Dans ce monde qu'on dit seulement de progrès et bien être, pauvres de nous qui n'avons plus que quelques bribes de la sensualité rustique de Brassens aux lèvres, nostalgie des narcisses du pont de la Muscade dont on voudrait continuer à respirer le nom à plein nez avec le souvenir d'une qu'on a aimée. Et puisque nous sommes à Lespignan pour ses espaces naturels, à l'autre bout du canal de la Matte, à l'entrée de l'étang de Vendres, plein de poésie aussi avec les prés qui le disputent aux vignes descendant des coteaux, un pont des Pâtres, au nom apparemment banal et bucolique mais plein de la curiosité gauloise et sudiste des hommes pour une pastresse, sur cette rive ou l'autre de la rivière, qui, à l'insu ou non du berger, en aurait affriolé et peut-être contenté plus d'un... Aucun rapport avec un couple de migrantes, les grues cendrées que j'y surpris en fin d'après-midi, un jour de route buissonnière après le boulot... 

Et dire que le beau film russe "Летят журавли" (letiat jouravli), parlant des grues qui volent a été pudibondement traduit par "Quand passent les cigognes" ! L'auteur de la traduction pensait-il qu'une grue ne peut être qu'une cocotte ?    
  

lundi 18 avril 2022

Pays de loin, pays de près, LESPIGNAN (1)

L'Aude, il paraît, serait une frontière naturelle dans le sens sud-nord, ainsi certaines espèces seraient restées bloquées, du moins longtemps cantonnées en deçà du fleuve. Avant 1800, pas un seul pont ! A Fleury, pour aller vers Lespignan, un bac avant le pont suspendu puis l'actuel, depuis 1930, en béton Portland-Loisne et même "super-Loisne" pour l'arche ! Est-ce pour cette raison que dans notre langue maïrale, à sept kilomètres à peine, ce n'est pas le même mot pour dire le chien ou le balai (ca pour gous, balajo pour engranièiro) ! 


Sans quoi, en guise de rivalités historiques, pas plus qu'entre villages audois, ce droit de regard machiste, abusif et ringard sur les filles qui se mariaient ailleurs, le rugby penchant pour Narbonne ou Béziers, la pêche à la rivière suivant la rive occupée... Relevons plutôt les connivences et le vivre ensemble : à Aude, le canardage à coups de tures (mottes de terre) des "Parisiens" qui avaient la bonne idée de déranger pêcheurs et poissons en remontant le fleuve au moteur, à la mer, la cohabitation amicale entre locaux, Fagots, Coursanots, Vinassanots, Nissanots, Lespignanots... chez les garçons la camaraderie avec les "frères" de Clotinières qui passaient aussi l'été à Saint-Pierre. 

N'hésitez pas à compléter voire à reprendre, à me reprendre, témoins directs ou non de ces années 60 (on ne répond, on ne corrige que ceux qu'on aime)... 


Avant, vers les coteaux où se niche Lespignan, il suffisait de passer le pont (1) ; l'ancienne route tournait de suite à gauche (il en reste des traces). Bien sûr la saignée de l'autoroute (ah s'ils l'avaient prévue ailleurs... pardon d'être aussi égoïste que concernant l'implantation d'une centrale nucléaire, d'un cosmodrome ou de la septième giga-station balnéaire du Golfe) ne coupait pas la plaine. Plus encore qu'aujourd'hui, de vieux tamaris où la mésange rémiz suspendait son nid, dit-on, bordaient le bitume. La départementale aux tournants serrés n'était pas bien large et la remorque d'un camion-citerne trop à gauche a failli nous tuer papa, fraîchement nommé à Henri IV à Béziers (rentrée 1957), dans sa pauvre petite Dauphine noire (2)... Etonnant ce coin ! Aux marges du surnaturel, une fois, le noir de la route teinté de rouge lors d'une pluie de minuscules grenouilles et ne me dites pas "Ce n'est pas vrai !" J'y étais, dans la nouvelle Renault passée au bleu "séraphin" (impossible de trouver cette nuance référencée, pas plus sur le Net que sur mes grimoires, enfin, mes vieux compilateurs lexicographiques). Etonnants encore, les trois-ponts, non, pas ceux de Narbonne, ceux, moins banals et industrieux, en dos-d'âne, de cette départementale des tamaris, à passer en décélérant en haut pour chatouiller le ventre et faire rire les gosses. (à suivre) 

(1) "Il suffit de passer le pont c'est tout de suite l'aventure..." Georges Brassens... et comme c'est Pâques à Lespignan aussi, quelques rimes de plus : 
".../... L'herbe est douce à Pâques fleuries...
Jetons mes sabots, tes galoches,
Et, légers comme des cabris,
Courons après les sons de cloches !../...
Il suffit de trois petits ponts,
C'est tout de suit' la tarantelle...
Non, pas possible, Georges serait venu gratter ses cordes par là ? 
je vous taquine avec ce que j'ai cru et bien voulu entendre, il a chanté "il suffit de trois petits bonds"... je l'aime trop pour le trahir surtout qu'en parlant de sa mie, il avoue "...nous irons en enfer ensemble...", ce que je ne peux que partager... 

(2) 619 BW 11 pour la noire, 304 CS 11 la bleue. Ne me demandez pas mon plaque d'aujourd'hui tantl'immatriculation ne veut plus rien dire...