Avec la pluie de grenouilles qui va impressionner les enfants, on peut encore leur raconter la pêche miraculeuse d'Adrien qui, sous le pontil, à l'aide d'une comporte, faucha des dizaines de muges. Ce qui suit, par contre, n'est pas pour eux, ça les perturberait...
En hiver, un brouillard couvrait parfois la plaine, plus mystérieuse encore avec, sur le tronçon en "S", le long des hauts murs du parc de Clotinières, le domaine à cheval sur la plaine et les garrigues, l'apparition fantomatique de la Dame Blanche (ah si elle avait traîné plus loin, cette fois là, pour protéger papa !). Floue de ses longs voiles mais bienfaitrice, d'après ceux qui s'affichent en témoins directs pour y avoir échappé, elle alerte le voyageur sur un possible accident. Aussi, une flopée d'oreilles plus ou moins perméables à l'occultisme relaient la rencontre brumeuse... Les gens de nos villages en ont entendu parler.
Pour ceux qui croient aux pouvoirs surnaturels, dans le village même de Lespignan, en contrebas de la tour du château, quelque part aux abords de la brèche percée par la route de Béziers dans les remparts de jadis, en haut de la côte, toujours une dizaine d' autos garées, dès l'aurore, pour une consultation chez un sorcier, un mage, rebouteux peut-être, réputé, qui, à force d'endosser les mauvais sorts, en mourut pas vieux encore...
C'est quelque chose, cette route de Lespignan ! Avec les années, on apprend que les trois dos d'âne passent sur des canaux, quoique, pour le premier, je me demande, le deuxième par contre, est appelé canal des Lintostes et rejoint l'Aude, le troisième, canal de la Matte, part de l'étang éponyme et va jusqu'à celui de Vendres. Avec celui de Capestang, ces trois marais plus ou moins étendus, écrêtent relativement les crues de l'Aude et relèvent aussi d'un équilibre biologique incluant une protection du milieu tenant compte des activités humaines.
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Etang_de_la_Matte Lespignan wikimedia commons Auteur JYB Devot |
Pour cette eau qui remplit les trop-pleins en hiver et garantit la survie de la roselière et des prairies humides, il faut curer les prises d'eau à Aude, les fossés. Au printemps il faut graduellement assécher, ce qui permet d'accéder aux vignes auparavant submergées et aussi aux prairies où les moutons seraient utiles pour éviter un ensauvagement broussailleux. Il faudra bien aussi légiférer pour canaliser les intrusions anarchiques, de motos furieuses, de camping-cars, de fouineurs aussi même nos gentils promeneurs et photographes qui peuvent déranger des animaux de plus en plus rares. Et puis ne faut-il pas contrôler et même éliminer ce que la quête sans fin du profit a amené collatéralement : les ragondins, les écrevisses par exemple, parmi les végétaux, le lippia canescens (1), pas consommé par le bétail, particulièrement invasif dans la basse vallée de l'Aude, la jussie, amenée dans le Lez (abords de Montpellier) au XIXe, qui envahit et étouffe toute biodiversité (il faut arracher plusieurs années durant). Et ces espèces liées aux changements tant climatiques que d'occupation par l'homme du milieu : sangliers, goélands leucophées ou autres ibis sacrés...
Dans ce monde qu'on dit seulement de progrès et bien être, pauvres de nous qui n'avons plus que quelques bribes de la sensualité rustique de Brassens aux lèvres, nostalgie des narcisses du pont de la Muscade dont on voudrait continuer à respirer le nom à plein nez avec le souvenir d'une qu'on a aimée. Et puisque nous sommes à Lespignan pour ses espaces naturels, à l'autre bout du canal de la Matte, à l'entrée de l'étang de Vendres, plein de poésie aussi avec les prés qui le disputent aux vignes descendant des coteaux, un pont des Pâtres, au nom apparemment banal et bucolique mais plein de la curiosité gauloise et sudiste des hommes pour une pastresse, sur cette rive ou l'autre de la rivière, qui, à l'insu ou non du berger, en aurait affriolé et peut-être contenté plus d'un... Aucun rapport avec un couple de migrantes, les grues cendrées que j'y surpris en fin d'après-midi, un jour de route buissonnière après le boulot...
Et dire que le beau film russe "Летят журавли" (letiat jouravli), parlant des grues qui volent a été pudibondement traduit par "Quand passent les cigognes" ! L'auteur de la traduction pensait-il qu'une grue ne peut être qu'une cocotte ?