samedi 21 décembre 2019

LES LOUPS ET LE VIOLONEUX / Qu'il est doux d'écouter des histoires...

" Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d'arbres sont noires,
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s'élance,
Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher
L'immobile corbeau sur l'arbre se balance,
Comme la girouette au bout du long clocher !.. "
La neige. Alfred de Vigny.

C'est vrai que la neige chez nous, ce n'est pas souvent et puis pour les grandes personnes, il vaut mieux. Mais rien ni personne n'empêchent l'enfant de rêver, d'imaginer, déjà en se frottant les mains pour conjurer le froid.
Cette histoire se passe dans les Corbières à une époque où le climat était moins chaud. Je vous la raconte comme elle m'a été contée du moins de la manière dont je l'ai perçue. C'est celle des loups et du violoneux.

Il était une fois un pauvre brassier qui, à la mauvaise saison avait bien du mal à nourrir ses neuf enfants. Ils habitaient dans les Basses-Corbières et dans ce temps là, dans les campagnes à blés, les vignes étaient si petites, juste pour le vin du propriétaire que nul ne pouvait s'embaucher pour la taille des sarments et la confection des bouffanelos, des fagots.
Mais, comme par son père il avait hérité du violon du grand-père, le samedi, après une vaine quête de petits profits, poireaux ou salades sauvages, sinon des herbes pour la soupe, il partait faire danser la jeunesse dans les villages plus à l'écart. On ne le payait pas toujours en monnaie sonnante et trébuchante, et cette fois, après une dernière polka, son havresac était rempli de pain, de fougaces et d'oreillettes. 


Oreillettes_du_Languedoc JPS68 commons wikimedia

Ne voulant pas passer une nuit de plus hors de chez lui, à minuit passé, il s'était mis en chemin, malgré un ciel sans lune, pensant déjà à la joie des enfants quand il viderait son sac sur la table !
Passé Coustouge où son passage dans les rues désertes avait encore causé un concert d'aboiements, au tiers du parcours, pour gagner une heure par rapport à la route, il avait l'habitude de couper à travers les garrigues. Content de sa prestation, ne sentant pas encore le froid, il marchait d'un bon pas quand parvenu sur le plateau, croyant entendre un bruit derrière, il se retourna. Plus rien, sûrement la fatigue.
A peine avait-il avancé d'une centaine de mètres que cette fois, un "houuu" prolongé confirma ses craintes : un loup le suivait. Oh un loup, ce n'était pas la première fois et puis avec son bâton ferré il saurait bien lui montrer avec qui il a affaire ! Le fait de passer le col et de savoir qu'il redescendait désormais vers sa chaumière ne le rassura pourtant pas : derrière dans le noir, des encouragements avaient répondu au premier "hou". Près d'en avoir la chair de poule, il se dit même qu'avec le Cers dans le nez, les fauves étaient à le talonner, prêts à lui mordre le jarret et à lui sauter sur le râble. 


Le_dernier_loup_-_Les_coulisses_-_l'entraînement_des_loups Sabi Mars Films

Que faire ? pas de bergerie dans ces lieux désolés et le premier endroit habité, le moulin se trouvait à presque une lieue encore ! Inquiet mais déterminé il passa son havresac sur sa poitrine, piocha dedans et lança un pain sur ses traces, espérant que les loups se le disputeraient. Nàni, il les sentait tout proches. Pourtant il prit le temps de partager le second pain mais le sursis n'en fut pas plus assuré : c'est sa viande que ces sales bêtes convoitaient ! Deux autres pains y passèrent et puis les fougaces et puis les oreillettes qu'il brisait en morceaux toujours plus petits. Las, le sac s'en trouva vidé et il restait bien deux-cent-cinquante toises (env. 500 m.) avant le moulin. Alors, en désespoir de cause, en appelant à ses père et grand-père, surmontant la frayeur que lui causaient les grognements toujours plus furieux, oubliant ses doigts gourds, bravement il empoigna son violon pour en sortir un brame à la mort tremblotant, lamentable sauf  qu'à son grand étonnement, la meute affolée se débanda en braillant comme une bande de chiots affolés ! 
Sans demander son reste, presque à s'en briser le cou, le pauvre violoneux dévala d'une traite le ravin entre deux crêtes plus marquées. Inutile de réveiller le meunier, les loups ne descendent jusque dans les villages qu'avec le grand froid et la neige. Inutile aussi de réveiller les petits pour rien. Des pains, des fougasses et des oreillettes plein la table ! On aurait même ranimé le feu ! On aurait fait reganhou, réveillon à quatre heures du matin... 
Ah si de suite il avait sorti son violon !    

Violoneux_mendiant_1843, wikimedia commons, auteur inconnu, domaine public
         

jeudi 19 décembre 2019

NADAL, NADALET, NADAU... NOËL OCCITAN (suite & fin) / Pyrénées, Piémont, Espagne, France, Val d'Aran...


Val Varaita, une des vallées occitanes du Piémont, Wikimedia Commons Author Luca Bergamasco /  La comunità montana a toujours eu un intérêt particulier pour la sauvegarde de la langue et des traditions occitanes.

La chanson, "La Piémontaise", est de 1705, Louis XIV mène une énième guerre, celle de la succession d'Espagne... Nadau aurait pu chanter "les Piémontaises", d'autant plus que les vallées cisalpines sont italiennes avec une particularité cependant puisqu’on y parle toujours l'occitan ! Oublions les approximations, tout le monde n'a pas l’esprit fouineur, l'impression globale est trop belle, trop forte, le souffle du Sud trop rare ! 

Signature Fébus 2 janvier 1360 Wikimedia Commons Auteur Gaston III de Foix-Béarn.


De 1705, on remonte aux années 1300 avec "Se Canto". Comment ne pas rapprocher, en effet, Joan de Nadau, troubadour de maintenant, d'un autre émissaire du Sud, Gaston Febus (et pas Phoebus puisque le "ph" n'existe pas en occitan... je me fourvoie toujours sur un dico français...) qui aurait écrit "Se Canto", un chant désormais devenu hymne par la faute de ces foutus Jacobins contreproductifs à l'esprit borné. Les paroles ont en commun l'amour perdu car trop fragile sinon souvent déprécié car assimilé au quotidien, au train-train, à la monotonie des choses quand on ne veut pas réaliser que chacune d'elles est déjà un petit bonheur.     


"... Aquelos mountanhos          Ces montagnes 
Que tan nautos soun                 Qui si hautes sont
M'empachoun de veïre             M'empêchent de voir
Mas amours ant soun..."           Où mes amours sont

Je m'égare, Gaston avait répudié Agnès son épouse et ne pouvait donc que s'en mordre les doigts. Elle est de l'autre côté des Pyrénées, en Espagne. L'Espagne, Joan de Nadau en parle, obligatoirement, comme d'une réalité fuyante, évanescente comme le vent "... Le printemps qui vient d'Espagne fait pleurer la montagne... " (Saussat / Nadau).

https://www.youtube.com/watch?v=J1k04LGD--g (Saussat)
Commune de Balaguères, village de Balagué ou a été tourné le film "Le Retour de Martin Guerre". Wikimedia Commons Author Olybrius.
Avec l'amour, la guerre, le soldat. Celui encore lié aux temps anciens et aux Pyrénées, volontaire ou forcé. Est-il revenu du Piémont comme revint Martin Guerre, paysan d'Artigat (Ariège), douze ans après, alors que son épouse vit avec Arnaud qui, usurpant l'identité du mari, lui a même fait des enfants ? (années 1550). Ni hasard ni coïncidence, seulement synchronicité, le scénariste du film "Le retour de Martin Guerre" est Jean-Claude Carrière, un homme de culture que j'ai aimé, que j'aime encore même si la parisianisme qui lui a gâté le cœur, me fait peine. Carrière enfant de Colombières-sur-Orb, était bilingue et parlait occitan.

Comme Nadau avec "Lo dia, Maria, qui s'a minjat la nueit", Le jour, Marie, s'est mangé la nuit, Carrière a su témoigner d'un ménage de la montagne en face, presque au même moment, dans la nuit :
 
« … Fasen un traouc a la nèit, la fenno, per veïre si dema i fa journ. »
« Faisons un trou à la nuit, la femme, pour voir si demain il fait jour »

Gravure de Flammarion ou "du pélerin" Author Heikenwaelder Hugo, Austria. 
Enfin, à travers le répertoire de Los de Nadau, est-ce un hasard si plus de sept-cents ans ont été survolés ? une coïncidence si l'Occitanie a été parcourue, du Piémont en Italie aux Pyrénées qui comptent tant ? Dans nos montagnes,  il y a le Val d'Aran en Espagne mais géographiquement tourné vers le Nord, la direction que prend la Garonne, obligée qu'elle est par des sommets à plus de 3000, des cols à plus de 2000 mètres jusqu'à ce qu'un tunnel soit creusé vers le Sud en 1948. Le Val-d'Aran, unique entité politique où l'Occitan est langue officielle ! Nadau a des attaches dans le Val. Il a donné un concert à Vielha !   

Val d'Aran Commons Wikimedia Author Wela49

Bossost Val d'Aran, au pied du col du Portillon. Wikipedia, Auteur Nickj.

Hier je ne sais toujours pas pourquoi j'ai tapé Nadau. Un instinct, le sixième sens sans doute ou alors je savais trop bien qu'avec un clic magique, en écoutant "Mon dieu que j'en suis à mon aise" (il faudrait un petit article rien que pour cette chanson !), comme avec une femme, référence à Rimbaud (Sensation), je pouvais atteindre ces hauteurs pures de rocs, de glaciers et de lacs d'altitude en regardant le Saussat, comme Joan de Nadau... Pour me ressourcer, reprendre les forces, pour résister à ces puissances politiques mâtinées de haute finance qui ne pensent qu'à dominer pour exploiter. On ne peut vivre béatement d'amour et d'eau fraîche. Comme pour une femme l'amour donne le courage de se battre. Même Nadau évoque, serait-ce à petites touches, les Croquants ou les Demoiselles du Couserans, les paysans accablés de taxes ! L'esprit de résistance ne peut qu'amener un mieux  les mouvements sociaux doivent aller au bout... Jean-Claude des châtaignes et du vin bourru, c'est pas bien d'être pour les Versaillais au prétexte que les révoltes peuvent amener pire... 

"... Ah qu'il vienne enfin le temps des cerises [...] avant que j'aie dû boucler mes valises et qu'on m'ait poussé dans le dernier train..." Les Cerisiers, Jean Ferrat. 

Croix occitane.