lundi 24 décembre 2018

LORSQUE L'ENFANT PARAÎT (Victor Hugo) / variation sur Noël.

Noël, Nadal, Natal, Navidad, naissance, natalité... ça reste dans le registre familial...
 
Et en famille, qu'y-a-t-il de plus beau, de plus magique qu'un bébé qui vient au monde et qui rejoint ces enfants grandis trop vite, transformés par l'âge mais que nos mémoires s'efforcent de fixer tout petits ? 

Baby by Pixabay
  

Avec cette variation sur Noël me viennent les paroles approximatives d'une chanson (années 60 ou 70 ?) qui ne m'a laissé que sa belle empreinte méditerranéenne :

"... Il est né parmi les abeilles, 
Un bel enfant de miel et d'orgeat
Chante l'oiseau dessous la treille
Allons boire le vin muscat..."  

Quand l'enfant vient, être père c'est, grâce au nouveau-né, revoir ses aînés. Et si la vie qui va trop vite n'en laisse pas le temps, à l'automne de son âge, quand vient le besoin de se retourner sur le chemin parcouru, si un malheur n'est pas venu faucher une destinée, il faut garder de nos enfants le merveilleux, depuis la naissance, de leur apprentissage à la vie. Ensuite, quand le destin nous offre petits-enfants et petits-neveux et nièces, il faut dire leurs prénoms avec affection, beaucoup d'égards et d'émotion. Avec le progrès, on ne réalise pas combien une petite vie est précieuse et fragile... 

Victor Hugo vers 1853 - 51 ans - Wikipedia - Auteur peut-être Charles Hugo.


Un qui les a aimés les enfants et qui, pour cette seule raison, mérite l'honneur d'être un grand homme : Victor Hugo !  
De son poème "Lorsque l'enfant paraît", je pensais seulement citer :

"... De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !.." 
 
En rester là serait aussi aussi boiteux qu'irrespectueux... dans "Les feuilles d'automne", le voici en entier : 

"Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris ; son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,
Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d’un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l’âme
Qui s’élève en priant ;
L’enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S’arrête en souriant.

La nuit, quand l’homme dort, quand l’esprit rêve, à l’heure
Où l’on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L’onde entre les roseaux,
Si l’aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d’oiseaux !

Enfant, vous êtes l’aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S’emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies
N’ont point mal fait encore ;
Jamais vos jeunes pas n’ont touché notre fange ;
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l’auréole d’or !

Vous êtes parmi nous la colombe de l’arche.
Vos pieds tendres et purs n’ont point l’âge où l’on marche ;
Vos ailes sont d’azur.
Sans le comprendre encor, vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n’est immonde,
Âme où rien n’est impur !

Il est si beau, l’enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !.." 

Victor Hugo 73 ans vers 1875 Author Comte Stanislaw Julian Ostrorog dit WALERY (1830-1890)
 

Victor_Hugo vers ses 82 ans (1884) Auteur Nadar
A Stanislas, Olivier, Lætitia, Pierre-François, Florian, Léa, Camille, Alexandre et à celui qui est en chemin...  

 Photos autorisées : 1. Pixabay. 2 & 4. Wikipedia. 3. Wikimedia Commons. 

Vous avez remarqué comme les mains apportent un supplément d'âme au portrait ? C'est le cas aussi pour ceux de Paul Valéry... J'ai une photo de classe où ma main apporte de la vie à une vue figée... mais chut, la satisfaction que j'en ressens pourrait me rendre prétentieux !

"... DAVANT LO MONDE ESTABOSIT..." / Noël de Jean Camp.

Source Pixabay
 Déconcerté, abasourdi, stupéfait, stupéfié, étourdi de stupéfaction pour cause de soleil trop puissant par exemple... Sûr qu'au moment du solstice d'hiver, un envoyé divin chargé de treilles, une corne d'abondance de pampres accrochés de grappes pourrait évoquer une hérésie iconoclaste ne relevant plus, et c'est heureux, des affres et terribles châtiments liés à l'Inquisition. Il n'empêche, encore moulé et empreint de la matrice catholique, est-ce pour se faire pardonner une évocation teintée de paganisme, que Jean Camp, iconophile, insiste sur la symbolique de Noël sous l'égide du "Bon Dieu" qu'il a pris soin de nommer dans la langue de la "fille aînée de L’Église", avec force majuscules, comme si "lou bon Diéu" occitan relevait, lui, d'un schisme ou pour le moins d'une proximité manquant de respect...  

"Bèl Nadal, me fas rebastraire
Se lo Bon Dieu m'avia causit
Auriai volgut faire, pecaire,
Davant lo monde estabosit,
De nostre Sénher, un vendemiaire
Se lo Bon Dieu m'avia causit."
Source convertimage
Notes : 
1. "rebastraire" ? Dans le sens de rebâtir, reconstituer, déduire... imaginer ? 
2. Mistral qui, en trop bon chrétien qu'il était, inféodait la langue d'Oc à la très sainte Église catholique relève, conscience professionnelle oblige, dans son Trésor dou Felibrige, à l'entrée "Dèu dans ce juron languedocien Cap de Dèu ! Tête Dieu !

3. Notons la prononciation [ou] de la lettre [o] alors que la pratique de l'occitan lui faisait écrire et prononcer antérieurement [ou], suivant la graphie mistralienne, dans son fameux poème "Lou Doublidaïre" par exemple. Caboujolette / 2008 / François Dedieu.

4. Notons encore qu'on arrivait à conserver des raisins pour Noël : 
 
"... Merci pour les « moissines[1] » (C’est dans le Petit Larousse) mais c’est surtout Joseph et Jean Ferry qui conservaient ainsi les grappes, avec le bout de sarment. Mamé Ernestine suspendait seulement chaque fois deux belles grappes attachées par un fil sur une barre (genre manche à balai) posée sur le dossier de deux chaises, sièges en dehors (il y avait chaque fois deux barres de raisins blancs). Le tout était placé dans la cuisine de mamé Joséphine … et souvent beaucoup de grappes se périssaient, mais enfin nous pouvions goûter quelques raisins longtemps après les vendanges..." 
Caboujolette / 2008 / François Dedieu... (merci à toi surtout, papa...)


[1] Grappe coupée avec son bout de sarment, afin de conserver le raisin dit « de Noël ».

Vendanges Gustave Doré

Ci-dessous, la notice sur Jean Camp dont, indirectement, une biographie intéressante pour être des plus rares et néanmoins fournie. 

http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=59152