dimanche 17 décembre 2017

« ... ENFANT, J’ETAIS BILINGUE, OCCITAN-FRANCAIS… » / En bas des châtaigniers, la vallée des cerisiers.

« … Fasen un traouc a la nèit, la fenno, per veïre si dema i fa journ. »
 
 
Jean-Claude Carrière de Colombières-sur-Orb annonce la couleur ! C’est dit sans fioriture, avec l’accent de ceux qui l’ont en partage, ça fout un pic d’amour-propre à faire gonfler le jabot ! On rayonne d’avoir l’occitan en plus grand commun diviseur ! En flagrant délit de vanité, on se prend à penser que cet homme remarquable est des nôtres, qu’il boira son verre comme les autres !

Remarquable, Jean-Claude Carrière l’est avant tout pour la démarche foncière qui le fait toujours s’effacer par rapport au sujet de sa réflexion ; il fait tout pour que son questionnement, son cheminement intellectuel, l'objet de son intérêt détournent les lumières de sa personne. Mais en se voulant ordinaire, accessible, ni snob, ni star, le résultat va complètement à l’encontre de son obsession. Pourquoi s’auto-amputer lorsque le talent, l’originalité de l’approche, la curiosité, le doute, le travail surtout justifient l’ascendant sur ses tenants, ses partisans ? 
Qui serait assez fou pour nier l’héliocentrisme ? Qu’il se rassure : ni guide, ni berger, il est de ceux qui vont plus loin, qui savent exprimer ce qui est ressenti et partagé par tant d’autres. 

Pardon de me laisser embarquer ainsi… et si j’apprécie l’adhésion qu’il sollicite, sa curiosité tous azimuts, je l’aime pour « Le Retour de Martin Guerre » (Nathalie Baye, G. Depardieu, Bernard-Pierre Donnadieu dans l'Ariège), pour ses souvenirs du « Le Vin bourru », pour notre langue d’Oc en héritage, parce qu’il honore de sa présence la Mirondella de Pézenas et qu’il est de chez nous, macarel ! 
Pardon d’être ignare parce qu’il y a tous ses livres, ses scenarii, ses essais philosophiques (dernièrement sur la croyance, sur la paix), sa controverse de Valladolid (la voix grave et chaude de Jean-Pierre Marielle dans le rôle de Bartolomé de las Casas !), ses collaborations avec Buñuel, Forman, Schondorf, entre autres, ses accointances, ses conversations sur l’invisible, menées depuis trente ans avec des astrophysiciens... Mais ça c’est son côté érudit, parisien, international, à partager avec tous ! Laissez-moi le méridional, celui qui revendique la défense culturelle du Sud :
  
 « … depuis trente ans je préside le Printemps des Comédiens à Montpellier, j’ai animé beaucoup de rencontres dans les villages, nous sommes ici dans le Midi, le pur Midi de la France… »

https://www.youtube.com/watch?v=73TSvLNDDAc

Écoutez-les les deux minutes de la vidéo, regardez-le dire

« … nous avons un lien particulier avec la terre où nous sommes nés […] on peut dire simplement  que si ce n’était pas là, ça manquerait… »

« … Quand j’étais enfant, j’étais bilingue, occitan-français… »

Cet imparfait répété n’exprime-t-il pas la réserve viscérale de l’auteur … contrebalancée aussitôt pourtant par l’affirmation nette d’un bilinguisme avec l’occitan comme première langue. Et cette allégorie magnifique du couple de paysans s’interrogeant sur le mystère du jour succédant à la nuit ? N’y retrouve-t-on pas l’esprit même des contes des petits vieux et du haricot géant ? Est-ce intentionnel de la part de Carrière ? Mais l’image est symbolique de sa quête, de la mise en relation des mythes et de la science, de ses « conversations sur l’invisible » avec des astrophysiciens de renom. Elle en appelle une autre, une gravure sur bois attribuée à l’Allemagne médiévale mais marquant plutôt le renouveau de la Renaissance, la remise en question de l'obscurantisme, des diableries et autres tabous religieux comme la Terre plate ! 
  
L’homme de la gravure de Flammarion, dite aussi « du pèlerin », passe sous la voûte céleste et montre sa surprise à cause de ce qu’il trouve derrière, exactement comme ces deux qui veulent déchirer la nuit !     
Et puis vous l'avez, la traduction de ces quelques mots d’occitan :

« Faisons un trou à la nuit, la femme, pour voir si demain il fait jour »

L’occitan, il en parle Jean-Claude Carrière dans « Le Vin bourru » (2000) : sept pages magnifiques grâce à l’originalité de l’approche, à la précision du vocabulaire, au rejet de tout artifice académique.

Si la quatrième de couverture relève une rare imp(r)udence sous sa plume, la suite du paragraphe demeure conforme à ce qu’il est :

« … je mesurais pour la première fois la quantité étonnante de choses que l’on m’avait apprises et qui plus tard ne m’ont servi à rien. Car, né dans une culture, j’ai vécu dans une autre. De là mille questions sur ce qui nous fait et nous défait. Sur ce que nous avons perdu, gagné, sur ce qui nous reste… »

Jean-Claude Carrière de la vallée souriante, de la montagne belle, du pays des châtaignes et des cerises tient à ses racines. Contrairement à ces renégats montés à Paris et qui, vergogneux, regardent leur berceau de haut et considèrent la maison natale avec condescendance et mépris, Jean-Claude Carrière est resté des nôtres sauf qu’ici nous ne cultivons pas ce complexe de supériorité qui fait toujours tirer la couverture à soi ! On en laisse aux autres, nous... 
 
A propos, c’était pour savoir si on tuait le cochon, au village de Jean-Claude, petit garçon qui n'a plus goûté le vin bourru à partir de 1945. Mais comment passer à Colmbières sans dire que sa présence nous fait du bien ?  

crédit photos commons wikimedia : 
1.  Colombières-sur-Orb église St-Pierre auteur Fagairolles 34. 
2. Jean-Claude_Carrière_à_la_BNF Author Roman Bonnefoy
3. gravure de Flammarion ou "du pélerin" Author Heikenwaelder Hugo, Austria. 

vendredi 15 décembre 2017

NOIR, PERIGOURDIN ET OCCITAN TOUJOURS / Le sacrifice du cochon

Au pays de l’Albine, dans le Périgord vert, les cochons sont noirs (1). L’Albine ? une maîtresse femme capable de s’occuper des bêtes, de faucher, de moissonner, de tenir son intérieur. Sourcière, presque sorcière comme l’écrit si bien son petit-fils Fernand (2), elle soigne aussi bien les gens que les animaux. En osmose avec sa terre, les plantes, les champignons, le gibier, elle préfère dire « braconneuse » que braconnier. Dans sa cave, ses liqueurs, son vin, sept eaux différentes (de rosée, d’aspic, de crapaud, de rossignol, de la Saint-Jean, de Sainte-Catherine, électrique aussi !), cent-quarante-sept bocaux de légumes, de fruits, de confitures, de quoi tenir un siège ! et cinq gros pots de grès pour le lard, le salé, les cochonnailles !   
   
 
Je vais le relire ce livre, surtout que je ne me souviens pas des pages sur le cochon. Je les ai cherchées pourtant : je présumais que dans les fêtes qui comptaient à la campagne, entre Balthazar et Jésus, un jour lui était dévolu !  


Entre les Rois et le mercredi des Cendres, en effet, avant le Carême qui annonce Pâques, il faut en profiter : le sacrifice du cochon est alors l’incarnation des plaisirs, de l’abondance. Et avec carnaval, les licences permises, il vient renchérir sur le pêché de chair…


« Il faut faire carême-prenant avec sa femme et Pâques avec son curé… »


« Iéu crese qu’aquest caremau

Lou salat nous fara pas mau. » D. SAGE



«  A caremo, amo li tiéu

E à Pasco, amo Diéu. » (3)



« … Pour tuer le cochon, l’Albine n’avait pas son pareil. Elle officiait dans tous les environs… »

Ce n’est pas tant de le tuer, mais de bien le saigner, précise Fernand ; la qualité de la viande, aussi, en dépend. L’Albine qui ne ratait jamais son coup ne manquait pas de faire ensuite la blague du couteau. Le plus sérieusement du monde, comme chaque garçon avait alors le sien en poche, elle s’en faisait prêter un pour le faire prestement disparaître dans le cul du cochon… « Le bon Dieu te le rendra ! ». Le lendemain, contrairement au charcutier, elle rendait son bien au nigaud déconfit. Les mœurs étaient rustiques, les gens moins délicats alors !  


Dans le travail qui s’ensuit, en montant vers Limoges, ils brûlent les poils du gagnou (cochon en limousin, vous aviez compris) avec des poignées de paille puis raclent avec des bouts de tuile neuve. Le cochon est attaché sur une échelle dévolue à cet usage unique puis l’experte ouvre l’abdomen vers le bas, la poitrine. Ensuite, contrairement à Sorgeat (le climat sans doute), la carcasse est aussitôt débitée et l’Albine s’attelle à la confection des boudins.

Suivent quatre pages sur ce travail. L’auteur conclut avec un dicton en occitan version limousine :


« O semble un porc, ne forô dô bé qu’après so mor. » (Il est comme un cochon, il ne fera du bien qu’après sa mort).


Entre les Rois et Mardi Gras, nous reviendrons en détail sur toutes ces préparations qui devaient tenir jusqu'à la soudure, sans possibilité de conserver par le froid et en tenant compte de l'humidité du climat atlantique chez l'Albine (à Fleury aussi, par rapport aux villages de l'intérieur, le marin, lou marinas posait problème).
  
     

(1) Cul noir périgourdin avec seulement la tête et la croupe noires. 

(2) Fernand Dupuy / L’Albine / Librairie Arthème Fayard 1977 (Elle a 90 ans lors de l’écriture du livre).

(3) Je crois que ce carême le salé ne nous fera pas mal / Pour carême aime les tiens et à Pâques aime Dieu. Frédéric Mistral, Trésor du Félibrige, entrées « caremau » et « careme ».   


Photo de l’Albine sous son fagot de fougères empruntée à l’auteur Fernand Dupuy (1917-1999)… que ses mânes me pardonnent…