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mercredi 27 août 2025

Carte Postale de Mayotte 1.

 

Mayotte. Avril 1998. Visite d'un fils à son père : 

« ... Côté balade, nous avons parcouru la côte nord sous un ciel mi-couvert qui rendait la température plus supportable. “ Tahiti-plage ” (Mtsanga Mtsanyouni pour rester local) nous a fait son coup de charme au soleil couchant. Un samedi, alors que je le croyais de permanence, mon fils a appelé de N'Gouja, la plage aux baobabs et tortues. Il y avait passé l'après-midi avec deux copains suite à un trajet bon enfant en taxi-brousse. J'ai retrouvé Stan, ses collègues David et Christophe, devant une THB. au bar. Petit partage de mots shimaorés pour militaires intéressés sauf que le cours a tourné court : ravissante, la serveuse a inspiré des compliments bien sentis de la part de nos gaillards pavanant dans une surenchère de rires joviaux et sourires enjoués. Mention Bien pour les trois, TB pour la jeune femme même si le mérite en revient à une jeunesse d'insouciance et de joie de vivre... C'est alors que Monsieur le Préfet et Madame ont débouché pour prendre place au restaurant, venant certainement d'un des bungalows cachés sous les cocotiers. Je ne m'y attendais pas mais avec le recul en y repensant, sans que cela soit une promiscuité, la petitesse de l'île favorise une proximité entre « ressortissants » comme disent les autorités non sans une maladresse indécente. N'Gouja reste un lieu où il est de bon ton de montrer une aisance de circonstance, sa tenue “ petit blanc ” relax sans être négligée. 

Ngouja_Beach_(Mayotte) 2016 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license. Author VillageHero from Ulm Germany

 Dans la chaleur de la nuit, les corps passablement dénudés de nos trois garçons dénotaient même si elles n'avaient rien de provocant. Que ne pardonnerait-on pas au jeune adulte que chaque homme fut à son heure ? Moi, j'étais moins pardonnable, non pour le tee-shirt comme M. le Préfet mais pour mon bermuda de baroudeur déparant la soirée tropicale feutrée. Sentiment dégrisant de la jeunesse évanouie bien que palpitante encore d'autant plus à cause de cette complicité avec la génération montante. 

« ... Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse, 
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, 
De ta jeunesse ? »

Être ? avoir été ? regrets ? remords ? Personne n'accepte de gaieté de cœur que vieillir est la seule façon de ne pas mourir. Jeunesse récurrente. Platitude. Quoique sans être écorché vif, qui n'a pas subi un trouble intime, une égratignure, un coup de griffe dans sa mémoire sentimentale, charnelle, toujours lancinants ? 
Il ne nous restait plus qu'à quitter ce lieu de détente tropicale, à pas lents et mesurés, plus lourds, me concernant. 
Dimanche de Pâques : avons parcouru la RN1 Mamoudzou Dzoumogné avec un arrêt à Longoni. le déchargement du cargo M.S.C. Sandra allait bon train. Un mois en arrière, le Mermoz avec Jean-Louis Chrétien, Yves Coppens, faisait escale à l'occasion de la croisière des explorateurs. 

Les barges se sont croisées. Ici vers Grande-Terre.

Vendredi de cette semaine, Stani n'était pas à la barge de 20 h 15 : je m'en suis retourné, gros Jean comme devant ; cabossée, sinueuse, la route du col d'Ongojou ne m'en a paru que plus longue. Cela fait bien une paire de fois. Ah ! les enfants, la jeunesse, tout est pardonné dès qu'on les retrouve. S'il appelle qu'il barge ou va barger, nous nous retrouvons au bar du 5/5, là où Georges Bouscasse nous régalait de ses imparfaits du subjonctif. Stan bénéficie d'une longue permission avant le départ aux Glorieuses, le 14 ; je me suis aussitôt désisté pour la partie de pêche au banc du Geyser programmée par Renato revenu nous voir jusqu'à début mai. 
Que nos épisodes mahorais vous trouvent en bonne santé, 
gros poutous, JF.    

mercredi 6 avril 2022

Un Russe à Pérignan (8) "Le barbare, c'est d'abord celui qui croit à la barbarie." Claude Lévi-Strauss.

Porphyre Pantazi rechigne, depuis petit, à se plier à son destin tout tracé de petit paysan, une survie dans la pauvreté alors que la Bessarabie, après la domination ottomane, est disputée entre les Roumains et les Russes qui la traitent en colonie de peuplement. Engagé dans la Légion Etrangère, il part d'Odessa en 1919 (1)...  

Je reprends en épisodes ce que mon père a écrit sur lui, suite à plusieurs entretiens, ses recherches hors internet et en se basant sur la chronologie attestée de son engagement dans la Légion Etrangère. 

Char_Renault_et_soldats_français_a_Odessa 1919 wikimedia commons auteur inconnu

"... Et ce sera l’Orient de la fin mars jusqu’au 20 mai 1919, puis l’Algérie du 21 mai au 16 août. Le siège du 1er régiment étranger est à Sidi-Bel-Abbès. Quelle chaleur ici ! Et quelle dure vie ! Pourtant, quand on a connu plus dur encore, on apprécie un léger mieux. Et puis surtout ceci : toi, simple soldat, tu peux parler au Capitaine comme je te parle. Mais oui, tu souris, mais c’est la vérité. Il te respecte, le Capitaine. Bien entendu, tu es au garde-à-vous, et lui peut se promener devant toi, les mains derrière le dos. Mais jamais il ne te frappera, jamais la moindre velléité d’un coup de pied… Ah ! mais, pardon, j’ai vu, moi qui vous parle, moi Porphyre, j’ai vu comment on nous traitait dans l’armée du tsar. J’en ai même vu qui étaient abattus comme des chiens, pour avoir répliqué. Ici, nous sommes considérés comme des hommes, pas comme des bêtes. Et cela, tu vois, c’est plus que tout ce qu’on peut imaginer, plus que la nourriture, plus que l’habit même : tu es un homme, et tu en es fier, même si chaque jour ta vie est en danger.

Le 17 août, nous descendons dans les régions sahariennes. C’est donc cela, le SAHARA dont j’avais appris le nom sur la carte, à la vieille école de Kalarach. « SakhAra » qu’il disait, le vieux maître d’école. Et cela faisait toujours songer à « sakhar », le sucre.

Ah ! oui, un drôle de sucre. Il y est, maintenant, Porphyre, dans ce sucre. Les vents brûlants (le sirocco), les tempêtes de sable… Tu as beau mettre le mouchoir sous le képi et dans le col de ta chemise, ça ne pare pas tout ! Et encore et toujours ces opérations militaires. On va à leur rencontre. Le 24 octobre enfin, nous avons fini et retournons à Sidi-Bel-Abbès.

Il s’est inscrit, Porphyre, pour les cours volontaires de français ; ça rentre assez bien, il n’y a pas que des jurons dans cette langue. Ceux-là, les mauvais mots, ont été vite appris, ils se retiennent si vite. Pour faire des phrases, ça c’est une autre paire de manches. Mais l’essentiel n’est-il pas de comprendre et de se faire entendre ? Et tu comprends fort bien, alors quoi ? Et puis, apprendre le français évite quelques corvées toujours peu formatrices. Cela n’empêche pas d’écrire en russe, de temps à autre, une lettre qui part pour Touzora. Son père lui a déjà écrit, plusieurs fois. Souvent les lettres parcourent un vrai périple avant de lui parvenir, mais elles finissent par arriver. Pourvu que ça dure !

Porphyre écrit le russe comme il sait, c’est-à-dire pas mal. A l’entendre, il fait une faute par mot. Ne le croyez pas. Ce qu’il y a, c’est qu’il a conservé l’antique graphie, celle d’avant la réforme de 1917. Il a lu quelque part qu’on avait supprimé quatre lettres. En réalité, deux surtout ont disparu : le iat’, et le signe dur de la fin des mots. Eh bien ! lui ne les supprimera pas : il en a le droit, non ? Cette boucle après la consonne finale de certains noms, ça fait joli. Si elle n’y est pas, il manque quelque chose. Tu vois, c’est un peu comme si en français tu écrivais « tabl » sans le E final (il est muet !), « la ru », « une fill » : de quoi ça a l’air ? Et puis il apprend le français. Va-t’en encore réapprendre le bon russe. Pour tout mélanger ? Non, merci.

Les journées passent, parfois très vite, parfois aussi interminables. Il peut sortir en ville, une grande ville, tiens, un genre de Kichinev en plus petit : cinquante mille habitants, lui a-t-on dit. Ce qui lui plaît, ce sont les cultures maraîchères des environs. Voilà des cultures : immenses ! C’est de la grande exploitation. Que voulais-tu qu’il fasse, papa Pantazi, avec nos tout petits moyens ? Il y a aussi des industries et du commerce. Et puis, entre nous, mieux vaut être ici que sur le « théâtre d’opérations », comme ils te disent..." 

François Dedieu, Un "Russe" à Pérignan / Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008. 

Prolongements : 

Comment ne pas faire le lien avec la tragédie actuelle en Ukraine. Qu'a-t-on fait pour détendre les velléités liées aux zones d'influence ? La guerre actuelle nous pousse à faire le rapprochement avec la période hitlérienne et une horreur concrète qu'on a à peine voulu voir, entre temps, en Yougoslavie, en Bosnie, au Kosovo. Une horreur dans laquelle on serait mêlés, de plus près qu'on ne croit, tant géographiquement que moralement, dans le sang de la Syrie, de la Libye, du Yémen, dans notre complaisance aussi à l'égard du Qatar, de l'Arabie... Atteinte de sénilité, l'Europe des démocraties imparfaites (plus encore en France jacobine) donneuses de leçons, continue d'apparaître arrogante à plus de la moitié de la planète. 

Carte postale d'une vue entre 1890 et 1900, éditée originellement par la Detroit Publishing Company en 1905. L'escalier du Potemkine, long de 142 mètres, à Odessa, a été construit de 1834 à 1841. Il a été rendu célèbre par le film Le Cuirassé Potemkine, de Sergei Eisenstein, en 1925. Il y a une inscription: «8935. p.z. - ODESSA. L'ESCALIER RICHELIEU ОДЕССА. РИШЕЛЬЕВСКАЯ ЛЕСТНИЦА» Wikimedia Commons Auteur inconnu. 

Ne nous cachons pas derrière les symboles, les reliquats du temps historique. Au romantisme du grand escalier d'Odessa, servi par le film lié à la mutinerie du cuirassé Potemkine, s'ajoutent les "horreurs" pérennes de la guerre... Janvier 1918, les Bolchéviques transforment en glace ou jettent vivants dans la chaudière 400 officiers du croiseur Almaz. Et hier, BOUTCHA près de Kyiv, en attendant de constater ce qu'ont laissé les Russes en se retirant du nord de l'Ukraine...  

Pas plus tard qu'hier, incidemment, une chaîne alternative a osé, après ce qui s'est passé, montrer l'impressionnant dispositif d'encadrement lors du transfert à Arles (2013 ?) d'Yvan Colonna, jugé pour l'assassinat du préfet Erignac... mazette, si c'était pour le laisser agoniser en prison sous les mains assassines d'un intégriste musulman...  Sur ce, je ne sais plus sur quelle chaîne puisque je suis le seul responsable des parallèles et collages faits ici, je suis resté sidéré par la citation livrée par le journaliste à propos de Claude Lévi-Strauss. Même si je savais de lui que le sauvage était celui qui traitait les autres de sauvages, du philosophe, anthropologue et grand homme des sciences humaines et sociales, son "Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie."... je ne l'ai pas encore digéré.  

(1) en 1919, les Français étaient à Odessa, pour soutenir un temps les armées blanches, tout comme à Mikolaïv, aujourd'hui attaquée par Poutine, dont le chantier naval reste lié au cuirassé Potemkine, tout juste dynamité, à 'époque de Porphyre (avril 1919 à Sébastopol).