Déjà les prémisses d’un pays suspendu...
Cette évocation aussi, est restée suspendue aux années 60 : je vous ai
parlé, dans un précédent billet, des pensionnaires du collège Victor
Hugo et du car pour Mouthoumet. Les Corbières à l’esprit, c’était aussi
quand on sortait de Narbonne, direction Toulouse, par la Place des
Pyrénées... Passons sur les lendemains de victoire du Racing, surtout si
les vaincus, au retour, comme
sous des fourches caudines, devaient traverser la ville pavoisée !..
Cap sur Cap de Pla et ses collines pelées
qui ne pouvaient qu’interpeler sur une contrée mystérieuse et après le
pont de Montredon, au bout du ruban d’asphalte partant à gauche, les
ruines perchées, le défilé, les falaises blanches entretenaient une curiosité grandissante pour une destination insondable,
quelque part au sud-ouest.
Dans les années 70, bizarrement, c’est un
film (1) qui m’a encore fait penser au pays suspendu (2) des Corbières.
Bizarre, en effet qu’une vallée cachée des Alpes ait pu rappeler notre
piémont pyrénéen. D’autant plus étrange que la vallée du film échappa,
elle, aux affres de la Guerre de Trente Ans tandis que nos Corbières ne
furent pas épargnées, quatre siècles plus tôt, par la répression
démocidaire des barons du Nord, lors de la croisade dite des Albigeois.
Passez-moi, en attendant, ces parenthèses et anachronismes révélateurs sur celui qui croit toujours tenir le porte-plume et ses idées embrouillées, les ferait-il courir sur le papier.
Les éclaireurs des
Corbières régentés par les 1230 mètres du Pech de Bugarach viennent
mourir contre les collines du Minervois, fédérées, elles, par les 1211
mètres de la Montagne Noire (3) au Pic de Nore. Entre les deux groupes
de bourrelets, géologiquement apparentés et pourtant coupés par un
sillon tectonique, le fleuve Aude, sans rien d’un entremetteur, persiste
avant tout à trouver sa voie vers la mer, accompagné par le Canal du
Midi. Le voyageur, lui, entrant dans les terres, demeure libre
d’imaginer un pays suspendu qui a su d’autant mieux préserver ses
secrets.
Avancées des Corbières.
On croit
seulement le border, ce massif prépyrénéen, alors que, depuis Narbonne,
la nationale aujourd’hui déchue en traverse les ultimes aboutissements,
d’abord, les 9 kilomètres, par Montredon-des-Corbières, ensuite, après
les basses terres de l’Orbieu confluant avec l’Aude (traversée de
Villedaigne), sur 7 kilomètres, entre Lézignan-Corbières et Moux.
En sortant de Narbonne, la route et le rail longent des lopins
entretenus qui dénotent d’autant de goûts, talents et penchants
empreints de sagesse terrienne pour les fleurs, les légumes et les
arbres fruitiers. Ces « hortes » (4) à la périphérie de la ville
laissent vite place à un paysage semi-désertique : les arbres ont
disparu et une rocaille nue donne corps aux collines où une garrigue
rase s’oppose radicalement à la luxuriance des vignes de la plaine. A
partir du lieu-dit Cap de Pla où les restes de fours à chaux confirment
l’ascendant des calcaires, les Ponts-et-Chaussées ont même renoncé à
aligner les platanes le long du goudron. Sur un versant, un chemin dans
la pierre, rouge de la décomposition chimique des sols, voudrait nous
emmener au Far-West. Au pont de Montredon, où depuis 1976, le souvenir
d’événements tragiques prévaut (5), laissons-nous cependant gagner par
le mythe de la piste pionnière puisque à gauche, vers le sud-ouest,
c’est la route des Corbières qui s’élance, auréolée déjà par les
vestiges d’un château-fort au-dessus d’un canyon. Vers Carcassonne,
Montredon-des-Corbières fait alors figure d’étape (6) et la présence
d’un cabaret invitant à une halte nocturne ne devrait pas étonner
davantage que celle d’un saloon au pied des Rocheuses. A peine peut-on
imaginer un numéro de girls qu’un décor de ruines antiques dignes d’un
parc d’attractions nous ramène aux vestales romaines... Sûr, la
singularité des lieux inspire ! Passé le Col de la Muette, on resterait
sans voix, non pas parce que ledit col semble plus bas que les cinquante
mètres du carrefour de Névian mais parce que la vue s’ouvre sur la
plaine de l’Aude jusqu’à la Serre d’Oupia, au fond.
(1) « La
vallée perdue » (The Last Valley / 1971) avec Michael Caine dans le
rôle du capitaine des mercenaires et Omar Sharif dans celui du maître
d’école d’un village tyrolien.
(2) des pays plutôt, comme le pluriel "Les Corbières" le laisse entendre.
(3)
Le sillon audois, drainé d’ouest en est par le Fresquel et l’Aude forme
une large gouttière entre les Corbières et la Montagne Noire.
La
Montagne Noire, beaucoup plus homogène que les Corbières, se prolonge à
l’est avec les Monts du Minervois appelés aussi Avant-Monts (822 m
au-dessus des hameaux de Copujol et Pez). Des Avant-Monts qui se font
remarquer jusqu’aux environs de Bédarieux, même s’ils changent de nature
après l’estafilade (Roquebrun) favorable au passage de l’Orb vers
Béziers.
(4) version francisée de"órt" en occitan,
dérivé du latin "hortus" qui a donné "horticulteur" par exemple en
français, (sauf erreur de ma part). A Fleury, un quartier, entre maisons
et campagne se nomme "L'Horte" (ce qui devrait se retrouver pour nombre
de localités du Sud). L’expansion de la ville et les aménagements liés à
la rocade ont bien sûr fait disparaître ces jardins.
(5)
le 4 mars 1976, suite à une demie-heure d’une fusillade nourrie entre
les viticulteurs et les CRS, on dénombra plusieurs dizaines de blessés
et la mort du vigneron Emile Pouytès et du CRS Joël Le Goff. Et près de
quarante ans plus tard, la polémique continue et chacun des camps honore
"son" mort à part, à une date différente, en toute inhumanité...
(6)
Pins, platanes, pechs boisés qui compensent cette zone industrieuse et
ce rond-point des temps modernes où des palmiers de Chine ne survécurent
pas au parasite... Espérons qu’ils sont les seuls fantômes
des illusions sur la croissance perpétuelle promise !
photo autorisée wikipedia / Aude relief.
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