mardi 20 décembre 2022

CERBÈRE, PORT-BOU, CADAQUÈS...

Cerbère depuis la route qui monte vers l'Espagne.

Afin de profiter des paysages, des villages sur la mer au pied des Pyrénées, il faut prendre la route de la Côte Vermeille : Collioure pour son site, les tableaux de maîtres dans les cafés, les anchois, Port-Vendres où arrivaient les oranges d'Espagne, les paquebots d'Algérie, les bois du Nord, Banyuls, le pays de Maillol, des bonbonnes ventrues qui laissent leur vin épais cuire au soleil, Cerbère le terminus de la ligne Narbonne-Port-Bou. 



Ici un véritable faisceau de lignes remplit la seule aire disponible enchâssée au pied des montagnes : la différence d'écartement des voies oblige à changer de train, tant pour les voyageurs surtout venant d'Espagne que pour le fret ; le début des années 1900 est marqué par une grève des femmes mal payées à transborder les oranges dans les wagons français. Remarquable aussi, l'hôtel Belvédère, tel un vaisseau futuriste, évoquant les voyageurs forcés, l'exode des réfugiés républicains fuyant le fascisme. 

Port-Bou. 

La route pour l'Espagne passe le cap Cerbère et monte au coll dels Belitres, pas bien haut mais spectaculaire, en surplomb. Le nom rappelle les trabucaires, les contrebandiers, ce qui a vite motivé la construction d'un poste de douane côté français. D'un côté, Cerbère, de l'autre le bourg frontalier espagnol mais il faut passer la frontière en poursuivant sur la route ou gagner une petite auberge sur les hauteurs, avec l'autorisation des douaniers, pour voir Port-Bou, en bas. 
Port-Bou, sa gare surdimensionnée et ses maisons blanches, le plaisir des tapas pour donner envie d'aller plus loin. Tout est plaisir et même le faisceau des cinq flèches à l'entrée des villages n'inquiète pas bien qu'il soit le signe de la phalange, du parti que Franco a su mettre au pas pour qu'il ne lui fasse pas ombre. 

Au fond, le Cabo de Creus. 

Depuis Perpignan et en direction de Cadaquès, avant Armand Lanoux, la guerre d'Espagne va inspirer Henri-François Rey (1919-1987) avec le roman "La Fête Espagnole" (1959), l'histoire d'un engagé des Brigades Internationales qui rencontre l'amour sur la route de Barcelone, adapté au cinéma en 1961, par Jean-Jacques Vierne (1921-2003). Rey sera aussi inspiré par Cadaquès, deux ans plus tard, avec "Les Pianos Mécaniques" : Caldeya, pour ne pas dire Cadaqués, est un petit port de pêche isolé du monde par le massif du cap de Creus ; s'y retrouvent des artistes du pinceau, de la plume, des riches qui viennent s'isoler en une société oisive de privilégiés d'une "dolce vita", faisant penser au Saint-Tropez des débuts. (Les Pianos Mécaniques ont valu une adaptation au cinéma (1965) par Juan Antonio Gardem (1922-2002). Heureusement, Cadaqués est resté préservé du béton, Dali s'est beaucoup impliqué contre les promoteurs immobiliers. Aussi, la péninsule rocheuse du Cap de Creus, toute de maquis, de calanques, de petites plages secrètes, continue-t-elle d'isoler, avec bonheur, l'ancien refuge de pirates et, juste à côté la maison-musée de Dali dans la crique de Portlligat.  

Cadaqués_-_Es_Poal_-_1907 Domaine public Author Enric Llorens Ferrer

Cadaqués 2021 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Castellbo

 

lundi 19 décembre 2022

ROSAS...

 Il est vrai qu'à la fin des années 60, nous devons être peu nombreux à penser que prononcer " ROSES " serait respecter l'identité catalane de la province espagnole à nos portes, de même nous disons "Figueras" pour le chef-lieu de la comarque de l'Alt Empordà, la ville où poussent les figuiers... c'est comme parler d'aller " en Espagne " et non en Catalogne... Il faut peut-être y voir, pour un pays centralisé qui dit "Roussillon" et non "Catalogne Nord", la négation du particularisme, la hantise de la sécession... une pensée à relativiser puisque dans l'autre sens ils doivent dire qu'ils viennent en France. 

Alors allons faire un tour en Espagne, quelques heures, avant tout pour des achats moins onéreux de l'autre côté de la frontière, sinon, en touristes, pour la journée. Ce que nous sommes loin d'évaluer est que dans ces années 60, le tourisme à plus grande échelle (séjours, investissements immobiliers) représente la moitié des entrées de devises ainsi que l'acceptation implicite de la dictature, Franco laissant entendre qu'une forte présence étrangère conforte le bien-fondé de sa gouvernance. 
Au village, le Club des Jeunes, parfois grâce au Foyer Léo Lagrange de Coursan, organise des sorties à Rosas, à Figueras. Que des garçons dans le car il me semble... Les filles seraient-elles encore très " encadrées " à la maison ? Les pays de l'Europe du Sud, méditerranéens, restent corsetés dans des valeurs traditionnalistes, machistes, que la religion conforte. Ce carcan, le tourisme de masse va le mettre à mal. Ainsi, sur la Costa Brava, pour un jeune homme, il est dit que vivre avant le tourisme, c'est une seule fiancée, rentrer avant dix heures le soir, intégrer pour plus tard que le divorce et l'adultère sont montrés de doigt... Avec le tourisme, la fiancée en hiver, celles, passagères, de l'été, la fête jusqu'au petit matin, la vie privée moins livrée au qu'en-dira-t-on...   
Roses_Fischerhafen  licence Creative Commons Attribution 3.0 (non transposée) Auteur Gordito 1869

Rosas, à l'origine un port de pêche, une jolie station balnéaire de plus en plus fréquentée. Au fil des années, aux locations va s'ajouter, à titre collectif ou individuel, la construction d'appartements ou de résidences secondaires. Chez nous, c'est la raison pour laquelle la politique essaie de retenir les estivants avant la frontière grâce au développement, suivant le plan Racine, des stations du Languedoc-Roussillon. 
Nous concernant, la journée à Rosas, en avril ou mai, c'est pour l'exotisme des palmiers, des filles locales auprès desquelles on se fait photographier. Aussi un repas dépaysant avec tapas ou la paella au restaurant, manière d'imiter les embourgeoisés du village, d'un certain âge, qui partent, parfois loin, pour une bonne table. On se groupe par affinité, on court les menus fichés à l'extérieur des établissements, on se croise, on échange de bons tuyaux. Ensuite ce sont les achats, cartes postales, cigarettes et cigarillos, allumettes de cire, menus objets d'orfèvreries usinées, castagnettes ou éventail à offrir... La promenade en bord de mer, le retour des chalutiers, des barques catalanes et après les cagettes de poissons pour la criée, c'est le retour. Fin de la sortie. 

Roses_Palmenpromenade  licence Creative Commons Attribution 3.0 (non transposée). Auteur Gordito 1869

Sources : en plus de sites divers dont wikimedia, le tourisme des années 60 à destination de l'Espagne : le cas des Français [article] Esther Sanchez, Histoire économie et société, année 2002, pages 413-430