mardi 22 juin 2021

Un vieil Indien dans la ville, version covid (mai 2021) (4)

Pour ne pas s'empêcher de dire, qui tient la plume doit se désolidariser de l'autobiographe en romançant... la bonne combine pour faire dire à son double tout ce qu'on préfèrerait garder pour soi. Je parle de lui en écrivant "il" puisqu'il est le voyageur que je suis et que je suis le voyageur qu'il est...  

La Crète s'éloigne dans le sillage, Cythère et le Péloponnèse ouvrent un nouveau tableau avant la mer Ionienne et d'autres îles, manière de penser à Ulysse. La botte italienne n'est pas loin : depuis nos 13.000 mètres d'altitude, c'est plus vrai encore. 

 Retour au calme. Réveil alors que l'appareil aborde Nice. La carte montre qu'il s'est écarté jusqu'à survoler la Corse. Et à présent les Alpes, la neige ne pouvant plus nourrir les glaciers. Puis la campagne, les champs, des éoliennes mais pas de centrale nucléaire à l'horizon du Bassin Parisien. 

 Atterrissage... 20 bonnes minutes de retard... avec 15 minutes de roulage en prime puisqu'il faut faire le tour complet de Roissy pour se garer... et dire qu'avec le covid et un trafic réduit il n'était pas illogique de penser plutôt à gagner du temps... Que nenni ! Pire encore quand la sortie de l'aérogare désertée s'apparente à un parcours du combattant. Pour commencer un énième contrôle du test négatif avec une dame poussant le zèle à éplucher l'intégralité du document ! 

En suivant, une quête labyrinthique de la valise : des couloirs qui n'en finissent pas, des tapis roulants non fonctionnels, amorphes ou entravés par un groupe, valises aux pieds, piaillant l'ourdou ou le tamoul, une porte tourniquet avec la hantise aussi immédiate que non-fondée qu'elle ne tourniquettera pas dans l'autre sens, encore un escalator mais toujours le logo et l'inscription "bagages". Horreur ! en bas des marches mécaniques, un cul-de-sac "Navette" ! Pourquoi le jeu de pistes "Bagages" s'arrête-t-il soudain ? Où peut bien mener ce petit train ? Comment ? faut-il dire adieu à la valise, la seule à tenir le coup après tant de vols (achetée sur un marché de Besançon) ? Remonter puisque c'est possible. Ouf tournicoter à nouveau. Miracle, une hôtesse : 

" Mais si monsieur, avec la navette, à cinq minutes à peine la remise des bagages..." Paroles réconfortantes avec en prime la voix chantante du Sichouan, de Wuhan ou Canton... Comment savoir, le stress plus que l'universalisme fossile vermoulu, rongé de jacobinite boboiste pourtant imposé par une prétendue élite (heureusement rejetée de nos jours) ne laisse pas le loisir de demander au sourire bridé d'où il vient ? 

La valise se promène sur le serpentin de desserte : avec ses petites fleurs bleues et son air de toile cirée, il ne peut pas la manquer ! 

Maintenant la gare, les flèches à suivre et la confirmation de la direction sur le panneau suivant. 

Basilique du Sacré-Coeur, wikimedia commons, author Superchilum.
 

Les distributeurs de billets. Que disait le site "SeNeQeFe" (pourquoi un "u" après le "q" ?) sur internet : "Prenez un titre de transport "Ile-de-France" sauf que la machine ne propose pas cette dénomination de billet ! Machine qui rame... Ouf la seconde délivre bien de quoi rejoindre Bercy (19 h 47) via la gare du Nord et les Halles-Châtelet, en théorie du moins. Le RER attend l'heure de départ. Malheureusement il est huit heures et l'arrivée à temps pour le bus est compromise. Envers et contre tout, ne pas baisser les bras... Point très positif, contrairement à ce qu'il supputait, ce train est sans arrêt jusqu'à la gare du Nord : vingt bonnes minutes de gagnées... Vue sur le Sacré-Cœur, c'est tout ce qu'il lui sera donné à voir, fugitivement, et de loin, du  Paris des touristes. Les Halles : de là c'est la ligne 14 du métro qu'il faut rejoindre. 

Fourmilière ? Termitière ? Une fréquentation jeune, de petits groupes, souvent par deux... Et au milieu, valise bleue à fleurs, chemise rouge, directement téléporté depuis les tropiques, un vieil Indien dans la ville, le seul en manches courtes, trop voyant dans ces flots croisés de blousons en gris, de vestes noires, d'ensembles sombres. Le seul vieux à aller dans le flot rapide des jeunes. Le crâne se sait mal du courant d'air de crypte ou de catacombe courant les galeries d'une haleine caverneuse... Mais s'il sort le béret, en plus des fleurs de la valise, du rouge de la chemise, des manches courtes, de son air retraité obligé de turbiner, ils vont croire que c'est pour gratter quelques pièces ! A combien de mètres sous terre ces tunnels pour myrmidons filmés et géolocalisés ? Malheur ! un contrôle robotisé ! Toute une rangée de sas électroniques qui ne laissent passer que sur présentation du titre de transport. Inutile de jouer au chevreuil au-dessus du tripode qui aurait plutôt trois bras, les couperets escamotables de plexiglas forment une deuxième ligne ! Il voit bien faire les usagers. Il suffit de les imiter ! Sauf que son billet n'ouvre rien, il a beau préparer la valise, présenter l'ordi sur le ventre, frotter mon bout de carton vif ou léger, direct ou en rondeur, rien n'y fait ! 

Oh ! cette brune qui réussit son saut de chevrette mais plus pour amuser sa copine que pour frauder : elles en rient synchro ! Ce n'est pas que l'idée ne l'effleure pas un éclair de seconde mais il n'a plus l'âge de s'afficher derrière une chevrette ! C'est alors qu'une âme charitable de la harde, jeune et jolie qui plus est, le prend presque par le bras, covid oblige, pour le mener, tel un aveugle, au bout de l'escadron de machines ou, effectivement, deux d'entre elles veulent bien engloutir un laisser-passer de papier. Un petit vieux, provincial et perdu piétinant d'impuissance : quelle pitié ! Devant lui, au sol la valise, sous son menton la banane et la sacoche de l'ordi sur le ventre... heureusement que le sac-à-dos suit, lui, sans autre complication. Pousser du pied, récupérer le billet régurgité, passer les cerbères escamotables quitte à les obliger un peu ! Et alors ! "Merci mademoiselle !" (pourquoi dire madame à une dame jeune ? pourquoi y voir un rapport avec ses expériences intimes ?). Ligne 14, direction Olympiades ! surtout ne pas partir dans l'autre sens ! Il y est presque : deux stations seulement. Debout près de la sortie. Elle, assise, tonkinoise ou petite bourgeoise ; elle le regarde. Elle doit dire, en face d'elle, à celui qui est de dos "Si tu voyais ce vieux vieille France sorti d'on ne sait où..." La répétition le dit bien... Face à elle, pas discret, lui se retourne comme pour découvrir un martien ; pour notre voyageur, ça passe au-dessus des cheveux blancs pas encore tombés. (à suivre)


lundi 7 juin 2021

ON DISAIT "COMPOSITION FRANÇAISE"...

Qui donc parmi mes proches, profitant que je sois à des milliers de kilomètres, a osé exhumer une pièce à conviction vieille de 57 ans ? 

En prenant connaissance du sujet, je ne pouvais que me demander si je suis devenu autre, étranger à celui qui avait 15 ans... peut-être à l'opposé, voire complètement en contradiction. Bien sûr, à partir du moment où cette publication paraît, c'est que la pièce à conviction ne m'accable pas... 

Pas encore "dissertation", après la "rédaction" d'un plus jeune âge, c'était le temps de la "composition française"... 

 

Vous l'avez trouvée, la faute d'orthographe ?

    "Si les dimanches sont variés, et jamais les mêmes, c'est le jour de congé où je peux profiter de bien de distractions quel que soit le temps. 

Chœur de l'église Saint-Martin à Fleury. De l'autel il ne reste que la base en marbre (mais de quand date-t-il ?). Le haut au style classique bien que rappelant sans aucune référence au baroque la contre-réforme repose, à cause de sa surcharge décorative en rupture avec un retour à la simplicité des premiers âges, abandonné à l'extérieur de Notre-Dame-de-Liesse, la chapelle des bords de l'Aude étouffée depuis un demi-siècle par l'autoroute entre l'Espagne et l'Europe du Nord... De part et d'autre du chœur tournant ses vitraux, notamment Saint-Martin partageant son manteau vers le soleil levant, les linteaux vénitiens, sinon au style oriental, des portes basses donnant à droite sur la sacristie, à gauche, au clocher et dans mon imaginaire d'enfant... à la caverne d'Ali Baba...
 
    Le matin, vers neuf heures, je me lève, en déjeunant je regarde la télévision où je suis le cours d'anglais. Vers onze heures, je me rends à la "grand-messe" en passant devant le bureau de tabac, j'emploie quelques pièces destinées à la quête, beaucoup plus tenté par les sucreries que par un bon geste à l'église. Il est vrai que beaucoup de personnes se disent "dévots" mais je crois bien que c'est par principe "ça fait bien et distingué". La messe c'est plutôt un devoir qu'une dévotion et bientôt ennuyé par les paroles chantantes du curé, je pense à autre chose. Après la messe, en passant par le marché, je vais dire bonjour à mes grands-parents, attendri devant cette vieille maison, je pense à mon enfance, au jardin où, dans le roucoulement des pigeons, je me roulais dans les coquelicots ; je sens l'odeur du foin qui me rappelle tant de choses. "Papé" est revenu de la vigne : son portrait me fait penser à une poésie le Semeur, qui personnifie le travail et la beauté du travail par un vieux paysan ; les mains caleuses, fortes, l'allure lente et sûre, la peau vieillie par le soleil, le visage bronzé, une fière moustache grisonnante, en pensant à ce poème, je respecte et estime mon grand-père tandis que "mamé" m'inspecte de la tête aux pieds et commence à parler des souliers neufs.......... 
    A trois heures, après avoir dîné, je vais voir le film au cinéma, toujours pareil, le film est inimaginable basé sur la magie et la science-fiction, le tout "embobiné" par une histoire d'amour. Entre nous "c'est une pommade" on y va plutôt pour passer le temps que pour voir le film, les beaux films sont si rares ! Quand je sors de la salle, je jette un coup d’œil au clocher 5 heures, comme le temps passe vite tristement je pense au lendemain, il faut finir les leçons, faire la dernière phrase du devoir de latin..... 
    Pourtant je m'arrête au café, les vieux jouent à la belote, les enfants se pressent autour du téléviseur, mes camarades parlent du rugby : "Tu as vu, il prennait toutes les balles à la touche....."
    Je reviens à la maison  et me mets à travailler, en pensant à rien, sauf au travail..... Comme chaque dimanche, au souper, ma mère apporte le potage, je me lève, vais préparer le cartable. Après m'être douché, je vais me coucher, le dimanche est fini, je pense avec tristesse au lundi, à toute une semaine qu'il faudra passer pour retrouver l'atmosphère du cinéma, la chaleur du foyer, la messe ennuyeuse, la vieille maison de grand-père, qui vers midi sent bon les frites....... Une semaine c'est long mais le temps passe si vite." 
 
Notre-Dame-de-Liesse, morceau témoin de l'ancien autel monumental. Je n'ai que cet élément en photo 2016)... il faut y repasser si l'élément gît encore à proximité...