samedi 11 mai 2019

SALLES - d'AUDE du TEMPS des INSTITUTEURS / transports pédagogiques

Salles-d'Aude Wikimedia Commons Author Patrick Nouhailler's.
 Liminaire : en tant qu'auteur, par mes remarques et commentaires, je fais référence à une activité professionnelle d'enseignant révolue même si je subodore que non seulement rien n'a changé mais qu'au contraire la situation est pire...  

Je vous ai parlé déjà une paire de fois de ces quatorze petites pages qui, avec le recul, par le biais de la pédagogie Freinet, pionnière des principes aujourd'hui admis de l'éducation moderne, honorent le temps des instituteurs. 

Le maître alors (qui était-il ?) faisait publier tous les mois une dizaine de rédactions si bien déguisées en histoires qu'on sent le plaisir des garçons (l'école n'était pas mixte). Ils sont visiblement alléchés au point que leur propos bien cadré entre l'introduction et la conclusion, relève plus de l'art du conteur que de la corvée liée à l'exercice de la composition française. 

Je parle de l'enseignant, du guide qui pour l'époque amenait les enfants à s'exprimer dans un apprentissage tenant plus de l'échange, de la participation que de la domination autoritaire hélas trop souvent revendiquée en vertu d'un postulat faisant des enfants des êtres inachevés ne devant pas recevoir le respect dû aux personnes à part entière. A côté des principes figés, de la lâcheté des certitudes arrêtées, des blocages réactionnaires d'une société corsetée, la mission des maîtres Freinet apparaît d'autant plus courageuse et révolutionnaire. 

J'aime, j'aime beaucoup cette congrégation plus agrégée d'individualismes que de corporatisme, cette confrérie qui n'en est pas une. Quand une secte se démarque par le nombrilisme, le narcissisme, l'introversion confortée par le groupe sinon le gourou, les instituteurs forment un corps diffus, une compagnie de mousquetaires mais ferraillant chacun de leur côté. Si Péguy, après 1905, les a surnommés "hussards noirs de la République", ils ne forment de régiment que le temps de la formation à l’École Normale (1). Ensuite, électrons libres des idéaux d'émancipation, du moins concernant ceux qui ressemblent à l'instit de Salles, ils ne partagent plus qu'un exosquelette d'instruction, d'éducation et surtout d'amour à l'égard des petits qu'ils contribuent à faire grandir. 

Dans "VOIX DE LA CLAPE", déjà tout un programme puisque la garrigue de Salles, passons sur ce singulier, n'est pas de même nature qu'à Fleury, sur la quatrième de couverture figure une pie, l'oiseau jadis étiqueté nuisible, dont la destruction était encouragée: les gardes payaient 20 centimes pour un œuf et 50 cts pour une paire de pattes coupées ! A méditer à présent qu'il n'est pas donné d'entendre souvent une pie qui jacasse puisque le tiers des oiseaux a disparu en quinze ans... Planète fric pour un printemps silencieux ! Mais est-ce ainsi que les hommes peuvent vivre ! 

1951 - 1952 / 8ème année / numéro 1.
 La pie... c'est Margot aussi, pas la belle femme allaitante chantée par Brassens, non la pie de Louis Pergaud, encore de la confrérie des instits toute à l'opposé d'une secte. 
Maurice Genevoix a écrit "Les Compagnons de l'Aubépin" (1938), Henri Troyat "Les Compagnons du Coquelicot" (1959) et cet instituteur de Salles-d'Aude était sûrement des "Compagnons de l'Agasse", pour faire l'inverse, justement, de l'oiseau blanc et noir qui houspille et interpelle bruyamment. 

Ne pas provoquer, ne pas brusquer, argumenter patiemment sans hausser le ton, en modulant seulement s'il faut... Faire adhérer, donner à réfléchir, amener au sens critique... en se mettant en porte-à-faux avec la hiérarchie, un corps d'inspecteurs voué au jacobinisme pur et dur d'une France Une et Indivisible qui ne veut surtout pas promouvoir le sens critique... On le constate en feuilletant les manuels scolaires avec, par exemple, les idéaux républicains d’Égalité, de Fraternité seulement claironnés en théorie... La pédagogie se décline en exigences à géométrie variable. A quel moment, ceux qui l'exercent sont-ils capables d'une telle maturité ? 

Chaque âge du pédagogue qui comme l'adulte évoluera toute sa vie toujours en formation, peut apporter si la motivation première est le souci de l'autre, à plus forte raison d'un enfant, l'empathie et l'amour... 

  « Le monde, s’il peut être sauvé, le sera par des insoumis. » A. Gide

(1) peut-être un esprit de corps le temps de la formation, pour nous, deux ans alors, de 1971 à 1973. Ensuite plus rien, seulement le flou d'un passé enterré étouffé...  

Addendum : si dans les années 50 les deux villages se livraient une guerre des boutons aux Oliviers, le lieu de bataille entre les deux protagonistes, aujourd'hui, avec les particularismes nivelés par le mode de vie moderne, l'heure est au rapprochement. Je pense à la culture avec des associations qui accueillent indifféremment les gens des deux localités qui ont bien changé, voyant notamment leurs populations qui ont plus que doublé.  


  



samedi 4 mai 2019

LIBRE, LIBRE COMME AVANT... / LE DERNIER AFFLUENT (10ème partie) / Fleury d'Aude en Languedoc.



La départementale 618 pour Lespignan passe le Bouquet sur le pont de la Moulino, appelé ainsi (francisé en „Mouline“) peut-être pour indiquer qu’il y avait un moulinot, un petit moulin (?). Monsieur Robert y avait une petite vigne... je l’ai vendangée en tant qu’homme, comme charrieur, à 18-19 ans, j’en bombe encore le torse ! 




Au creux d’un doux vallonnement, entre Carabot et la Magnague, en bas de Saint-Giniès (1), le ruisseau du Bouquet, ponctué de bouquets de carabènes et d’arbres bienheureux de pousser sur ses bords, se retrouvait parfois caché par des ronciers épais quand on ne le voyait plus lambiner en petites courbes charmantes. L’une tranchait dans un limon blond donnant des aramons aux grains plus gros que des cerises. Une autre affouillait dans les racines d‘un gros tronc. Une troisième dévoilait une terrasse fertile mise à profit pour un petit jardin de quelques légumes. En hiver on trouvait des blèdes, des épinards sauvages sur ses bords... 


La carte IGN de 2015 indique deux sources captées entre le pont de la Moulino et l’ultime rupture de pente avant la plaine. Avant celle-ci, au fond, le promeneur comme le fil de l’eau longent de nombreuses vignes sans jamais ressentir l’impression d’outrepasser la propriété d’autrui... Un naturel plus très évident de nos jours chez les gens mais qui donc, aujourd’hui, avec tous les poisons déversés, a envie de courir la campagne pour de petits profits rustiques qui faisaient avat tout plaisir ?

Le Bouquet, lui, manière de faire un pied de nez aux hommes qui l’ignorent, le Bouquet passe à gué la traverse entre Notre-Dame et la route des Cabanes. J’avais des photos d’il y a quelques années avec des friches en lieu et place des vignes arrachées, des caniès, des cannaies épaisses et l’eau passant sur la route pour continuer son cours. Comment on dit ? à gué c’est un passage de la route sur l’eau, là où c’est peu profond et là c’est un passage de l‘eau sur la route. En créole, à La Réunion ils disent „radié“ sauf que le terme là-bas francisé „radier“ n’a plus ce sens en métropole même quand il désigne un rapide souvent sur un lit de cailloux. Ici l’eau court et fredonne sur le goudron avant de goualer dans une cascatelle liliputienne qui érode, si on laisse faire, l’empierrage de la chaussée... Petit ruisseau, beaux dégâts, beau pied-de-nez de l’eau du Bouquet qui travaille jour et nuit depuis des lustres...

Dernier ressaut, Aigos Claros, encore un tènement au nom limpide et qui nous emballe plus particulièrement parce que notre inimitable oncle Noé y entretenait un jardin des délices. Et pour les mille et un légumes du potager, l’oncle puisait l’eau avec une pousalanco (ou pousaranco ?) fièrement pointée vers le ciel quand elle ne prélevait pas l’eau dans une conque aménagée ! Ah qu’elle était jolie la noble conquête de l’oncle Noé ! D’où en avait-il eu l’idée ? La pouzalanco ? un balancier à puiser l’eau, le chadouf fameux de Mésopotamie ou d’Égypte. En été, les melons venaient bien au jardin d’Aigos Claros, du temps où comme pour les hommes, enfin, à en croire les femmes, il fallait en goûter dix pour en trouver un de bon ! En attendant, c’est du propre ces propos de dévergondées puisque souvent le premier amoureux était celui d’une vie... Au service militaire, l’oncle Noé écrivait à tante tous les jours et même dans l’âge, ils formaient un couple aussi soudé qu’attendrissant... Ah ! tante Céline qui donc testait les melons avec une comporte à côté... de quoi cumuler une cinquantaine de kilos ! Toujours gaie, elle sondait et goûtait en effet chacun d’eux pour n‘en garder qu‘une paire, le reste, la comporte, allant directement aux poules. Le temps n’était pas encore celui des melons toujours bons, c’était avant ceux de Canguilhem à Coursan qui ont fait la réputation du marché de Saint-Pierre... Si tu nous lis, Jean-Claude, je te salue... 

De gauche à droite : Ernestine, Jean, Céline et Noé.
 Désormais dans la plaine, le Ruisseau du Bouquet entame la dernière partie de son cours microcosmique, notre dernier épisode à suivre, je pense...   

(1) Carabot ? un rapport avec ces gerbes laissées au soleil, empilées le soir pour être battues le lendemain, bien que plutôt dans le Dauphiné ? (F. Mistral /Trésor dou Felibrige).
La Magnague... „Maniago“ étant la mignonne, la bien aimée... en parlant d’une vigne, sur la route des Cabanes, notre maniago, avec les grappes opulentes de la plaine, les sucres et le degré du coteau.
Géniès, ce saint obscur peut-être de Lyon „Genès“ ou encore orthographié „Genest“...
Ah tous ces noms de lieux, déjà attestés pour la plupart en 1495, balises du spatio-temporel, déformés, transformés, évanouis mais qui resuscitent en dépit des siècles écoulés depuis les Ligures, les Ibères, les celtes, les Grecs, les Romains, les Occitans, les Francs... Indices obligés des nouvelles, des ragots du jour, mais empreints de poésie, gourmands en bouche, appellations de terroirs, de coins, de points précis, d’histoires, de mémoire du pays, de visages qui passent... Ce rapiéçage de parages, de voisinages, qui racontaient une tranche de temps passé, limpide pour les riverains, déjà diaphane pour les autres villageois, opaque pour les pièces rapportées, carrément hermétique pour les estrangès et que la vie moderne, de toute façon, efface inéluctablement...