dimanche 7 mai 2017

LE MONDE NE DEVRAIT ÊTRE QUE CHANSON ET MUSIQUE... (8) / ratés existentiels

Nairobi, un des aéroports qui ouvrent sur l’Afrique. Une fois il a pu discuter avec un monsieur du Burundi attendant pour Bujumbura. Celui-ci l’avait complimenté en riant : « Ah ! tu es fort d’avoir un enfant aussi clair avec une femme noire... parce que d’habitude, ce sont elles qui gagnent ! ». Une réflexion si désinvolte et ouverte sur l’insignifiance de la couleur de peau même si les propos du Belge à présent quelque part en correspondance pour Mada, concernant sa compagne de Nosy-Bé et l'enfant qu'ils n'ont pas eu, lui reviennent en mémoire «... si tu en veux un que je lui ai dit, fais-le avec un Malgache parce qu’un métis ici est embêté tant tout le monde croit qu’il est riche... ».

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/search?updated-max=2017-03-09T08:24:00%2B03:00&max-results=1&start=24&by-date=false
 

Et ces Congolaises, africaines d’une palette, de nuances de peaux se fondant dans un horizon d'empathie universelle, "d’amour infini" pour l’humanité, la nature, tel que le définissait Rimbaud, et surtout pas relégué à l’espace fermé, au périmètre pelé, pisse-vinaigre d’un vocabulaire cynique, borné par le sens des mots « blanc », « noir », « clair », « foncé », dans ce qu’ils ont de plus étriqué. 


Femmes avant tout, confiantes, souriantes, charmantes, fraîches malgré les heures, parfois des jours de voyage !
Les femmes, il paraît "qu’il faut savoir leur parler"... Le dire ainsi relève déjà d’un apriori machiste, négatif, irrespectueux... N’est-il pas dégradant de croire, de laisser croire qu’on peut les traiter ainsi, en fruits à cueillir, de les leurrer, moyennant, 
comme l'ironisait un copain comorien,  des « paroles mielleuses » ? Pas seulement, bien sûr mais le jeu du mâle pour la femelle est bien inscrit dans une nature qu'il serait dangereux de dévoyer artificiellement au nom d'une prétendue égalité alors que tout est en complémentarité... 

https://www.youtube.com/watch?v=_ifJapuqYiU / Dalida & Alain Delon

Ne dit-on pas aussi, avec trop d’indulgence, pour un séducteur qu’il « aime les femmes » ? Comme si aimer c’était seulement prendre sans partager, sans réciprocité ! Et lui, qui se croit au-dessus malgré des considérations ambiguës, qui n’en ressent pas moins une pointe d’envie pour Don Juan et Casanova ! Un vieil instinct animal des origines, sûrement, se met à balancer ce qui ressort de la sincérité ou de l’hypocrisie entre le tourbillon charnel et le maelström de sentiments... 

Émilie, elle s’appelle. Elle revient d’Antananarivo où elle a animé un stage de trois jours axé sur le contrôle des compétences du personnel de laboratoire, pour des analyses recevables répondant à la norme ISO 15189 ! Émilie a fait ses études au Congo puis en Afrique-du-Sud, alors qu'on s'attendrait à entendre “ en France ”... ce rappel sur notre prétention ne saurait mieux tomber ! Elle travaille pour le ministère de la santé au laboratoire national de référence des mycobactéries... Formidable la coopération intra-africaine ! L’Afrique qui avance ! Et comment ne pas se laisser aller à aimer Papa Wemba (Congo), Oliver N'Goma (Gabon) et même pour un microcosme comme Mayotte, la kyrielle fournie d'artistes dont Mobyssa, Bedja, Ragnao Djoby, Mikidache, M'toro Chamou, J.R. Cudza, Boura Mahiya, Cadence Mahoraise... et ceux, oubliés, qui pardonneront mes trous de mémoire...     

Émilie parle en phrases sobres, non, pas de la révolution d’Octobre, comme Nathalie de Bécaud...

https://www.youtube.com/watch?v=oX3334V69RA Nathalie Gilbert Bécaud

Non, mais encore fataliste, neutre, étrangement calme, elle convient que depuis le génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994, les massacres, les viols n’ont jamais cessé dans les provinces de l’Est. L’Ouganda et surtout le Rwanda de Kagamé, puissant voisin, menacent toujours de faire main basse sur tout le Congo tandis que les Occidentaux qui n’ont pas un mot, pas un entrefilet pour des millions de morts, jouent les charognards et pillent en s’en lavant les mains les métaux et terres rares du business des portables. Lui, en reste un instant songeur : ah ! le Congo... l’ex Zaïre... enfin le Congo Kinshasa, la République démocratique, la honteuse opération "Turquoise", justifiée, qui plus est, par un Mitterand s'immisçant de sa métastase françafricaine dans un bourbier ne nous regardant pas s'agissant d'une ancienne colonie allemande puis du roi des Belges... Ce qui n’est pas sans nous faire penser aussi au discours de Dakar qui fit dire à Sarkozy que l’homme africain ne serait pas rentré dans l’histoire et que, à l’image du continent, il serait resté dans le paradis perdu de l’enfance... en somme, un racisme larvé, assumé, qui renvoie à la condescendance paternaliste de ceux qui, encore dans les années soixante, traitaient l’Africain de « grand enfant ». Il se promet de bien écouter « Afrique adieu », cette chanson de Sardou peut-être encore teintée de pessimisme (1) alors que le cœur de l’Afrique résonne en Europe et qu’un discours ambigu demandant explication se fait entendre aujourd’hui : « La France a besoin de l’Afrique pour construire son avenir » Emmanuel Macron. Oiseux non ? parler pour parler... à moins qu'il faille relier au contexte...  

Soudain, fermant cette parenthèse historique, cette expectative sur l’avenir de l’Afrique, notre voyageur se demande si cet échange, cette discussion n’auraient été qu’une réponse à une attirance ? Non ! impossible alors qu’un trop-plein de passé refait surface dans son présent tendu, tel le Grand Rift et ses autres failles s'ouvrant de la dépression de l’Afar au Canal de Mozambique, au sein de son cœur-volcan ébranlé de séismes mais qui tient encore et ne se demande pas encore jusqu’à quand. 
  
Une annonce au haut-parleur et elle explique que cette langue swahilie est parlée aussi dans l’Est du Congo justement. Lui, répond que les marchands d’esclaves étaient bien installés sur le grand fleuve mais comme sans y croire, préoccupé, perturbé qu’il est de réaliser d’un coup le charme qui émane de cette femme douce, tranquille et pourtant résolue. Ils se passent des adresses, le stylo, les papiers passent entre quatre mains qui se frôlent. Elle écrit « Bandundu », « Kwilu », « Kikwit ». Tout se précipite. Il lui baise vite les doigts avant sa fuite éperdue vers le comptoir désormais vide où l’on n’attend que lui ! 

«... Moi j’avais le soleil.../... dans les yeux d’Emilie, je réchauffais ma vie à son sourire, moi j’avais le soleil dans les yeux de l’amour et la mélancolie, au soleil d’Emilie, devenait joie de vivre... »
https://www.youtube.com/watch?v=vEFGQN9qLkQ Dans les yeux d’Émilie / Joe Dassin. 
 

(1) https://www.youtube.com/watch?v=Pmetwm6VWgc « Afrique adieu » 1982 : Michel Sardou. 

«...Afrique adieu.
Ton cœur samba
Saigne autant qu'il peut.
Ton cœur s'en va....»

mardi 2 mai 2017

CAMPINA GRANDE (Paraiba, BRASIL) en grand danger d'être évacuée

http://geopolis.francetvinfo.fr/secheresse-au-bresil-campina-grande-une-ville-en-danger-135689
 


La deuxième ville de l’état de la Paraiba, Campina Grande, 400 000 habitants environ, se retrouve en grand danger d’être évacuée avant la fin de l’année, faute d’approvisionnement en eau. Si elle fait partie du Nordeste brésilien, elle ne se situe pourtant qu’en bordure du polygone de la sécheresse, une zone intermédiaire encore verdoyante, l'agreste, entre la mata atlantica, la forêt côtière disparue dont seul le nom subsiste, et le sertão (1) semi-désertique, où ne pousse que la caatinga d’épineux et de cactus.
 

Souvent les populations de pays incultes, de régions déshéritées, démontrent une hauteur d'esprit peu commune. Comme si la malchance et les privations forgeaient les caractères en les élevant bien au-dessus des contingences matérielles. Transcendées, elles versent même dans une mystique exacerbée par l’analphabétisme : paradoxe de celui à qui rien n’est donné mais qui trouve un dieu omniprésent comme raison de vivre (2). 
Le Nordeste brésilien tient de ces lieux où la nature semble avoir dit à l'homme d'aller plus loin.  Et cet homme, qu'il reste ou qu'il parte, porte en lui et pour les autres, bien enraciné au plus profond de son être, un attachement viscéral à une terre pourtant stérile et ingrate. 
 

Cet homme, c'est Lampião, le cangaçeiro, devenu bandit pour venger un père assassiné injustement par la police, sur fond de vendetta entre grandes familles latifondiaires, sur fond d'exploitation féroce des plus humbles.
 

Cet homme c'est Maria Bonita, sa femme, si élégante et surréaliste sur un décor inhospitalier d’épines agressives.

Cet homme, c'est le seringueiro, serf d'un productivisme impitoyable, parti saigner l'hévéa jusqu'au tréfonds de l'Amazonie.

Plus proche de nous, cet homme c'est le candango, parti construire Brasilia, cantonné à un rôle de tâcheron, au service de "pionniers" socialement plus estimés. D’ailleurs, le nom a un rapport direct avec l'esclavage. L'Histoire qui a retenu l'empreinte d'Oscar Nimeyer et loué la performance des 1000 jours pour sortir la capitale de terre, devient odieuse de ne rien dire sur un esthétisme architectural rouge du sang de ces migrants forcés de travailler 18 heures par jour, interdits de syndicats, victimes des violences de la police militaire s’ils manifestaient.
 

Cet homme, c’est l’éternel émigré, le « retirante » qui a fui la sécheresse et grossi les favelas. Lula, le président, fils de retirantes (et son origine n’est certainement pas étrangère à l’impulsion, faudrait-il la relativiser tant l’inertie et l’opposition au progrès social restent fortes au Brésil), a enfin amené l’eau du fleuve São Francisco (3) aux déshérités.

Par quelle chimie mystérieuse, ce Sertanejo qu’on dit indolent mais sanguin, sensible à la saudada mais dur à cuire, humble parmi les humbles mais si riche d’humanité alors qu’il n’est qu’un survivant, a-t-il pu, par la littérature, la musique, la danse, le cinéma, se confondre et former l’essence même de l’identité brésilienne ?
 
 
 

Ce Nordestin, nous l’avons croisé, pour des vacances, pêcheur sur sa jangada (4), à Tambaù, la plage jadis rustique de João Pessoa où les grandes vagues de l’océan  poussaient loin sur le sable la senteur saline et iodée de l’Atlantique. L'homme du sertão, nous l’avons côtoyé, surtout à Campina Grande où ma petite sœur est née en 1954. Plus que des souvenirs, et même si nos conditions de vie étaient plus enviables, mieux qu’un tatouage, nous gardons "BRASIL" dans la peau, malgré l’amertume, aussi, laissée par la devise du pays « Ordem e progresso ».  
 

(1) A João Pessoa, capitale de l’Etat, existe une réserve de cette forêt tropicale atlantique / « Sertão » diminutif du mot "desertão"...
(2) Au même titre que la poésie ou la chanson de geste des personnages marquants ou révoltés du sertão, la religion et ses déviances appartiennent à cette « literatura de cordel », ainsi nommée parce qu’elle rappelle tant cette littérature populaire ibérique déjà colportée au XVIIe siècle. Sur les marchés, les places publiques, se vendaient (aujourd’hui plus pour les touristes), suspendus à des cordes, ces feuillets, ces récits en vers, déclamés, chantés par les « folheteros », ces poètes-troubadours sortis du peuple.
(3) fleuve de première importance par le lien qu’il matérialise entre le sud riche, industrialisé, et le Nordeste pauvre et agricole. Longueur 3160 km, bassin de 617 000 km2, débit de 2943 m3/s soit plus que le Rhin à l’embouchure ou le Nil à Khartoum (source wikipedia). 
(4) sorte de radeau à voile sans abri ni sécurité. 

Crédit photos commons wikimedia : 
1. Campina grande Vista Aérea do Açude Velho Author Bruno Coitinho Araujo
2. Caatinga_-_Sertão_nordestino Auteur Maria Hsu 
3. Virgulino Ferreira da Silva dit Lampião Auteur Benjamin Abrahao Botto (1890-1938)
4. Cangaceiros_Lampião e Maria Bonita Auteur Benjamin Abrahao Botto (1890-1938)
5. Brazil.Brasilia la cathédrale Author Victor Soares ABr. 
6. Praia Tambaú carte postale collection François Dedieu. 
7. Praia Tambaú, collection François Dedieu. 
8. Nordeste Jangada àTibau. Author Patrick-Patrick
9. les agaves et Campina Grande, collection François Dedieu.