jeudi 8 mai 2014

CORBIÈRES, MYSTÈRES V (suite) / Tiraillements pour un sermon


    Là où les Cucugnanais mettent en avant l’abbé Ruffié, Blanchot de Brenas, ce magistrat de Cusset natif d’Yssingeaux ne fait pas remonter le sermon au premier paroissien du village. D’abord, contrairement à ce qui est dit en bas du château de Quéribus, Blanchot plante la chaire de son curé dans un hameau de la vallée de l’Orbieu.
    Dans le tome XXXI, 41ème année, n° 2, été 1978, la revue « Folklore » (1), dans l’article d’U. Gibert
« Il y a plus d’un siècle, à travers les Corbières, avec Blanchot de Brénas, le "père" du Curé de Cucugnan », il semble d’abord que le trajet n’ait pas atteint, plus au sud-est les bords du Verdouble : Carcassonne, Lagrasse, Félines, Davejean, Mouthoumet, Lanet.
    A Vignevieille « paroisse dont le ritou (note n° 7 / rito : rector : curé [dans certaines régions]) est fort original et Blanchot de Brenas ajoute (nous lui laissons la responsabilité de son affirmation !) : « Le clergé des Corbières offre à l’observation des types fort peu communs... Ecoutez cette homélie telle que je répète telle qu’elle me fut contée. la scène se passse dans un hameau, nous appellerons ce village Cucugnan ». Et l’auteur ajoute en note : « Cucugnan est près de Rouffiac-des-Corbières ; l’anecdote rapportée dans cette lettre n’a pas eu lieu à Cucugnan ; ce nom a été pris au hasard pour ne froisser aucune susceptibilité ». Et Blanchot de Brenas rapporte le fameux sermon de l’abbé Martin que tout le monde connaît depuis qu’il a été popularisé par Alphonse Daudet et Achille Mir »
    Si le plus cucu des deux est bien celui qu’on pense pour avoir situé le sermon dans un village, contrairement à ses dires, surtout pas pris au hasard (cela me fait penser au village de Montcuq dans le Lot devant à son nom une vraie célébrité télévisuelle), ajoutons que Gibert, s’il semble admettre la paternité du conte,  n’est pas très élogieux pour la prose de Blanchot : « ... ; parmi de très longues digressions sans grand intérêt et quelques railleries sur le dialecte et le mauvais français des habitants, nous avons relevé quelques passages intéressant les traditions populaires de la région de Mouthoumet dans les Corbières... ».   
   
    Pour nourrir votre intime conviction, parce que l’enquête sur ce curé, en attendant de parler de celui de Rennes-le-Château, est loin d’être terminée, je vous conseille vivement de cliquer sur le site de la revue audoise Folklore (lien ci-dessous). Sur ce même numéro de l’été 1978, Gibert nous parle des volailles rôties "à l’ast" et d’une fameuse daube... des Corbières... amé la recépta, siouplèt ! (à suivre).

(1) Revue d’ethnographie méridionale / secrétaire général - rédaction René Nelli, 22 rue du Palais, Carcassonne.
http://garae.fr/Folklore/R52_170_ETE_1978.pdf    

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photo autorisée: Le château de Durfort dans les gorges de l'Orbieu / wikipedia /images google

CORBIÈRES MYSTÈRES (V) / Le sermon d'un curé célèbre...

    A Escales, en 1884, le félibre Achilo Mir reprit le sermon écrit par Roumanille, lui-même félibre provençal. Ainsi, « Lou sermou dal curat de Cucugna » devint la version de référence pour la nouvelle vigueur donnée aux personnages, la truculence poétique si bien rendue par Achille Mir dans la déclinaison languedocienne de la langue occitane. 
    Dans sa version française, le brave curé de Cucugnan doit sa célébrité à Alphonse Daudet. Celui-ci, ne se cachant point d’avoir traduit « ... un adorable fabliau... » trouvé dans la publication annuelle de vers et de contes des poètes provençaux, précise dans l’excipit  «... Et voilà l’histoire du curé de Cucugnan, telle que m’a ordonné de vous la dire ce grand gueusard de Roumanille, qui la tenait lui-même d’un autre bon compagnon ».
    Toutes versions confondues, par contre, le pauvre curé eut à souffrir une âpre bataille en antériorité entre ses auteurs successifs.
   
    La piste du ritou (1) nous mène d’abord à Cucugnan où l’interprétation se veut aussi claire que les eaux qui sourdent au pied du Roc du Capel :
    1858.A Cucugnan, dans la petite église romane aujourd’hui démolie, l’abbé Ruffié prononça le fameux sermon en languedocien.
    1859. Un an plus tard, Blanchot de Brenas, magistrat de son état et voyageur pour son plaisir, fit publier ledit sermon en français (Voyage dans les Corbières,La France Littéraire ).
    1867, Roumanille, félibre provençal, s’en inspira pour écrire le « Curé de Cucugnan » en occitan dans « L’almana Provençau ».
    1869. Alphonse Daudet (« Les Lettres de mon Moulin »), prit l’idée chez Roumanille : Cucugnan et son sermon s’en trouvèrent donc transportés à tort en Provence.
    1884. Achille Mir, félibre d’Escales, ramena « Lou sermou dal curat de Cucugna » dans les Corbières.
   
    Voilà ce qu’il en est des pérégrinations du sermon telles qu’elles sont présentées par la commune de Cucugnan, soucieuse, avant toute chose, d’entretenir sa fréquentation touristique... sauf que l’histoire se complique, n’en déplaise aux Cucugnanais... (à suivre).

(1) rito = curat = curé (recteur). 

photo autorisée : wikimédia / images google.