dimanche 31 août 2025

Voyage Fleury Mayotte (2)

Suite du 24 janvier, une deuxième lettre en date du 30 janvier 1998 : 
« ...Première parenthèse : je viens juste de lire la dernière lettre. Si envoûtante sous un ciel d'orage, Mayotte reproche un peu mon air absent. Gilbert (copain colocataire) aussi a du courrier. Pas de mot, plus un geste. chacun songe et voyage ailleurs. Même le tonnerre, pourtant si inhabituel ici, ne fait pas sursauter mais nous nous levons pour fermer les fenêtres, voir si rien n'est rentré. « Ici, si besoin était, cette belle averse donnerait huit jours de réserve » dit Gilbert. Le ciel se calme, s'éclaircit ; le bananier goutte ses perles d'eau ; le soleil couchant pare le jardin de milliers d'éclats. 

Common_myna_(Acridotheres_tristis_melanosternus) under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Charles J. Sharp (1951- )

Un « kiwa-kiwa » ( martin triste) peut-être celui qui vient nous voir au matin, manifeste sa joie bruyante dans la houppe du cocotier là-bas, dans l'air détendu il répète son appel strident et reçoit en réponse des notes aussi cristallines. Ambiance après l'orage, à apprécier avec une San Miguel.  
On a mangé un avocat, une boîte de thon aïoli maison (spécialité de Gilbert), des brèdes-coco (feuilles de manioc malaxées cuites au lait de coco) et un talon de rôti de dindonneau précuit... nous avions du vin... »  

30 janvier 1998 :
« ... les deux envois sont à l'abri, le premier à la poste de Mamoudzou, le second à Passamaïnti : l'humidité et la pluie pénétrant partout, autant choisir des boîtes à l'abri des murs. 
Hier je faisais quelques courses ; les rues commerçantes noires de monde, des embouteillages : on se pressait pour consommer ; si la production agricole reste familiale, pour le commerce et d'autres secteurs, certains font preuve de dynamisme et sont entreprenants. Ibrahim par exemple, le mari de Salama est « taxi-brousse », il a pu rembourser son Toyota de 17 places en un an mercredi, veille de la fête il a encaissé 2500 F... à raison de 10 F la place pour les 30 kilomètres, il n'a pas chômé avec au moins 7 à 8 A/R soit 420 kilomètres ; il ne confond pas chiffre d'affaire et bénéfice mais il est content. 
En ville, lisant le journal depuis le Conseil Général, en plus de la vue sur la baie, d'un nyombeni agréable (vent de NE marquant la saison des pluies qui persiste cette année depuis un mois alors qu'habituellement le kashkazi, vent de mousson mais NW lui, prenait le relais), j'ai bien aimé l'ambiance bon enfant des chalands allant ou venant. 
Hier se mêlant à une senteur de pluie chaude, une bonne odeur de feu de bois et de pâtisserie montait du village. Il pleut depuis six semaines, comment font-ils pour avoir du bois sec ? en réserve sûrement. (à suivre)



samedi 30 août 2025

Voyage Fleury Mayotte, lettre du 24 /01/ 1998. (1)

 Vacances de Noël 1997 en métropole. Ce voyage m'était complètement sorti de l'esprit. 

« Chiconi, le 24 janvier 1998. 

...Dans le train qui emporte, les habitués lisent : une revue, un roman récent ou encore une thèse de troisième cycle. Par mimétisme, je songe aussi à sortir la chemise rose confiée par papa mais d'instinct, en bon terrien, je préfère profiter de cette lumière de janvier, si particulière aux latitudes tempérées. Montée de la nuit : à l'horizon, la Clape bleuit, à contre-jour. 
En une farandole figée, de leurs branches nues, les platanes saluent le canal de Riquet. Pas de vent secoueur aujourd'hui. Plus loin, les flamants font le pied de grue. Les lumières de Marseillan dansent sur le friselis de l'étang... 

Canal_de_Sète_juste_avant_crépuscule 2015 under the Creative Commons Attribution 4.0 International license Auteur Christian Ferrer

Kruzenshtern_(ship,_1926), cimetière marin, Sète 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. auteur Christian Ferrer

« Adieu Venise provençale »... les dunes, la mer, le mitage bourgeois du Mont Saint-Clair réveillent Scotto, Valéry mais ce n'est qu'un carambolage dans la tête. Arrive Brassens avec au loin la plage de la Corniche ; son « ...cimetière plus marin que le sien... » me transporte aussitôt dans le cadre sauvage de Notre-Dame-des-Auzils. Pardon de n'avoir jamais démontré courage et ténacité pour Paul Valéry quitte à n'en gratter que le vernis en le rejoignant un peu dans son aversion du roman et « l'horreur des choses prescrites ». Pardon d'envoyer trois mots à ne pas réfléchir, hors contexte, c'est autant tous azimuts que sans issue... du vernis... Plutôt, de lui, à me laisser passablement pantois « Une fois publié, un texte est un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens ». 

Sur le bleu de la mer calmée, un navire cingle vers le large... Toute sa vie, on ne fait que partir sans jamais arriver : ce n'est pas du natif de « l'île singulière », c'est seulement qu'à Sète, les cargos, les darses et les docks s'offrent à la vue et que je pars loin... Sempiternelle invitation au voyage, insatiable besoin d'évasion, démarche salutaire permettant à l'Homme de sortir de sa condition biologique, de se coltiner à l'intemporel. Oublié le nom des bateaux rouillés, pourtant autant de poèmes, de visas pour l'imaginaire. Après Frontignan et les dernières lagunes, je me ferme au Monde trop humanisé, Montpellier au nord d'un Sud ancré à la mégalopole attractive européenne Angleterre Bénélux, Rhin Suisse, Pô, via la ligne Paris Lyon Marseille (PLM). Sans oublier de changer de train pour celui qui arrive gare de Lyon, plutôt se revoir sur la promenade du Peyrou quand fleurissent les magnolias ! 

Montpellier_Saint-Roch,_TGV 2010 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Falk2

La nuit est tombée, la place à côté est libre, d'autres lecteurs assidus pointent çà et là... Paris n'est qu'une banlieue du Languedoc, le TGV répond aux besoins de ces migrants pendulaires qui travaillent en province et habitent l'Île-de-France ; dans l'autre sens les trains doivent être bondés. L'atmosphère feutrée  de la voiture non-fumeur (je fais des efforts) est propice à l'ouverture de la chemise rose « Feuillets épars ». Je sais déjà que de lire des épisodes de vie seulement en bribes orales jusque là, n'aura rien d'anodin. Comparé à un père préférant mettre les autres en avant, je m'excuse de trop m'extérioriser ; STO à Dresde, il pense aux siens restés au pays. Papa a 75 ans, il nous passe aujourd'hui le témoin. Le train fonce dans la nuit... » (à suivre)