mercredi 25 juin 2025

Gardons les cochons ensemble...

À SAUGUES ?

Et pourquoi Saugues d’ailleurs ? À cause d’Olivier, le double de Robert, Robert Sabatier auteur des « Allumettes suédoises », « Trois sucettes à la menthe » et de ce troisième volet « Les Noisettes sauvages ». Sabatier raconte Olivier né à Paris mais qui aurait dû naître au cœur du Gévaudan. Visiblement, il a condensé sur un séjour toutes les vacances passées auprès des grands-parents paternels, ce qui lui vaut quelques contorsions ; il faut toute la poésie, tout le talent narratif de l’auteur pour nous distraire de certaines interrogations existentielles : il va repartir à Paris qu’il aurait quitté près d’un an auparavant ? La rentrée ? L’école ? Pas le moindre mot dans l’ouvrage. Attention, ce questionnement terre-à-terre n’enlève rien au sentiment pour l’écrivain et son livre…

Incompatible avec l’étroitesse d’esprit, la mesquinerie, l’amour n’oblige-t-il pas à la tolérance ? L’amour ne se définit-il pas avec l’acceptation en bloc de l’autre ? 

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » Pensées, 1670, Blaise Pascal

Françoise_Foliot_-_Salon_du_Livre Robert_Sabatier 1996 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license.

En toute subjectivité, Robert Sabatier (1923-2012), de la génération de mon père (1922-2017) avec qui ce plaisir de lecture fut partagé ; aussi la réciprocité affectueuse d’un cousin lointain opéré d’un cancer, suite à ce livre en cadeau ; réminiscences familiales d’aïeux ruraux descendus d’Ariège vers 1870.

Relevant d’un point de vue tout aussi partisan, la référence constante à notre langue occitane riche de variantes ne pouvant qu’en relever l’intérêt, rabaissée en tant que “ patois ”, en butte au communautarisme colonisateur parisofrancilien. Sabatier, résistant occitaniste, rebelle, assimilé mais non phagocyté par le despotisme centripète…

Alors, quelle importance si ce sacrifice du cochon ne précède les adieux automnaux au Gévaudan que d’un astérisque, quelques pages seulement, un classique d’égorgement, de ripaille à s’en faire péter la panse, de chaleur conviviale avec une ribambelle d’enfants et la cousine, mais un pépé ouvert au doute « Voir tuer le cochon, ce n’est pas plaisant pour tous… », un Olivier stupide de se retrouver la queue en main, le mot « sanguette » plus jamais vu et entendu depuis la « sanquette » de mamé Ernestine, plutôt de sang de volaille, la cervelle de la tête fendue en deux réservée aux petits...

Saugues_vue vers le N-O 2019 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Chatsam

Saugues, ses confins en marge de la Lozère, ont fait l’objet d’un chapitre de « La France Paysanne »1 sous la plume de Claude Villers (1944-2023). En partant du mot actuel « goret », on apprend que chez les Gaulois, « gor » désignait le sanglier, qu’en ancien français « gore » était la truie, que deux cochons hors de toute autre viande, suffisaient à une année pour quatre personnes, que la tuée avait lieu entre le 11 novembre et fin mars en toute extrémité.

Autres détails et variantes :

* la veille, de façon à ne pas encombrer sa tripaille, le cochon ne recevait qu’un bouillon clair.

* le tueur dit aussi « saigneur » tournait chez les gens à raison de trois ou quatre bêtes par semaine, soit 33 porcs, pratiquement un par maison (plus que trois en tout en 1997).

* les soies du corps brûlées par un lit de paille, celles moins accessibles de la tête, la gorge, les pieds, à l’aide de paillons mieux adaptés.

* la carcasse sur le dos, la découpe suit un même enchaînement tête, pieds, jambonneaux, jambons, poumons, cœur, foie, rate, intestins (auparavant sur le ventre, après la tête, la colonne vertébrale était dégagée jusqu’à la queue pour des tronçons entourés de viande à saler). 



Cela se passait en 1997, au hameau de Malevieille, à près de 900 mètres d’altitude, commune de Saint-Vénérand, Accessoirement, l’auteur rapporte que les sabots de Saugues, les « morius », renforcés et ferrés parce qu’en pin, un bois fragile, ont inspiré une bourrée connue de toute l’Occitanie, « Los esclops ». Saugues ne compte plus que 1660 habitants, quatre centaines de moins que lors du reportage de Claude Villers, la moitié seulement de ce que connut Olivier de Robert Sabatier.

1 Éditions Scala 1996 / Club France Loisirs 1997, photos Jean-Bernard Naudin (1935), recherche ethnologiste Denis Chevallier (1951).

vendredi 13 juin 2025

« Le But c'est le Chemin » Goethe.

Dans la tête ou le ventre, l'inspiration ? Ou alors les deux quand les scientifiques parlent d'un deuxième cerveau abdominal... De là à comparer avec un accouchement alors qu'on a le mâle rôle, faut pas exagérer ! N'empêche, faut pas la bloquer, elle ne repartirait plus, ça pourrait durer. Une seconde, elle a sa version des faits... ah oui... comme les gitans, vous savez, plus que les ou la roulotte de ce dernier cirque, fin des années 50 (il ne m'en reste qu'une dans le souvenir), ceux de la baraque de Fontlaurier sur le chemin du phare, en dehors du village. 

Alors, annonçant un marchand sur la place, une chanson lancée par l'appariteur captait l'attention de la population, une chansonnette pas plus loin que l'air du temps mais poussant parfois sans le savoir au delà des légumes, poissons, coquillages et saucissons, poussant l'horizon. Airs par-dessus les toits du village, couplets à la radio peut-être aussi, tout se confond à commencer par les « pommiers blancs » des « cerisiers roses »  (1950) jusqu'à une « Verte campagne » (1960) rêvée depuis nos herbes brûlées au soleil. Entre les deux, la possibilité de partir loin, très loin, histoire d'avoir « ...été à Tahiti » (1958)(1), ou de chanter « Hello le soleil brille » (1957) du pont de la rivière Kwaï sinon  « Mé-qué, mé-qué » (1953), « Les Marchés de Provence » (1957) ! ces deux dernières en remerciement à Monsieur Bécaud (1927-2001) ! En prime, le charme agit au ton bien français d'Yvette Giraud (1916-2014) « Avril au Portugal » (1950) ; au-delà, grâce aux accents si délicieusement étrangers encore dans ce pays mi Atlantique mi Méditerranée avec « Les lavandières du Portugal » (1955), sinon, de ces confins montueux indistincts, « L'Étrangère au paradis » (2) de l'hispano-franco-mexicaine Gloria Lasso (1922-2005) entre autres interprètes, Mélina Mercouri (1920-1994), en voisine de notre mer, avec « Les enfants du Pirée » (1960). 


Partir sans partir, vagabonder dans sa tête ? facile ! L'appariteur passait aussi « Je suis le vagabond, le marchand de bonheur, je n'ai que des chansons à mettre dans les cœurs... » (1959). Sauf qu'un chemineau reste l'un des nôtres tandis que les Gitans... encore par Les Compagnons de la Chanson en 1952, toujours en mouvement, « ...errants qui n'ont pas de frontière...» venant de quelque part, passant seulement vers l'ailleurs, sans le vieux bohémien qui trop vieux, reste ici... 

Crainte soudaine de l'impasse, phobie de la page blanche, sensation une seconde d'être vidé ; surtout ne pas s'affoler, la voie s'ouvre avec le paragraphe oublié sur la population et l'exode rural depuis la Montagne Noire et surtout la piste à remonter la Durance jusqu'aux vallées occitanes d'Italie (si tout va bien, dans le tome II « Un Languedoc Coquelicot »). 


Il en va de même pour l'évasion, l'inspiration, toujours en mouvement jusqu'à, comme il arrive à la vie, que mort s'en suive. Est-ce par ce bout que nous devons méditer « Le but c'est le chemin. », mot attribué à Goethe ainsi qu'aux gitans « Ce n'est pas le but du voyage qui compte, c'est la route » ? 

(1) chantée aussi par Henri Génès (1919-2005)... « Le facteur de Santa Cruz », « La tantina de Burgos ». 
(2) paroles en français de Francis Blanche (1921-1974).