mardi 2 septembre 2025

Carte Postale de Mayotte 3

Chiconi le 14 avril 1998 (pardon de les prendre dans le sens où se dévoilent les archives de papa). 

La_barge_à_Dzaoudzi_(Mayotte) Petite-Terre au fond, 2017  under the Creative Commons Attribution 2.0 Generic license, auteur Jean-Pierre Dalbéra Paris.

« ... Il y a des moments où on peut regretter la lenteur du trajet entre Grande et Petite-Terre. J'étais dans cette situation à cause, dans le bleu du ciel, au delà du Rocher de Dzaoudzi, la silhouette d'un Transall blanc qui grossissait (j'ai dit vert dans un précédent post... mystère 27 ans plus tard...). Avec la lourdeur et la fausse lenteur d'un hanneton, il abordait la phase finale du vol, l'approche de la piste de Pamandzi sans qu'aucun bruit ne l'annonce, le vent de mousson venant du nord-ouest. Sans plus remarquer la mousse pétillante de l'étrave, sans plus méditer sur Mamoudzou dans sa verdure sous un gros cumulus d'orage, plus question alors de se laisser au charme de la traversée en barge, observer les îlots rocheux des Sept Frères, les vagues du lagon, ses semblables, les originaux, avec discrétion, plus à la dérobée, les tenues, les jolies femmes, ne soyons pas hypocrites. Sinon, d'ordinaire, je me dis « A la mar dou faire bon ! » (il doit faire bon à la mer) en pensant au Golfe du Lion, à Saint-Pierre ; réflexion au village accablé de chaleur, qui réjouit les enfants de la chance d'y aller, qui passe mal pour ceux qui n'iront pas. 

Anticipant le débarquement dans le ronron du gros diesel, je remarque un deuxième avion à l'approche, un autre Transall, vert armée celui-là, plus doryphore que le premier (27 ans plus tard c'est donc qu'ils étaient deux... venaient-ils tous les deux de La Réunion ? mystère encore...). Sur le coup insensible à l'atmosphère de l'île, le relatant, je réalise combien elle est devenue familière sauf que ce jour-là mes pensées étaient surtout tournées vers un fils qui arrivait ; vers l'aéroport vite vite. 

Vite, le taxi, c'est plus aisé sans bagages, vite qu'il soit plein pour partir sans tarder ! La course sera rapide. les gros coléoptères de l'armée stationnent en deçà de la zone civile. Trois cents mètres de marche rapide, à en oublier la suée, la moiteur, les ondulations des graminées au vent. [...] Qu'ils sont beaux ces appareils à l'arrêt non loin des herbes mouvantes ; comme craignant de ne plus voir ce qui se passe, je contourne dare-dare l'aéroclub, retrouver les avions, les artilleurs, déjà rangés, alignés eux aussi. Leurs tenues tranchent à peine mais les képis dodelinent, massif de pivoines noires. Surpris, désappointé ; où est le visage aimé ? une chatte n'y retrouverait pas ses petits... les fils de France font corps sous l'uniforme. Inquiet, accroché au grillage, je me sens impuissant à patienter par force quand, quelle veine ! en dernière position de la première colonne, il me fait signe du bras, à vingt mètres à peine ; le bataillon fait face aux avions, une énième colonne dodine du képi bien à soixante mètres. 150 têtes dont celle qui m'a trouvé ! la baraka ! il a dû s'exclamer « mon père » puisque les autres se tournent vers ma personne. Stani s'avance autorisé... Un officier a entendu, l'a permis ; allant à sa rencontre, je pénètre dans l'enceinte militaire : embrasser sa belle carcasse, prendre dans les bras comme avec papa aux moments trop nombreux des séparations, dans une étreinte qui a le mérite de camoufler l'émotion « Mon fils comme je suis content de t'avoir là ! »... Oh ! m'avancer en zone interdite ! c'était cavalier de ma part ! Mes pensées pour l'officier... l'armée sait rester humaine. La rupture ne vaut-elle que pour l'instant heureux des retrouvailles ?  

Glorioso_Islands_Map 2006 under the Creative Commons Attribution 2.0 Generic license Author Mr Minton
  

Hier il s'est envolé pour les Glorieuses, de ces Îles Éparses dont on voudrait nous déposséder. Le Transall a dû survoler l'équipe de pêcheurs revenant du Geyser, vingt minutes pour lui, dix-neuf heures sur mer. 

PS : marahaba niengui (merci beaucoup) pour les jolis timbres de vos envois.  

Voyage Fleury Mayotte (4)

 Dimanche 1er février 1998. 

...ma conscience me dit que les corrections attendent mais le remords reste léger. Georges vient de passer une bonne heure ; un café, du clafoutis frais, je lui sers aussi un passage des chats de Bohumil. 
Il fait beau, le kashkazi s'est établi, il s'engouffre librement sous la varangue : 30 degrés à 10 h 40 mais un air plus léger. 
Stani m'a annoncé sa venue, il arrive le 14 février, un samedi. Je lui présenterai Mayotte comme il se doit. 
Depuis que j'ai pris connaissance de votre 76ème lettre, 9ème de la série, je m'interroge sur l'à propos des points de suspension... c'est vrai que j'en abuse... Mais ne pèsent-ils pas lourd, ces trois petits points ? laissant en suspens les pensées ? Non, l'idée même d'en ménager l'emploi me paraît incongrue... siérait-il que je m'en amputasse (est-ce dit correctement ? la tirade de Cyrano manque dans la bibliothèque). 
Dernièrement, l'ami Abdou de Sada m'a fait part de la note que j'ai obtenue à sa place pour la dissert traitée à sa place alors qu'il était à Paris délégué au congrès des maires de France ; le sujet, une thèse de Louis de Broglie sur la science. 

Revenons au dernier voyage. 
Gare de Lyon. Station RER : le train de banlieue amène à Orly via Châtelet -les Halles et Antony (58 F). longs couloirs, portillons automatiques qui ne facilitent pas le passage des valises, sacs et porteur. Un panneau lumineux éclaire les gares desservies, un carré orange indique si le train est court ou long, ce qui n'est pas inutile pour un voyageur encombré. Paris cosmopolite, gens de toutes couleurs qui arpentent ou attendent dans les souterrains. Antony, refaire surface ; calme de la ville suite au rail trépidant. 23 h30, plus de correspondance pour l'aéroport, le préposé aux billets a oublié de le préciser. Pas de bus non plus. Goguenards, les taxis observent le manège du provincial embêté ; ils sont là pour ça, n'attendent que cela ; 100 F la course de nuit et je ne suis pas en mesure de savoir s'il ne m'a pas promené... comment, de nuit, en terre inconnue, repérer les points cardinaux ; le chauffeur m'arrête aérogare sud, plus accessible selon lui. Aux guichets désertés, dépliants et brochures abondent, j'en bourre mes poches, une manie... Des maçons s'activent de nuit, des techniciens de surface discutent, une équipe de sécurité me croise, rassurée par mon chariot de bagages. 

960px-Aéroport_Orly_Ouest_2011 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Auteur Lionel Allorge

Orly, nuit douce, accès bloqués vu l'heure tardive ; en essayant toutes les portes, la longue façade de verre est remontée ; le seul policier de faction a laissé sa voiture : il discute à l'intérieur avec une jolie balayeuse. Un véhicule passe à ma hauteur : trois hommes « pas tibulaires mais presque » dirait Coluche ; autant presser le pas en surveillant cette Renault blanche, j'accélère jusqu'à courir dès que je suis hors de vue. Aérogare ouest, tout est fermé, faut pas passer la nuit dehors, ça risque trop ; je toque sur le verre épais ; le conducteur de la cireuse a l'amabilité de descendre de son siège ; son accent  étranger explique  « Porte G, appuyez sur le bouton » ; les roues du chariot sont en bon état pour ne pas traîner ; la porte pneumatique ne réagit pas mais l'interphone surprend : 

« Que désirez-vous ? 
— Laissez-moi entrer, je ne me sens pas en sécurité. 
— Présentez votre titre de transport devant la caméra. La voix est calme, posée : je m'exécute et montre le billet à l'œil sur lequel j'avais appuyé parce qu'il n'est pas plus grand qu'un bouton. »

Après quelques minutes, basané, de petite taille, plein de civilité, le gardien de nuit vient ouvrir, Pas plus d'agacement que d'impatience; j'imagine que la voix fleure bon l'amandier d'Anatolie. Grec ? Turc ? Libanais ? un oriental, assurément. Soulagé je le remercie chaleureusement. 
Au niveau de l'embarquement des gens en partance dorment sur leurs bagages. Hall n° 3, les aéroports de Paris supportent le panda WWF « Aidez-nous à sauver la vie ! »... et toi, devant la porte, tu peux charger... 
À traîner et fouiner, la nuit passe vite. Les dames de service me proposent gentiment un sandwich « Sans payer ! » elles disent, devant mon refus poli. 'Algérien, l'Oriental, les Lusitaniennes, de grands cœurs et qui bossent... 
Cinq heures du matin, Paris s'éveille ; la valise est enregistrée ; en attendant un petit-déjeuner, je m'endors comme une souche à la terrasse d'un café-croissanterie. 


Gros poutous !