vendredi 14 août 2020

Traîne d'antan / Yves pêcheur du Golfe.

Voilà cinq ans, je recueillais ses mots pour les transcrire. Et pourtant quel plaisir de relire ce qui était aux trois-quarts oublié ! C'était en 2015 pour ceux qui ne rechignent pas à remonter dans les archives. J'espère que ça ne vous embêtera pas non plus...  


Le geste auguste du traîneur.


"... Quand on faisait des coups de traîne à dix, douze mailles, j’ai eu porté deux, trois-cents kilos de rougets quand même ! Y avait de tout, des demoiselles, des maquereaux, ils faisaient des sous et moi j’étais payé avec un lance-pierre, je débutais... Pendant une paire d’années, j’étais pas payé : il fallait apprendre, on était matelots et ils en profitaient. 

La vente du poisson... une fois j’ai fait un gros coup, té, en face de chez toi, à droite du poste... Eh bé, c’était pour la fête de Sète, oui pour la Saint-Louis ; là j’avais que des copains : on fait un bol on en a eu une quinzaine, vingt kilos, des loups, et des beaux, de belles portions de deux, trois kilos.


On remet le filet dans la barque. Un me dit « On pourrait faire un bol de l’autre côté, Marc y est allé, y a un trou, il pourrait y avoir quelques loups ! ». Allons-y, c’était tout près, on calait à trois cents mètres. On va, on cale, je te dis pas : trois-cents-cinquante kilos de loups et des pièces de trois, quatre kilos ! 


en partant du verbe ramender, peut-on dire ramendage des filets ? 

- Qu’est-ce qu’ils peuvent manger si regroupés ?
- J’en sais rien ; c’était dix, douze ans avant que j’achève, alors entre 1980 et 1982. E aro, per vendre aco ? ( Et maintenant, pour vendre ça ?) Je me débrouillais, j’avais des ramifications, je servais des restos à Port-Vendres et personne n’en voulait ! Jusqu’à Monaco, Nice, Marseille ! Couchanlegi est venu le chercher : y en avait trois-cents-vingt kilos sans compter ce que les copains ont pris... Quand y’a du poisson, faut pas faire le radin.
Je suis allé encaisser trois jours après, j’en ai eu péniblement 12 euros... pardon c’était en francs ! Que dalle quoi ! Ils sont durs en affaires et c’est pire chez nous... A cette époque le loup se vendait  entre 25 et 30 Francs parce que, à Sète, dans l’Hérault le poisson s’est toujours mieux vendu que dans l’Aude, toujours beaucoup plus payé qu’à La Nouvelle ! Au lieu de 8-10 ici, là bas, 12- 15... L’océan vient le chercher, la Côte-d’Azur qui arrive, les "Italianos". - Et dans les PO ?     
- C’est pareil que dans l’Aude, les mêmes types et maintenant à La Nouvelle, n’en parlons pas, c’est géré par les copains des copains de la chambre de commerce... Attendi, il y a quelques temps, une paire d’années, le jeune avait pêché une dorade de 4-5 kilos, ils n’ont pas pu la vendre mais ils ne l’ont pas retrouvée la dorade... elle avait fait des petits... ça n’avait pas traîné !.. " 

Yves Boni, pêcheur du Golfe / propos recueillis en été 2015.


jeudi 13 août 2020

QUAND L'HOMME PESAIT PEU SUR LA RESSOURCE / GOLFE DU LION, les laboureurs de la mer.

Dans "Les Hommes et le Littoral autour  du Golfe du Lion, XVIe -XVIIIe siècle", Gilbert Larguier complète ses données avec un détail du livre de J. Guiffan sur Bages (1) nous donnant une idée de la ressource en poissons sur notre côte languedocienne vers 1675 : neuf tonnes de prises en quatre jours ainsi que l'a noté le curé sur le registre paroissial ! Certes une pêche exceptionnelle mais laissant entendre que le littoral et les lagunes sont poissonneux. 

Professeur d'Histoire moderne, Gilbert Larguier consacre une trentaine de pages à la pêche "Pêche, environnement et société littorale autour du Golfe du Lion au XVIIIe siècle" (2). Concernant notre propos, retenons ce qui touche à la pêche à la traîne depuis le rivage. 
Appartenant au groupe des sennes, ce filet appelé "boulier" ou "boulieg" sinon "bouliège" et, plus proche de nous, "trahine", "traîne", est muni de flotteurs en surface et lesté pour reposer sur le fond. Le nombre de mailles (de cordes de 109,728 mètres) le caractérise. Ainsi, parmi les grandes, une traîne d'été utilisée à Saint-Pierre-la-Mer pouvait atteindre douze mailles soit plus de 1300 mètres. En hiver, le petit boulier servait à la fois en mer et dans les étangs. 

Gilbert Larguier précise :
"... À Pérignan, à proximité des bouches de l’Aude, l’année se partageait en trois saisons : de Toussaint à Pâques, lorsque la mer était formée, on pêchait avec le boulier d’hiver à proximité des graus et de l’embouchure des rivières. De Pâques à Notre-Dame d’août on allait devant la mer avec le grand boulier. On se repliait ensuite jusqu’à la Toussaint dans l’étang avec le gatte au sec (3). Ce dernier filet ne s’utilisait qu’aux mois de mars, avril et mai à Gruissan et à Bages, de carême à la Saint-Michel à Leucate..."

Carte de Cassini / début XIXe siècle.


Pour aller plus loin sur la côte Narbonnaise et les graus des étangs, un site de qualité exceptionnelle 
http://maclape.com/rubriques/etangs/graus.html 

(1) Jean Guiffan, Histoire de Bages et de ses habitants, Bages, Éd. Élysiques, 2007, p. 31. 
(2) https://books.openedition.org/pupvd/5358?lang=fr
Les Hommes et le Littoral autour  du Golfe du Lion, XVIe -XVIIIe siècle, Gilbert Larguier 2012 PUPerpignan. 
(3) en mer ou en étang : aux mailles plus serrées.