Affichage des articles dont le libellé est Hugues Aufray. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Hugues Aufray. Afficher tous les articles

mercredi 29 mars 2017

LE MONDE NE DEVRAIT ÊTRE QUE CHANSON ET MUSIQUE... (6) / ratés existentiels


Il s’est levé, tanguant, swinguant un peu, tranquille au fond de son avion, comme pour favoriser la circulation, ce qui d’ailleurs est plutôt conseillé lors de longs vols. Le porteur de rêves taille sa route, toujours dans l’assourdissement des cuivres à ses oreilles... Ils rappellent, vers ces latitudes justement, des orages dantesques, bien que silencieux, allumant des cumulo-nimbus colossaux de part et d’autre de la trajectoire, à l’échelle de l’Afrique. La route atteint le Grand Rift, les marges du lac Turkana au bout du fleuve Omo, de ces exceptions très africaines qui jamais n’atteignent la mer.

 Tonnerre intérieur cette fois, qui ébranle. Foudre qui abat... Saudada, añoranza, mélancolie de qui laisse des cœurs. Éclair qui exalte... Allégresse, euphorie, surexcitation de qui va vers d’autres cœurs. Ventre tambour vibrant, résonnant de force fragile.        
 

Mistral, Cers, ciel pur, étangs ridés, pins torturés, oliviers de Bohême, tamaris, saladelles, Mirèio, Magali, Maiité le retiennent. Même Hugues Aufray a choisi la Camargue pour le Scopitone « Dès que le printemps revient... ». Le troupeau de chevaux qui trottinent, les camarguais des gardians au galop, les vaches noires qui foncent et se jettent dans le marais, les filles brunes aux arènes, le chanteur en santiagues et la complainte des trompettes apportant un peu plus de cette inflexion exotique espagnole... 

Du temps qui passe restent le vent pugnace, sa houle dans les roseaux, les grands espaces... et ce romantisme enfui avec les illusions de jeunesse :
«... Après bien des hivers / Pourtant mon cœur se souvient / Comme si c'était hier / Dès que le printemps revient... »

C’est qu’il a su les chanter les filles de la campagne, Hugues Aufray !..

https://www.youtube.com/watch?v=vbYKwjsyDcg Hugues Aufray « Des jonquilles aux derniers lilas ».

« Siffler sur la colline » de Joe Dassin reprenait aussi cette même veine, avec une bergère.  Cette fraîcheur champêtre enchantait le public. Peut-être l’arrivée du printemps réjouissait-elle davantage les cœurs à l’époque ? Alors que la ville ne semble plus vouloir se nourrir de la campagne... Ne nous sommes nous pas, petit à petit, éloignés de la nature jusqu’à nous en couper ? Cela ne présage rien de bon pour l’avenir...

https://www.youtube.com/watch?v=_IY1fNs0Tps Joe Dassin « Siffler sur la colline »

Mais au ton léger de Joe et à la truculence paysanne « Des jonquilles aux derniers lilas », le côté ombrageux de ses dix-sept ans préférait le cinéma de bon ton pour son âge pour une « fille du Nord » jamais rencontrée. Un demi-siècle après, il en détourne les paroles :

« ... A-t-elle ces noirs cheveux si longs qui dansaient jusqu’au creux de ses reins ?..
C’est ainsi qu’il l’aimait bien
Si tu passes là-bas vers le Sud où le vent vient de l’autre bord de la mer, oublie, jamais ne donne mon bonjour à la fille qui fut mon amour... »

https://www.youtube.com/watch?v=3ziN1DCgNOo Hugues Aufray « La fille du Nord »

Et là, parce qu’un de ses articles a été "liké"... que le « j’aime » en regard, le visage, le modelé de ce nez, le regard, le sourire, l’ont soudainement paralysé, bloqué, le laissant vivre seulement de l’accélération crescendo de son  pouls... Élan spontané ? Bouffée irrésistible ? Posture ? Scénario mental... Il ne sait plus... Il se demande ...

La fille... une autre fille lui repasse l’éclair croisé des regards et les petites secondes qui ressortent comme si c’était d’hier. Ainsi, sans lui demander le moindre avis, son souffle vital avait oublié d’oublier. La vision de cette fille brune aux yeux amande respirait en phase avec lui depuis près de cinquante ans ! Sans qu’il le sache ! Dur à admettre ! Interloqué de "s’étonner lui même" ! Mais pas de voir l’holographie de cette vendangeuse brune se plaquer instantanément sur la fille de la véranda de Julien Clerc :

«... Et si jamais je vous disais,
Ce qui fait tous mes regrets
Mes regrets
Le désespoir de mes nuits
Et le vide de ma vie
De ma vie...
De ma pauvre vie...

La fille de la véranda...
Que je n’ai vue qu’une fois... »

https://www.youtube.com/watch?v=12qBw9ou5cQ Julien Clerc « La fille de la véranda »

Vrai que la fille des vendanges, il ne l’a vue qu’une fois, un aveuglement, oui, mais aussi bref qu’un éclair dans le ciel... le reste, ses regrets, le désespoir de ses nuits, le vide de sa vie, c’est pour amuser la galerie... Sinon, il n’en serait pas à réfléchir à un dédoublement de sa personnalité !

Suite au réveil en douceur dans une lumière arc-en-ciel, les passagers ont pris le petit-déjeuner puis assez vite, le commandant de bord a annoncé la descente vers Nairobi.   


Un visage en écusson, un prénom, un nom bien d’Espagne, l’émotion ensuite, enfouie depuis si longtemps. Il n’a pas longtemps hésité à baragouiner un message sans le point d’interrogation inversé :
« Estabas en mi pueblo por las vendimias ? » 
Elle a dit oui, précisant même le nom du patron qui l’employait. Il a donné quelques précisions. Elle a répondu, d’abord dans le vague, éteignant un feu incertain, mais d'un coup revigoré quand elle a détaillé «... le Français aux cheveux longs qui venait le soir ?..» 



Crédit photos 
1. Kenya Turkana lake. Author Hansueli Krapf.
2 & 3. Étangs et paysages du delta de l'Aude. 
4.  Giraffe Skyline - Nairobi - Park. Author Mkimemia.

mercredi 22 mars 2017

LE MONDE NE DEVRAIT ÊTRE QUE CHANSON ET MUSIQUE... (5) / ratés existentiels

Un avion l’emporte vers « la fille qui l’accompagne » et leur fils, loin d’un passé qui le rattrapait et qui, parce que les circonstances sont très particulières, continue de lui coller aux basques. 

Les saladelles, symptômes ô combien lancinants de cette langueur méridionale, de cette nostalgie plus saudada portugaise, plutôt añoranza ibère, mâle, rauque, cambrée, arquée sur l’être qui manque, plus couteau dans la plaie que proche du mal à vivre des spleens nordiques. Ce mal insidieux, instillé par des rafales folles, qui déboussole, fait perdre la raison, ronge jusqu’à détruire à force de colères, de révoltes, ferments d’autant de folies, passagères des vents fougueux que le ventre chaud de la mer attire. Le caractère des Languedociens s’en ressent, c’est sûr.   
Sous les trains de nuages qui courent vers le Golfe, les saladelles, en faisceaux, en réseaux de tiges s’accommodent du Cers furieux passant à travers. L’été passé, il s’est interdit de penser, tant il se trouvait ridicule, en s’arrêtant, pour des photos, à ces mêmes tamaris qui le virent arriver jadis. Pourquoi revenir sur ces pages de vie si ancienne ? Il venait alors conter fleurette à la fille du régisseur d’un domaine qu’il avait connue en embouteillant  du gris de gris. Lydie, elle s’appelait. Elle avait le chic pour coller les étiquettes bien droit. Elle ne pouvait guère rester plus d’une demi-heure. Si quelques bribes de mémoire lui sont revenues en chargeant les photos, le déclic des vendangeuses revient en analepse sur le lycéen qu’il fut. Les tamaris sont témoins de baisers seulement : c’est vrai qu’elle ne lui laissa pas caresser ses seins, le jour où il essaya de les toucher, effleurant seulement, pour être moins bête, comme disaient les copains, et surtout pour contredire sa stratégie de chevalier servant ne valant pas tripette si rien ne transcendait la rencontre. Il aurait dû lui chanter :

«... Ma mignonne mignonnette, emmène-moi dans ton lit ! couche-moi dans ta couchette : il doit faire bon dans ton nid. J’ai tellement voyagé, j’ai tellement connu de dames. Je suis très très fatigué... Tu apaiseras mon âme  Chante chante rossignol trois couplets en espagnol, tout le reste en anglais... » 

https://www.youtube.com/watch?v=k0ii2LoVXQ4 « Le rossignol anglais » Hugues Aufray. 1965. 


Elle lui tapa la main d'une claque catégorique. Le platonique ne mène à rien. Les remords valent mieux que les regrets. Au fait, au cinquième soir, quand elle lui dit qu’elle ne viendrait plus, il en conclut que finalement, une sainte nitouche aux petits seins ne valait pas, après la journée de vendanges, dix-huit kilomètres à vélo, même en fredonnant pour elle, pédalage aidant « Les filles sont jolies quand le printemps revient... »

https://www.youtube.com/watch?v=-mR4h0-4H88 « Dès que le printemps revient » H. Aufray (Scopitone ! 1964)

Elle devait rejoindre sa pension. Ils échangèrent quelques lettres, amicales, sans plus, jusqu’à celle qui parlait du garçon rencontré à la fête du village. Vexé, défait de devoir encore endosser le rôle de confident transi, il ne répondit pas. Le fil était coupé. Cette quatrième ou cinquième et ultime lettre doit être rangée dans la boîte à biscuits.
Poursuivra-t-il pour autant cette introspection intime ? Rien n’est moins sûr.  
 

Une ligne droite dans le sable, la frontière du Soudan. Les premières lueurs vont bientôt fondre sur Harar, loin au levant, sur l’aventurier trafiquant qui ne veut plus savoir quel grand poète il fut. Sur l’Erta Alé aussi, naissance d’un nouveau monde. 

Une autre campagne, (est-ce un camping aujourd’hui ?) porte ce nom de « Domaine du Nouveau Monde », avec ses vignes des sables, au pays des roselières et des saladelles bleues. Pour dire que ce lido, le rattachement de l’île de la Clape sont dus au travail obstiné de l’Aude dans son delta originel. Fleuve bien né, de la race des grands, en toute modestie petit frère du Rhône au Nord, de l'Èbre plus au Sud. 


Les saladelles, appelées aussi et ce, sans aucun lien entre espèces de fleurs,  "lavandes de mer", "immortelles bleues", porteraient-elles aussi, dans les terres gagnées par l’Aude, le nom de « vendangeuses » ? Les siennes de « vendangeuses », il les associe aux filles du Sud. Miréio l’Arlésienne, partie aux Saintes-Maries-de -la-Mer prier qu’on lui laisse Vincens son amoureux. C’est dans la sansouire aux saladelles que l’insolation va la mener à la mort. Bien sûr, le delta de l’Aude n’est pas celui du Rhône ni celui du Pô, mais entre les villages et les grands domaines, tant d’histoires d’amour ont dû fleurir aussi ! Et avec un brin d’imagination, il s’approprie la Camargue de Magali.

https://www.youtube.com/watch?v=ScccxoEgF2U / Magali / Robert Nyel 1962.

«... Qu’est-ce qui t’a pris de t’en aller pour le pays de nulle part, parce qu’un gitan t’a regardée en faisant chanter sa guitare ? ».. Et le soleil, allié des souffles puissants, si dangereux «...E lou souleu de la Camargo mi fa tan mau au foun d'au cor... Sous le soleil de la Provence ma tête est prête à éclater... ».