mardi 14 mars 2023

ESPÉRAZA et ses ermites

A Espéraza et dans les villages autour, le lendemain du mercredi des cendres, pour clore la fête de carnaval, c'était la coutume des ermites. Arrêtée en 1947, elle reprit dix ans plus tard mais à partir de 1970 perdit son lien au carnaval en n'étant plus programmée que pour Pâques et même en mai. 

View_of_Esperaza  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Krzysztof Golik

En chemise de nuit de femme et chapeau melon (Espéraza a été une riche capitale du chapeau), les ermites se passent le visage au noir de fumée, surlignent leurs sourcils et moustaches, se font un gros point sur chaque joue ainsi qu'un rond autour d'un œil.  

L'ermite de tête, un costaud, porte une croix de trois mètres de haut, chargée qui plus est, de gros chapelets au centre, de saucissons et saucisses sur les bras qui balancent au bout une courge bouteille. Les ermites suivent, porteurs de paniers. Accompagnés, idéalement, d'une quinzaine de musiciens (percussions, clarinettes, basses, cuivres et barytons), ils entrent dans les maisons pour recueillir des charcuteries, du jambon, des œufs. 

Devant les maisons où habitent une fille ou une jeune femme, ils se font passer pour de faux ermites et chantent une sérénade d'amoureux qui soupire ; des paroles en français alors que plus anciennes, celles en languedocien relèvent des farces de carnaval dont celle à propos d'un "paure ermita" qui s'est pris fantaisie de se couper la barbe : 

"... Un jorn que fasia vent             Un jour qu'il faisait du vent
La barba sioguec copada                 La barbe fut coupée
E le bent se l'emportec                 Et le vent l'emporta
Aval, sus l'esplanada                  Là-bas, sur l'esplanade, 
Un pintré la ramassec... "             Un peintre la ramassa...

Les provisions collectées permettent de régaler les participants dans un banquet où les femmes sont exclues. 

Vers trois heures de l'après-midi, tout le monde est invité pour le vin chaud. Dans une pairolo, une grosse marmite à l'origine posée sur des pierres (d'où son nom), soixante litres de vin, cinq kilos de sucre, des clous de girofle, de la cannelle, du citron, des zestes d'orange.  

En attendant que ça chauffe, le dernier marié de l'année doit faire le tour de l'âne. Tourné vers la queue de l'âne, sur la tête, le bainat, un frontal de boeuf avec ses cornes (surtout qu'à Espéraza, existait une vieille tradition du bœuf gras (1) (souvent une vache) qu'on poursuivait dans les rues avant de le manger) il doit écouter du cocu, réminiscence machiste sur la jalousie possessive du mâle alors que la femelle est réputée infidèle... 

" ...te caldra monta la garda... il te faudra monter la garde 
En portant le bainat. (bis) 

(1) la viande est réputée meilleure et les bouchers de bêtes qui ont couru étaient plus recherchés... c'est donc, il me semble, le contraire que lors du sacrifice du cochon... 

Source Revue Folklore n° 119, automne 1965. 

Voir aussi Rennes-le-Château, ses légendes, son mystère : La sortie des ermites d'Espéraza (rennes-le-chateau-bs.com) 


LIMOUX, le CARNAVAL...

Trois mois de fêtes en gros, c'est ce que dure le carnaval de Limoux, le plus long au monde !

"Carnaval es arribat". Tout en blanc et foulards rouges, les meuniers ont demandé symboliquement l'autorisation des autorités. ils repartent au son de la musique, un répertoire qui va chercher dans les vieux airs mais renouvelés aussi. Ils marchent, eux, sans la carabène, presque posément, comme s'ils écrasaient le raisin. le samedi et trois fois les dimanches, suivant un programme mettant tout le monde d'accord, suivant des séquences travaillées, chaque bande va défiler, rejoindre les arcades, faire halte dans chacun des cafés, récupérer dans une salle discrète, le seul endroit où l'on peut enlever le masque. Bien sûr ils boivent un coup. 

Auteur Carnaval de Limoux las coudenos 2017 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license.

Les bandes ont un effectif limité ; pour être coopté, les listes d'attente sont longues. Les costumes, le thème restent secrets : il faut ménager la surprise. Pour tous c'est une complicité amicale qui dure toute l'année, le temps de préparer le prochain carnaval, de le vivre, de se projeter dans le suivant. 

Lors de la sortie du soir, la lumière des torches de paille, l'odeur de résine, ajoutent à la magie. 

Le 5 mars, toutes les bandes, une bonne trentaine, étaient autorisées à sortir ensemble. Samedi 11 mars, lous Brounzinaires et les Rambaiurs menaient le cortège, dimanche c'étaient le Paradou, et dimanche prochain, 19 mars, ce seront las Fennos. 

Le_Tivoli_-_Sortie_du_matin Goudils au Carnaval_de_Limoux_2015  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Unuaiga

Derrière  les bandes disciplinées, au programme étudié, suivent les goudils, plus libres de leurs déguisements, qui chantent, dansent, lancent ou étouffent de confettis, ciblent les spectateurs de leurs taquineries, avec des indices, vagues et justes à la fois, traditionnellement en languedocien, pour que toujours, l'intéressé ait à se demander qui peut bien être ce masque si indiscret qui en sait tant sur lui. Il y a beaucoup plus d'authenticité, de piment, en occitan, c'est certain. 

Fin mars c'est dans la langue maïrale, des aïeux, que Carnaval est jugé. Réquisitoire, plaidoyers se succèdent "Paure Carnaval, tu t'en vas e ieu demori..."... ce n'est pas la nuit de la blanquette qui va atuder (éteindre) le bûcher. Cette année, ce sera dimanche Rendez-vous est pris pour l'an qui vient.