lundi 9 janvier 2023

Le CINÉMA au village : JOSELITO...

 Le dimanche après-midi : la séance de cinéma. Est-ce que tous les films sont adaptés à nos âges ? En attendant, si les affiches collées sur les grandes vitres des cafés Mestre et Billès correspondent, ce sont quinze ou vingt gosses qui prennent place sur les bancs de devant, les parents ont donné les 70 centimes, l'équivalent d'une flûte de pain (400 g) ; ils savent ce qui est programmé, au moins ils nous demandent, je suppose, avant de permettre alors qu'ils poursuivent leurs discussions de grands. 

Juste derrière le comptoir de bois tenant lieu de caisse, non loin de madame Calavéra, une mamé avec ses quelques friandises sur le plateau d'osier suspendu à son cou (elle ne doit pas rouler sur l'or), le patron, monsieur Balayé, nous place d'autorité, sur ces bancs de devant, pour nous avoir à l'œil, à trois ou quatre mètres de la scène, à sept de l'écran, les fauteuils ne nous sont pas permis... bénéficions-nous d'un tarif réduit ? je pense. Un demi-siècle plus tard, ce ne sont peut-être que des impressions qui m'ont marqué ; Monsieur Balayé, de Salles, le village non loin, nous tient à carreau, un long bambou à la main aidant, dissuasif : il lui suffit de tapoter l'épaule de celui qui taquine, rit avec le voisin, qui n'est pas sage. 

Paper_cinema_ticket années 80 domaine public Auteur Tangopaso (2)

Au comptoir, si un retardataire entre, son épouse allume la lampe de poche... j'ai oublié mais avons nous un ticket en retour, de ces petits rectangles jaunes détachables d'un rouleau ? Un dessin animé, les actualités, la publicité de Jean Mineur envoyant son pic dans le mille de la cible, un court-métrage de Charlot, un soupir de satisfaction lorsque le titre s'affiche (on fait les difficiles avec les entrées pourtant variées !).  
Andalousie 1984. 

Joselito, on le connaît pour avoir vu "Le Petit Vagabond", "Le Rossignol des Montagnes,", "L'Enfant à la Voix d'Or", "Écoute ma chanson". C'est vrai qu'il a de la voix et qu'il n'y aurait pas d'histoire s'il était riche avec une carrière toute tracée. Or, on peut vivre modestement sans que sa destinée n'expose à de tristes situations et aux épreuves qui vont avec... 
Nous le retrouvons orphelin de mère, confié à une femme qui ne l'aime pas ou orphelin de père, habitant avec le grand-père parce que le nouveau mari de sa mère le rejette...  Une fois, berger dans la montagne, il ne descend au village que pour porter sa paye à sa mère, sauf que le père est violent et alcoolique... Une autre fois, le père, forgeron, mène son éducation et lui fait travailler la voix... 
Il doit se défaire des méchants, les enfants jaloux qui lui en veulent ou un impresario qui veut l'exploiter. Il tombe aussi sur des gentils, le vagabond Pepino qui l'amène chanter de foire en foire, les gitans qui le recueillent et l'intègrent dans leurs spectacles. 
Enfin, tout finit bien lorsque Joselito arrive à gagner l'argent qui permet de soigner son amie, la petite fille aveugle, lorsqu'il retrouve ses parents et un père libéré de l'alcool, lorsque sa mère, réalisant qu'elle est la fille d'un riche marquis, le retrouve après l'avoir longtemps cru disparu. 

Les villages blancs de lumière, débarbouillés d'un gris sans nuance imputé au Nord, comme l'exprime si bien Aznavour ("Emmenez-moi") en ajoutant que la misère lui semble plus légère au soleil. Si Sud ! je ne peux m'empêcher de déborder jusqu'au Pirée et ses enfants par Mélina Mercouri ou Dalida... Tout ce qui me transporte dans mes années fin 50, 60, disons de mes 8 à mes 17 ans, un emballement très Mare Nostrum avec Zorba le Grec, le sirtaki et toujours cette déduction faite axiome que le pognon ce n'est pas la vie...  
Laurel_and_Hardy 1930 Author Hal Roach Studios

Charlie_Chaplin_reads_Film_Fun,_1915 Author Anonymous

Aujourd'hui, Franco s'invite dans les histoires de Joselito, tolérant la préférence du petit chanteur pour le flamenco au café plutôt que le chant religieux chez le curé, ne permettant pas un misérabilisme qui nuirait à l'image de l'Espagne même si le besoin de devises est prégnant. Aujourd'hui je ne fais plus le parallèle avec les miséreux puisque chez les gens ordinaires et dignes des films du rossignol à la voix d'or, les intérieurs sont chaleureux s'ils ne sont pas riches, et, dans la pièce à vivre, il y a le poste de radio. Le cinéma au village m'emporte positivement alors qu'à la maison, mon père impose Copperfield et Sans Famille, toujours pour me culpabiliser, me claironner que j'ai de la chance, sans qu'il réalise qu'il m'enferme dans un mal être qui n'en finira pas de me bloquer encore, en tant que jeune adulte... Enfin, sans vouloir ni accuser ni accabler, je me découvre faible de ne pas me défaire d'un fardeau psychologique certain... Aujourd'hui, alors que j'écris ces lignes, le hasard fait que Arte nous passe les destins de Laurel et Hardy puis de Charlot (8 janvier 2023), preuve que le passé est porteur, le présent volatile et qu'on ne sait rien de ce qui est à venir...  

Andalousie 1984. 

Le cinéma au village a contribué à me garder de la perdition... Avec d'autres bonheurs comme l'amour de la nature, l'importance des copains, mon attrait pour le yin, le goût du voyage, l'évasion, l'imaginaire, il a grandement contribué à me donner envie de la vie... Ne dit-on pas que tout se joue à l'enfance ?     

jeudi 5 janvier 2023

LE LOTO, CHALEUR D’UN TEMPS ÉVANOUI (6)...

Sixième volet, jusqu'à présent le dernier mais c'est psychologiquement toujours aussi dur de mettre "fin" tant on espère la possibilité d'éléments supplémentaires, d'une nouvelle source.   

La preuve : le site OCCITANICA du CIRDOC nous donne encore l’occasion de prolonger...    

https://occitanica.eu/items/show/423 (Lo Lòto : recueil de mots et expressions pour animer un loto ou quine en occitan · Occitanica, Portal collectiu de la lenga e de la cultura occitanas).

A Barcelone, le « loto carton » s’appelle « quinto », à Perpignan ils participent à des « rifles » (au féminin). Ce terme « rifle » est courant aussi dans le Berry ou en Bourgogne (!).

Chez nous, ce seraient les municipalités qui auraient retiré le droit d’organiser (?? explications demandées...).

Dans nombre de départements, les préfectures autorisent les lotos entre le 1er décembre et le 1er février.

Les expressions accompagnant les numéros les désignent sans risque de confusion, c’était plus essentiel encore avant l’invention du micro, qui plus est, dans le bruit ambiant.

En habillant plaisamment la sortie des numéros, le nommeur démontrait des talents d’acteur certains ; ses reparties collaient parfois à la vie du village, souvent à l’actualité (74. La cuve à Clermont-l’Hérault, inutilisable pour la vinification suite à un nettoyage au gas-oil / 42. Allez les Verts ! / 33. Rika Zaraï dont les bains de siège prêtaient à rigoler !).

Le public aussi joue un rôle en anticipant le mot d’esprit attendu ; souvent il aiguillonne le hasard avec un « mounto lou » (monte-le) ou « vai lou quéré » (va le chercher) qui fait monter un marmonnement de dépit dans l’assemblée sinon une rumeur de répit si l’intéressé dit « brigan » ; il arrive qu’un ou une extravertie se permette de commenter « bien compté » « mon âge » ; parfois, par connivence un joueur interpelle le nommeur toujours capable d’humour dans un retour qui fait sourire tous les joueurs... Le public habituel aime (certains viennent tôt pour garder la place dans la salle où aura lieu le tirage), le changement agacerait : pour cette raison, le nommeur reste attitré jusqu’à ce qu’un jour, souvent à l’usure, il faille bien changer d’époque. 

Et pourtant les affiches étaient en français... 
Lieuran_lès_Béziers_affiche_loto_1930_-_Archives_départementales_de_l’Hérault Domaine public.

Avec un brassage des populations favorisé par l’attraction du pourtour méditerranéen, la platitude du français  vient niveler le relief, le piquant propre à notre parler occitan... ce qui est bien à l’image de la domination aussi anachronique que malsaine du pouvoir de Paris, dans l’inclination honteuse pour la gouvernance absolue, la seule en Europe en bute aux langues, au particularisme des régions, mythifiant un Napoléon comme elle le fit d’un Pétain en collusion d’avantages mal placés... dèjà à préférer une soumission dangereuse à l’homme providentiel... pardon si je m’égare, serait-ce sans prêter à conséquence. Si nos lotos survivent, qu’ils soient commentés en occitan puis en français. 

Le site Occitanica nous offre des variantes rafraîchissantes :

2 Tu e ieu (toi et moi),

4 la man del fustier (la main du menuisier), la leca (baguettes en forme de 4 qui maintiennent en l’air la pierre plate d’un piège),  

6 la rèsso (la scie d'où le rasséguet utilisé par le poudaïré lors de la taille),  

7 la dalho (la faux),

14 la flour al fusil (début de la Grande Guerre),

15 lou rugbi, lou Cantal, un talh de cantal (un morceau de cantal),

16 lous ceses (les pois chiches), passo a Bagnols (sur Cèze), ço que se manjo per Rampalms (ce qui se mange pour les Rameaux),

17 Gafa, la déportation en Tunisie du 17e d’infanterie ayant mis la crosse en l’air lors de la révolte des vignerons en 1907.

18 i a pas lou foc (il n’y a pas le feu, en rapport avec les pompiers),

21 la moustardo (de Dijon),

22 las randouletos (les hirondelles),

23 Jan lou papo (Jean XXIII),

25 Nadal (Noël),

27 la soupo de porrès (la soupe de poireaux),

28 la fièiro de Naucèlo (la foire aux bestiaux de Naucelle, en Aveyron, connue pour ses bals, suite aux ventes),

29 l’an del gros ivern (l’année du gros hiver),

30 lou bel atgé (le bel âge) lou traouc de l’amour (le trou de l’amour... peut-être une réminiscence licencieuse du Moyen-Âge),

31 Aprei l’amour, los Toulousens, las violetos,

34 Erau, Bésiérs e Mountpelhier, lous fadolis ( l’Hérault... les timbrés),

40 lou cioul de ma tanto, l’an dau gran Rosé (crue mémorable du Rhône), michanto annado (méchante année),

41 les rutabagas,

42 les topinambours,

44 las cancarinetos (les castagnettes),

45 lou pastis,

48 la Lozero (la Lozère),

51 lou pastaga,

52 BB Brigitte Bardot (son mariage avec Vadim),

55 lous tetouns, lou paradis dels omès, douple,

56 lou gran fret

58 la Constituciou,

59 Lou Nord, lou cal pas perdre (le Nord, il ne faut pas le perdre),

60 la retreto (tu entends Macron ?),

63 Giscard, Danièle Gilbert (du Puy-de-Dôme),

64 lous Bascos, m’en vau a Pau (Les Basques, je m’en vais à Pau),

65 Bernadeto, m’en vau a Tarbes (ou à Lourdes ?),

66 Lous Catalans, lou Pertùs, Perpinhia, dous culhiers dins lous linçols (deux cuillères sous les draps),

67 la choucrouto,

68 las calados (les pierres), la revoluciou,

70 se manjavo de rats (il se mangeait des rats)

74 la néu (la neige dans le Vaucluse, le Gard, l’Hérault),

75 lous Parisiens, lous envahissaïres,

78 Versalho,

79 las dous cabros (ils prenaient déjà en compte Ségolène ?)

81 bougré de Tarnagas (sacré Tarnais),

83 la marino de guerro,

84 Sul poun d’Avignoun, Miréio,

87 Lous d’Argélièrs (les 87 vignerons du départ avec Marcelin Albert en 1907),

88 las dous cacaùetos, las poupos (les cacahuètes, les seins)

La dinde ou le jambon au bout de la soirée, qui sait ? En attendant, de l’Histoire, la paillardise du Moyen-Âge, la libido des hommes, une initiation à la géographie avec toute la convivialité complice des villageois...