jeudi 15 octobre 2020

ALCANTARA 2 (fin) / Un voyage en bateau 1953.

"... Tante Pauline aussi, la sœur muette de ma grand-mère maternelle, me faisait de sa main droite, un ample signe barrant rapidement son petit corps, depuis l'épaule gauche jusqu'à sa hanche droite, symbolisant ainsi l'écharpe d'un maire, et pensait qu'il me serait pourtant facile de rester ici, au pays natal, imaginant par anticipation qu'un maire gagnait bien sa vie sans s'exiler, et me donnant dans sa largesse toutes les qualités d'un premier magistrat. Non, papa a une devise fataliste et si simple, dite en languedocien "Arribo qué ço que déu arriba", n'arrive que ce qui doit arriver. Il est resté au village pour nous dire au revoir : assez dur d'apparence, il n'en est pas moins ému à l'intérieur. Ma mère et ma grand-mère, elles, nous accompagnent jusqu'à Narbonne. Des détails me reviennent. Ainsi devant le Jardin de la Révolution, maman croise une dame de Sigean, vieille connaissance de jeunesse, veuve déjà et employée de maison chez un docteur établi tout à côté... Nous avons passé l'après-midi, une fois les bagages confiés à la SNCF, chez tante Marie, au Quai Vallière, troisième sœur de "mamé". Et il faut maintenant s'approcher de la gare. Mamé Joséphine rate le trottoir et va tomber malencontreusement sur le parcours. Malgré ses soixante-dix-neuf ans, elle est restée très alerte et se relève bien vite, sans bobo d'aucune sorte. Ouf ! Et le petit s'en souviendra plusieurs mois plus tard : il nous parlera longtemps de mamé Joséphine, qui a fait "Poum" ! en allant au train. Derniers adieux, quelques larmes, des recommandations "Écrivez... Racontez-nous...". Embrassades poignantes... Enfin, à 21h 30, le rapide de Paris nous arrache à notre Languedoc. 
 
Gare_de_Limoges-Bénédictins wikimedia commons Author Babsy

A Limoges, je vais penser à l'étonnement de ma mère, qui alla une fois, en 1944, avec ma sœur Marcelle, chez les Petiot, à Chaulet, par Sainte-Feyre, dans la Creuse." 
François Dedieu.

Prolongements : 

Qu'est-ce qui pousse, en 1953 comme aujourd'hui, à vouloir se faire élire maire ? L'altruisme, le souci de la res publica ? ou des raisons cachées plus bassement matérielles ? 

Mon grand-père "assez dur d'apparence" ? c'est bien par amour filial que mon père dédramatise un caractère à part... 

Concernant les liens familiaux, le fait de passer l'après-midi chez une tante : une note apparemment positive non ? 

21h 30, le train de nuit pour Paris... Après les avoir supprimés, va-t-on rétropédaler alors que depuis des lustres tout est fait pour plomber la SNCF ? 

BB 9004 aux remarquables moustaches !wikimedia commons Author Hugh_llewelyn

mercredi 14 octobre 2020

ALCANTARA 2 / Un voyage en bateau en 1953.

Quais_de_la_gare_de_Narbonne wikimedia commons Author Florian Pépellin


Avis liminaire : pour compléter
la série PARTIR (ici en 11 volets parus entre le 29 mai et le 10 juillet 2020) les écrits originaux de François Dedieu (1922 - 2017), auteur de ces pages et de mes jours. Dans l'impossibilité de trouver les fichiers, j'en retape le texte en respectant une mise en paragraphes non encore finalisée. 

" Alors ce sont les derniers préparatifs, et le 27 mai nous quittons Fleury pour trois années scolaires. Nos valises sont rangées dans la remorque du car Joseph Douarche et je me souviens que monsieur Louis Nègre, commandant des douanes à Marseille et en congé au village de sa femme, étonné de nous voir partir manifestement, avec tous ces bagages, plus loin que Narbonne, mis au courant, m'a alors dit : "Que veux-tu, nul n'est prophète en son pays." A midi trente l'autobus s'ébranle, et commence le grand voyage. Salles, Coursan, Narbonne : je connais bien cette route, que j'ai souvent parcourue aussi le jeudi sur mon vélo "Brun-Latrige" à pneus demi-ballon et rétropédalage pour les côtes, afin de donner à Narbonne, rue Guiraud-Riquier, quelques leçons à une jeune cousine, sans amputer du prix du transport en car la faible somme demandée. 

Vélo Brun-Latrige
 

Nous ne reverrons pas ces lieux, si tout va bien, de trois longues années. En allant prendre congé de madame Azaïs, à "Joie" où elle soigne  à présent son mari gravement atteint, j'ai entendu ce mot prononcé par une de ses parentes de Béziers : "Vous ne le reverrez plus." Fin d'une existence... Que de choses, en effet, peuvent changer en trois ans ! Mon père n'a pas objecté, comme maman "Pourquoi partir si loin ?" surtout quand je lui chantais en riant "François est au Brésil, il danse la samba, il va de ville en ville pour en apprendre tous les pas..."

Prolongements : 

Ah l'autobus Joseph Douarche ! de Narbonne ? d'un village ? 

Monsieur Nègre... qui certainement ne se sentait pas visé par les dix d'Agatha Christie ! 

"Partir plus loin que Narbonne"... nous sommes plus proches d'un temps où seuls les hommes voyaient du  pays à l'occasion du service militaire. 

Aller à Narbonne à vélo par la nationale... de nos jours il est moins risqué de passer par la plaine de Vinassan. Le vélo "Brun-Latrige" la marque de la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne. Quant au rétropédalage je ne comprends pas "pour les côtes" alors que ce serait plutôt pour les descentes en tant que frein dans le moyeu... Si quelqu'un peut m'expliquer... 

"Joie" ! avec un nom pareil pour un tènement localisé sans risque de confusion, ne sommes-nous pas plus proches de l'expression et plus précisément du titre de Giono "Que ma joie demeure" ? 

"Vous ne le reverrez plus !" une phrase dure à exprimer même si le mari est gravement atteint, qui me rappelle une expression notée dans la famille à propos des repas : " un de moins à prendre !"

"Joseph est au Brésil" un air d'après-guerre, une danse des canards exotique et à peine moins bébête. J'en ai le souvenir après le Brésil, quand Julien Sierra (98 ans en août dernier !) qui nous mettait l'eau je crois dans la remise de mamé (en face du vieil Imar et avec Gérard le copain de classe qui le reste... 64 ans plus tard !) où nous occupions une partie habitable, me la chantait ! 

SNCF_CC_7107 wikimedia commons Author Jean-Pierre Vergez-Larrouy