Trois mois que nous avons laissé notre tenillaïre, notre pêcheur de tellines, à Saint-Pierre-la-Mer, plus exactement à portée du grau plus ou moins existant de l'étang de Pissevaches (vache = source). Suivant qu'il tire son engin vers le sud ou le nord, le paysage immédiat lui fait revisiter un pays marqué par la Méditerranée, les montagnes, des Pyrénées aux Cévennes et jusqu'aux Alpes, un pays d'hommes avec en commun une culture occitane d'autant plus revendiquée qu'elle reste niée et méprisée par l'hégémonie jacobine, indécente et crasse de Paris.
Tandis que la lame de fer crisse sous quelques centimètres de sable, avec le clapotis d'une mer bridée par le Cers, ce vent de saine colère, frère du Mistral, sa progression lentement scandée, d'un pied sur l'autre, permet cette évasion. Ce tour d'horizon le voit dans les Corbières, le Kercorb, les petits territoires et terroirs entre Lavelanet, Mirepoix et le Lauragais (pays de l'aure, du vent d'Autan, si complémentaire au Cers déjà nommé). Son esprit, son imaginaire ont suivi aussi le cours de l'Aude, entre les gorges de Pierre-Lys et Carcassonne mais, avant de suivre le fleuve vers la mer, avant de revenir sous le ciel qui a favorisé ses racines languedociennes, il tient à remonter en Ariège, non sans ressentir toujours le même frisson ardent : c'est de là-bas que les siens, les Mountagnols, sont descendus vivre dans la plaine...
A l'image d'autres poisons qui avec le temps viennent gâcher le paradis exponentiellement perdu
de l’enfance, Rieucros en Ariège, Rieucros des belles vaches, du bon lait et des yaourts, Rieucros si exotique des années 50-60 pour un petit méditerranéen, porte le même nom que la vallée en Lozère près
de Mende, avec un camp de « concentration » pour les brigadistes
internationaux de la république espagnole. Ces mêmes « étrangers
indésirables » qui ont joué un rôle si symbolique
lors de la libération de Paris que les actualités mensongères et l’Histoire
fallacieuse ont dû taire les noms des halfs-tracks
de la Nueve « Guadalajara », « Brunete », « Teruel »,
« Ebro », « Santander », « Guernica », de « LA
NUEVE », une compagnie de la 2ème DB de Leclerc, pour que cela
fasse plus français ! Ce sont pourtant eux que sollicita le général De
Gaulle pour se rendre à Notre-Dame, deux jours plus tard, le 26 août ! Il
existe aussi une France du collaborationnisme coupable, du patriotisme veule, de l’esprit
cocardier prétentieux, du retournement de veste cynique, spécieux !
Il préfèrerait revenir sans arrière-pensée à ces cousins éloignés qui
ont une ferme du côté de Pamiers avec des vaches, des poules, le cochon. Ils leur
avaient fait la surprise après un 16ème de finale de 4ème
série perdu contre Mirande. Le patriarche s’appelait Baptiste (les diapos
de 1968 entretiennent la mémoire !). Papé Jean leur avait payé le
restaurant à Varilhes, la salle surplombait l’Ariège, du pigeon au menu et les
premières pommes-dauphine de sa vie. Et puis, les carcasses du père et du
grand-père, béret sur la tête, se touchant presque devant lui, dans la Dauphine
bleu séraphin, ça ne s’oublie pas.
D’autres cousins habitaient à Escosse ; ils avaient des nouvelles
plus qu’épisodiques. Léon de Béziers, le cousin cheminot marié à Marcelle, avait
une Dauphine jaune, lui, mayonnaise ou crème pâtissière si vous aimez
mieux ! Il revenait plus souvent à Rimont, non loin de Saint-Girons, pour la retraite.
|
Montagagne / les vaches, l'école, l'église. |
Sa famille directe descend de Montagagne, canton de Labastide-de-Sérou. En
descendant de Pamiers, il faut prendre à droite la RN 117, traverser Foix
dominée par le château de Gaston. Ah la N 117 ! Perpignan-Bayonne par le
piémont pyrénéen ! Avant d’attaquer les lacets d’un versant boisé et
sauvage, la route remonte le cours de l’Arize. A Nescus, en 1976, un vieux paysan labourait encore
avec une vache joliment parée d’un « pare-mouches » sur les yeux aux
couleurs vives d’un rideau de coton espagnol, au port de cornes fringant, complice
avec ses vieux restés alertes qui déclarèrent avec gourmandise et un brin de
solennité que chaque année, ils engraissaient encore le cochon. C’est la
moyenne montagne mais Montagagne est déjà à près de 800 m, deux fois plus haut presque
que Nescus dans la vallée. Il y était passé déjà, à l’occasion d’un périple à
Lourdes, pour compenser auprès de sa grand-mère devenue veuve, manière de donner
corps aux terres que les aïeux, du côté des hommes, avaient dû quitter à la fin
du XIXème siècle. L’école abandonnée avec encore une carte Paul Vidal de La
Blache au tableau, les fleurs perles-de-verre fanées du cimetière et dans le
pré récupéré avec le temps par les voisins, une féérie de plusieurs centaines de
papillons. Au-dessus de toutes ces ailes bleues, le
sentier vers le col des Marrous, la montagne de l’Arize, une empreinte d’ours
dans la neige, les forêts, les estives, les myrtilles du mois d’août… Derrière,
le Couserans, trois lignes de montagnes dont la dernière, crête frontière avec
l’Espagne, où les glaciers ont laissé le mystère des cirques et des lacs. Le
Couserans, terre des mountagnols partis faire les moissons, les vendanges, ou
colporteurs ou montreurs d’ours. Le Couserans, terre d’histoire qui vit les
Demoiselles, les paysans déguisés en chemises de femmes, faire la guerre contre
les abus des puissants. Peut-on faire un rapprochement avec la lutte antérieure
des Camisards des Cévennes ?
Malheureusement le présent s’ingère dans ce regard serein sur les
Pyrénées et tout ce passé sans lequel nous ne serions pas. Son venin s’indigère,
attaque les souvenirs, la mémoire, tant de l’homme que du pays : un
prédicateur intégriste islamiste a généré sa métastase jusque dans un petit
village de l’Ariège. Est-ce le retour par l’intérieur de la
menace porteuse de terreur d’un islam originel, une menace plus virulente que
le djihad de conquête pour une Méditerranée soumise au croissant, en moins d’un
siècle après la mort de Muhamad, et foncièrement différente des razzias de pillage ?
Dans la sérénité d’un matin agréable aux tenilles, des injustices
révoltent, des révoltes grondent, des menaces tenaillent, l’Histoire à venir
inquiète. Difficile de faire comme si. L’idée de revisiter le Sud ne pouvait se
limiter à la géographie et au passé historique. Après l’euphorie des lendemains
de guerre, les baby-boomers sont témoins de l’imminence des bouleversements qui s’annoncent, de la
dilapidation d’un héritage en principe seulement emprunté aux enfants...
Après les « petites » Pyrénées, avec le Couserans ce sont les
grandes, l’occasion de remonter aussi l’auge glaciaire de l’Ariège, vers
l’Andorre. Nous prendrons aussi la route qui monte au Chioula et vers le
plateau de Sault, dans l’Aude, en ne manquant pas de faire étape à Sorgeat avec
ses maisons blotties au-dessus d’Ax-les-Thermes, un peu à l’écart. Ici,
l’histoire du lieu, la mémoire, servie par des passionnés suivis et soutenus,
contribue à entretenir la vie du village, l’Internet aidant.
La peste de 1631, l’émigration, le repas du cochon, les moissons, le
battage, des contes, des histoires dont un sermon pour mettre en garde des
ouailles trop enclines à se laisser aller, ne serait-ce que lors de la fête du
village… Un morceau de bravoure en occitan, avec traduction, à
collectionner !
« ... Sauretz que cal
garda galinos
Las
teni dins la basso cour
Quant
le rainart rodo à l'entour… » 1915, Jean de BALET dit Sauto Barraillo,
curè de Sourjat, reproche aux mères permissives :
(Vous devriez savoir qu’il faut garder les galines Les limiter à la
basse-cour Quand le renard rôde alentour).