lundi 16 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... (suite) / Československo, Holoubkov

“Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.” Federico Garcia Lorca.

L’apparition d’un tableau, en effet, mêlant l’infini de l’univers avec, plus proche, la nature dans ce qu’elle peut créer de terrestre, de spirituel aussi, et plus à portée, en premier plan, un site industriel, ce qui ne saurait traduire seulement le matérialisme propre à notre espèce. 

Bien sûr, devant nous, en bas de “Na Pekarně” (1), la pente abrupte, le regard devrait aller spontanément à l’usine (2), la tovarna historique d’Holoubkov dont le cœur bat jour et nuit mais c’est la lune, encore oblique et juste derrière le mont Trhoň qui invite, par la vision magique qu’elle offre, à l’humilité, au respect qui élève et non à la soumission de celui qui se prosterne. Un vieux réflexe judéo-chrétien pourrait donner à voir le mont Tabor sous des rayons divins si une orthodoxie religieuse obligeait à interpréter ainsi cette luminosité aussi irréelle que renversante. L’irradiation est telle que si j’en oublie qu’elle n’est qu’un ricochet d’étoile, je me sens pénétré par une harmonie céleste. La lune, telle un vaisseau spatial qui éblouit de ses projecteurs, ouvre nos horizons, occulterait-elle, au dos de sa face sombre, l’espace infini vers les galaxies. Son éclat efface même les étoiles d’un ciel trop pur. Sur Terre, la fraîcheur vient à bout de l’impression de chaleur encore ressentie en sortant de l’hôtel... sûrement le coup de rhum pour la route, après la bière !
  

Děda (grand-père) tourne la tête vers le mont :
“ Regarde ! la forêt fume ! c’est bon pour les champignons !"
C’est vrai que sous le Trhoň, une vapeur déjà ouatée rampe autour des épicéas dont seules les pointes émergent. Sous le couvert des branches basses, sous le tapis d’aiguilles, l’humus est une matrice tiède que le mycélium investit de ses nébuleuses. Le rêve transporte facilement en enfance... Effacées les bières, les cigarettes ! Oublié ce souci d’apparence extérieure, ce désir d’exister dans les yeux des filles, choses que l’on prend trop au sérieux quand on a dix-sept ans ! 
 

Les images de Budulinek défilent comme elles défilaient grâce au petit cinéma, l'obscurité venue, par un même clair de nuit, en haut de ce même quartier “Na Rudě”. C'est un petit garçon qui habite avec ses grands-parents à l’orée de la forêt. A la belle saison, ils restent assis dehors, à voir monter la lune et le grand-père raconte des histoires d’enfants attirés puis perdus sous les sombres futaies. C’est le renard qui est venu tenter Budulinek en lui promettant un monde merveilleux, autre chose que la maisonnette et son petit jardin ! Et si l’histoire se termine bien, l’essentiel, que ce soit conscient ou non, sont ces graines semées chez l'enfant, des graines dont certaines germeront vite ou dans très longtemps ou jamais, qui sait ? A dix-sept ans peut-être.

(1) Une boulangerie a dû s'y trouver par le passé.
(2) mentionné vers 1379, le village est connu pour ses forges. La force hydraulique, la proximité de minerai de fer et les vastes forêts alentour permettent la production d’acier (un haut-fourneau a fonctionné au XVIIe siècle). Mise à part une période marquée par la production de cellulose et de pâte à papier, c’est la fabrication de machines-outils pour l’usinage des métaux (tours de mécanicien, de serrurier) qui prévaut encore aujourd'hui. En dehors de l’occupation nazie ( protectorat de Bohême-Moravie 1939-1945), notons les consonances germaniques des propriétaires successifs : Strousberg (wagons), Hopfengärtner et actuellement Weiler (KOVOSVIT pendant la période communiste ).
L’historique de la firme Weiler précise qu’Holoubkov a été un des plus anciens centres industriels de Tchéquie et peut-être d’Europe. http://www.weilercz.com/cz/ 
  

Photos autorisées : 
1. Holoubkov Trhoň Autor HudryHudry. 
2. O Budulinkovi Mandelince. Josef Lada, 1946, Nezbedne Pohadky.
3. Panorama Holoubkov HudryHudry.

samedi 14 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... / Holoubkov, Československo


La pleine lune qui met en relief le cimier des arbres me transporte aussitôt vers une autre lune, une autre nuit, une forêt plus boréale, peut-être perdue dans un passé presque galactique.

La porte fait passer par le couloir d’entrée où donne le guichet à présent fermé de la vente à la pression (točene), au litre, au pichet, là où défilent, surtout en fin de semaine, les pichets blancs, bleus, bruns (le džbanek des grands-parents est bleu ciel, celui du grand-oncle, blanc). 
 

Dans ce hall, la senteur amère du houblon l’emporte sur le tabac froid filtrant de l’ambiance si enfumée de la grande salle encore bien remplie.  
 
 

Une fois sortis, si un roulement de voix mâles mêlées de rires gras, fait tourner la tête vers les lourds rideaux sombres de l’hôtel (réputation des buveurs oblige) tombés sur la concupiscence à la bière de ces hommes, par ailleurs si durs à la tâche, c’est la nuit qui investit nos sens. Nous traversons la nationale Praha-Plzeň qui passe devant l’établissement. A cette heure avancée, les véhicules sont rares. Au loin, seulement, un bruit de moteur crescendo, amplifié par la saignée de bitume, la montagne russe entre les épicéas. 
  

Ensuite le carrefour de la route de Hůrky (1) avec le kiosque presse-tabac, jaune et rouge pétard, pour offrir un soleil d’Espagne au ciel trop souvent couru par les nuées d’ouest. Si je n’y achetais pas les “kubánsky”, ces brunes cubaines si exotiques au pays des blondes (2), je penserais à un arrêt de bus sauf qu’un tube métallique porte l’enseigne de la ČSAD juste à côté... 

  

Logique, sur ce carrefour, cette patte d’oie qui fait graviter le village autour. D’ailleurs, à l’opposé, vers Těškov et au delà Lhota-pod-Radčem, proche du tilleul et contre le mur de la salle de bal de l’hôtel, stationne souvent la remorque-passagers des autobus Škoda (3).  
  
La nuit est trop douce, trop claire pour qu’il n’y faille rien voir et au seuil de “Na Pekarně”, la descente si raide, faite, on dirait, pour les seuls piétons, s’annonce la symbiose mystérieuse entre l’univers, la nature et l’homme cherchant à s’en émanciper... (à suivre)      

(1) elle limite le quartier “Na Rud
ě” regroupant surtout des logements ouvriers, une promiscuité en apparence sereine pour les deux bâtiments du bas tandis que les deux du haut, plus individualistes (quatre logements de plain-pied mitoyens chacun) expriment une conception du logement social méritant une mention au même titre que les villas célèbres d'Holoubkov (dont la Markova vila de 1908 / architecte Jan  Kotěra). Mes grands-parents y ont habité jusqu’au début des années 60 ; tonton et ma grande-tante y résident.  Ils aiment rester dans le jardinet, juste un lopin de terre mais, plein de fleurs ! (presque sous la route et le kiosque). Le quartier est d’autant plus aimable que la vue, au-delà du lac, en bas, de l’usine souriant peut-être de se trouver à la campagne, puis de la voie ferrée, la gare, se perd dans la forêt jusqu’en haut de croupes sombres  
(2) lieu d’achat aussi des cartes postales, des timbres pour la France et des kři
žovsky de papa (le nom m'échappe).
(3) prononcez “chkoda” et non comme dans la pub pour les bagnoles ! 


Photos autorisées : 
1. Pixabay creativ common. 
2. Svátečni hospoda. Josef Lada. 1932. Kolorovaná kresba.
3. Kiosque à Rokycany. 
4. ČSAD csUserŠJů.
5. Bus Beroun,_DOD_Probotrans, RTO městské s vlekem Author Aktron Wikimedia Commons