mardi 11 avril 2017

DAUDET : ODE AU DELTA... (3) / Lettres de mon Moulin


Dans les Lettres de mon Moulin, Alphonse Daudet a su aussi mêler l’avancée grandiose du delta au tragique des destinées humaines. A Mirèio, à Magali, il associe l’Arlésienne, celle qu’on ne voit jamais alors que tout tourne autour du malheur qu’elle cause.
Daudet a sûrement eu le tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres. 


Aux marges de la Crau, dans un mas aux micoucouliers, vit Jan, le fils de maître Estève.

«... Il s’appelait Jan. C’était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, ~ une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ~ Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. la fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force; il disait :
~ Je mourrai si on ne me la donne pas. »

 


Hélas, le jour même où on officialise sa liaison, un homme demande à voir maître Estève, seul à seul. Le soir venu, le père se doit de dévoiler à Jan ce qu’il lui a appris :
«  ~  Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux... »   

Daudet a eu tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres : elle s’inspire directement de la triste fin d’un neveu de Mistral et c’est Mistral lui même qui s’en est confié. La publication d'une intimité à ne pas mettre au grand jour pèse certainement dans le froid à venir entre les deux hommes...

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa "lettre" « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /...
Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »


Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  


Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 
 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhôdanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »


Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Merci, monsieur Daudet ! 

crédit photos commons wikimedia
1. Alphonse Daudet. 
2. ferme à Arles. Paul Gauguin 1888. 
3. étang du Vaccarès attribution ShareAlike 3.0

dimanche 9 avril 2017

Louis PERGAUD, égalitairement mort pour la France... (fin) / Compatir à un destin, "partager" le voyage...



Pourquoi « égalitairement » ? parce que chaque homme est une Histoire universelle (J. Michelet) et si certains gradés cultivés craignaient pour la vie de l’écrivain, sa promotion empoisonnée au grade de sous-lieutenant l’a amené à foncer, armé d’une canne et d’un revolver sans balles, pour un con nommé B. de M. qui voulait sa troisième étoile (ah ces nobles restés les aristocrates d'une armée pourtant républicaine, persistant à envoyer la piétaille sous la mitraille !). Nous connaissons la suite et ce qu'il en est encore lorsque la vie politique n'est que manipulation et que la  démocratie est pour le moins dévoyée...


Fin des lettres de guerre (22 mars - 6 avril 1915).

A Delphine, mardi 23 mars 1915. Tu vas recevoir sous peu.../... un souvenir de la guerre.../... c’est une bague fabriquée par le maréchal-ferrant.../... avec la fusée en aluminium des obus allemands.../... La fusée devait être en cuivre mais ces pauvres Boches n’ayant plus assez de ce précieux métal se servent d’aluminium et c’est extrêmement amusant, car comme on ne redoute guère leurs marmites de 77, les Poilus guettent l’arrivée de l’obus pour se précipiter sur la fusée encore toute chaude et s’en servir pour faire ce genre de bijouterie... /... Ce matin tu ne devineras pas où je suis allé... à la messe.../... je n’ai pas trouvé ridicule d’honorer nos morts même de cette façon...

A Delphine, mardi 30 mars 1915... /... tant qu’il y a eu du danger je n’ai pas voulu t’en parler... /... résultat néant, sept-cents Poilus hors de combat... ça été une opération ridicule d’autant que la position n’offre aucun intérêt stratégique et qu’il est impossible de s’y maintenir.../... les Boches furent très corrects, ils se levèrent au-dessus du parapet et l’on se regarda de part et d’autre... /... il arriva près du blessé, à six mètres des Allemands, qu’il salua militairement, comme au grand siècle, puis ramassa son blessé et pendant que les brancardiers l’emportaient, il re-salua encore, comme la première fois, les ennemis qui lui rendirent son salut. Il rentra dans nos lignes ; les têtes disparurent derrière les parapets, le silence régna de nouveau et plus un coup de fusil ne fut tiré de la journée. Maintenant tout est calme, les mitrailleuse ne tirent pas, on n’entend plus le sifflement des balles, c’est l’ancienne vie qui reprend.

A Delphine, jeudi 1er avril 1915. Que tes lettres me sont douces à lire, si débordantes de vraie tendresse, de bon amour et comme je suis heureux de les savourer, de les lire et de les relire ; je suis avec toi, je vois ta main qui court sur le papier, tes yeux qui suivent les mots.../... Aujourd’hui il fait un temps magnifique mais il faut que je t’écrive avant toute chose : j’ai plus de plaisir à vivre ainsi en pensée avec toi qu’à courir les routes, fût-ce par les plus beaux soleils. 

 

A la même vendredi 2 avril 1915. Après le déjeuner la fantaisie nous a pris de profiter du beau soleil pour aller faire un petit tour dans les champs. J’ai eu soin de prendre de quoi écrire et.../... c'est couché à plat ventre, sur la terre presque sèche que je t’envoie ce mot. Ah notre beau printemps de là-bas, ma chérie, t’en souviens-tu ? Comme nous étions heureux !.. /... Peut-être qu’en juillet tout sera fini.../... Comme j’ai encore un petit moment avant le départ du cycliste, j’en profite pour venir t’embrasser un gros coup avant la nuit. Il fait beau et je t’imagine en peignoir dans le jardin baigné de soleil, devant la porte, en train de semer des salades ou des petits choux.


A Edmond R. samedi 3 avril 1915. Enfin nous revoyons le soleil.../ ... les alouettes chantent éperdument, se foutent des 77 et des 150 autant que du premier duvet qui leur ombragea le croupion. Par de tels matins on se sent renaître .../... n’étaient les cadavres des nôtres qui jalonnent le trajet entre nos tranchées et celles des Boches, prises et reperdues, on ne croirait pas, on ne penserait pas que c’est la guerre. 

A Delphine samedi 3 avril 1915... /... Peut-être enfin reverrons nous les champs reverdir et les fleurs pousser.../... je les ai laissées là-bas (les violettes) car dans ce malheureux pays, il n’est pas un coin qui ne soit vingt fois par jour compissé ou même davantage, par les Poilus qui s’y terrent.
A la même dimanche 4 avril .../... c’est aujourd’hui Pâques et nous avons fêté la résurrection de Jésus en vrais chrétiens, c’est à dire, en mangeant bien et en buvant sec.
A la même lundi 5 avril 1915... /... depuis hier nous ne sommes plus en première ligne et nos chances d’écoper sont de beaucoup réduites...
A la même mardi 6 avril 1915 .../... Je suis monté sur les collines qui dominent le pays pour assister à la canonnade toute proche.../... Après avoir été acteur dans le drame on peut se payer le luxe d’être spectateur. Cela offrait quelque chose de terrible et de grandiose cette ceinture de fumées à l’horizon et de trains allemands, au loin, filant à toute vitesse pour amener sur un point attaqué, du moins je le suppose, des renforts... /... j’ai trouvé des sous-officiers en train de se faire photographier ; ils m’ont invité à prendre place parmi eux et j’aurai peut-être dans quelques jours une nouvelle photo à envoyer à mon petit Cricri. Je suis au centre où tu me reconnaîtras je l’espère, entre Houdin le barbu, coiffé d’un bonnet de police et l’adjudant de la compagnie, le nouveau, Maillet, un bien gentil garçon aussi... (1)
 

A la même mercredi 7 avril 1915. J’ai reçu hier, de toi, une bien bonne lettre, toute imprégnée d’amour, toute débordante de tendresse. Merci mon bon petit, de m’écrire si longuement et de me dire des choses si douces au coeur, si réconfortantes. Je te conterai plus tard, des histoires émouvantes et terribles et de gaies aussi ; en attendant il faut s’armer de patience et de courage.../...  A demain ma chérie, je te prends dans mes bras et je t’embrasse de toute mon âme, de toutes mes forces et de tout mon cœur. 


Cette lettre est la dernière. Dans la nuit du 7 au 8 avril 1915, il prit part à une attaque tragique où il disparut...  

(1) c'est sa dernière photo certainement non libre de droits même si Bibliobs la publie et que les amis de Pergaud en ont recadré le centre à l'envers !..
https://www.google.com/search?q=photo+Louis+Pergaud&client=firefox-b&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ved=0ahUKEwiumcODipfTAhWMcBoKHQxgCs0Q7AkIPQ#q=photo+Louis+Pergaud&tbm=isch&tbas=0&imgrc=be5Ok70nfEzjFM: