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vendredi 30 juin 2017

ODE A L’AUDE / Robert du delta / 2. la mer

   

Avec Robert, c’est la mer, encore à la belle saison, à compter jusqu’à la septième étoile avant de poser et de remonter la traîne (1) dans l’obscurité qui monte et s’épaissit. Nuit sans lune, à la rude, à même le sable. Premières lueurs et on recommence, après le café, pour le ou les bols du matin, un coup de filet contournant, afin d'encercler le poisson... (la courbe formée par les flotteurs laissés derrière la barque jusqu’à ce qu’elle revienne vers le bord évoquerait-elle l’intérieur arrondi d’un bol ?). 

Une fois, entre chien et loup, il y a Émile, Marcel, Robert et moi, prêts pour un premier bol (graphie actuelle "b
òl"). Sauf que, derrière nous, sur le chemin des dunes, une drôle de procession... Mais qu’est-ce qu’ils font ces trois, si tôt le matin ? C’est étrange, d’autant plus louche qu’ils trimbalent quelque chose, le premier sur l’épaule, les autres à bout de bras...
 
Ils descendent sur la plage. Le premier jette son fardeau sur le sable, les deux autres en font autant. L’un d’eux vient vers nous « On a la saucisse, les escargots... portez les sardines, à la bonne franquette ! ». Ses compères s’occupent déjà des victuailles, des bouteilles, du gril déjà sur la boufanelle (fagot de sarments).
   

La mer frisotte encore fraîchement. Premier bol : rien. Le patron scrute, essayant de pénétrer le miroir des eaux peu engageantes. Deuxième essai : rien. Toujours pensif en regardant les flots, Robert annonce que ça vaut bien une troisième tentative. Dernier bol. A deux de chaque côté, filet vide ou filet plein, la traction semble toujours aussi lourde. On piétine en cadence, en arrière, balançant d’un pied sur l’autre, le trajèl (2) sanglé sur l’épaule qui va le mieux, un peu comme des forçats à la chaîne. Quand la poche se présente, un rond huileux, irisé et vert, gagne sur le bleu de la mer. Plus près du bord des petites écailles toujours plus nombreuses et virevoltantes lancent des éclats argentés. Que bòu ! quatre cents kilos ! 

Quel déjeuner sur le sable avec les trois de Salles qui s’offrent le plaisir du dimanche matin sans les femmes ! La sardine grillée à peine sortie de l’eau... Ne dites pas que j’en ai mangé cinquante-deux ! Les escargots je ne les ai pas comptés pas plus que les bouts de saucisse fraîche ! Et il fallut faire honneur aux vins de buvette de chacun !   

(1) sorte de pêche à la senne mais depuis la grève, appelée aussi « galuche » ou « petite traîne ». Frédéric Mistral note (Tresor dòu Felibrige / page 10309) « Bòu, vòu, bol s.m. Coup de filet, v. tra ; produit d’une pêche par bateau, v. pesco ; poste que doit occuper un pêcheur, pour ne point endommager les filets des autres, v. espaci, sort ; capture, prise, butin, v. caturo.
Tira lou bòu, lever le filet ; metre son bòu en terro, verser sa pêche sur le rivage ; s’enrichir ; faire bòu, faire bonne pêche ; faire un bòu blanc, ne rien prendre, faire fiasco ; croumpa lou bòu, acheter le jet du filet ; avé lou bòu, avoir le droit de pêcher ; prendre bòu, acquérir ce droit ; perdre lou bòu, cesser d’avoir le droit de pêcher dans tel ou tel endroit ; tèn soun bòu, il a fait son magot ; que bòu ! quelle capture ! ».
(2) bricole de corde terminée par un liège et fixée à une sangle d’épaule. Un tour sur le cordage de halage suffit à s’atteler. 

Voir aussi « Le temps pour un pêcheur du Golfe » https://dedieujeanfrancois.blogspot.fr/2015/08/
 
 

photos 3 et 4 http://www.portlanouvelle.fr/pages/118,34,178/la_pecircche_agrave_la_traicircne.html