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dimanche 6 décembre 2020

Marrons, châtaignes et châtaignons...


Castanea sativa wikimedia commons Author Wildfeuer 2006
 

"Les châtaignes, appelées marrons quand leur bogue épineuse ne contient qu’une graine au lieu de deux ou trois, se font assez rares sur les marchés. Je viens d’en voir quelques-unes à la supérette Spar de la rue de la Poste, au prix inattendu  de sept euros cinquante le kg. C’est le prix que j’ai payé la semaine dernière pour un kilo de tendron de veau (en promotion il est vrai). C’est dire que la rareté se paye. Pourtant, ce fruit du châtaignier entrait tellement « pour une large part dans l’alimentation publique, notamment chez les montagnards de l’Auvergne, des Cévennes, de la Corse et de plusieurs autres contrées » (dict.) que l’arbre qui le porte, le châtaignier commun (castanea vulgaris) fut souvent appelé « arbre à pain ».

Quant aux « châtaignons », voilà bien un nom qui a disparu de nos dictionnaires sans y laisser d’autre trace que ces deux lignes maigrichonnes de mon LAROUSSE DU XXe SIÈCLE :

Châtaignon  [tê-gnon, gn mll.] n. m. Nom donné, dans le midi de la France, aux châtaignes desséchées.

Louis Alibert, dans son dict. occitan-français, le mentionne : « castanhon, châtaigne sèche ». 

Entrée du lycée Henri IV à Pézenas avec la plaque en hommage à Paul Vidal de la Blache.

 
En septembre 1959, après une année d’enseignement à Saint-Germain-en-Laye et deux années au Lycée Henri IV (de Béziers !), j’étais nommé, muni de mon CAPES, au Lycée mixte de Pézenas, et je logeais provisoirement, en attendant d’avoir un appartement pour les miens, chez tante Adeline, veuve de mon parrain et grand-oncle François Peyre. J’étais là avec elle, sa fille Marie-Louise, qui fut une couturière fort appréciée dans la ville, et sa petite-fille Marie-Françoise, dite Zizette, dont elle s’était occupée depuis sa plus tendre enfance, à Tassin La Demi-Lune près de Lyon où le père Etienne, cousin germain du mien, était adjudant de gendarmerie.

Etienne, alors retraité, s’était retiré dans sa petite propriété au nom si curieux : Villa Salsadella-Chichiry, tout près de Pézenas, et il venait presque tous les jours partager notre repas du soir. Avant de se servir de soupe, il prenait soin de poivrer le fond blanc de son assiette creuse, pour être ainsi bien sûr d’avaler un breuvage bien épicé. Nous avions de temps à autre des châtaignes bouillies au dessert, et tante Adeline se moquait gentiment de Marie-Louise quand celle-ci pelait longuement au couteau une châtaigne qu’elle retrouvait … noire et immangeable. « Il faut d’abord les partager en deux. Là tu vois si elle est bonne et tu peux alors continuer. » Dans son enfance et sa jeunesse, avant d’être mariée à mon oncle François, alors garde-chasse aux Karantes où devaient naître mon père en 1897, puis son fils Etienne, et d’être employée à l’un des « grands hôtels » de Saint-Pierre (hôtel Sud ? hôtel Nord ?), tante avait habité près de Bédarieux. Son père était contremaître et peut-être même ingénieur dans une équipe chargée de réaliser les grands travaux nécessaires à la construction des voies ferrées secondaires du Midi. Familière de ce pays de forêts, où certaine route bordée de cerisiers ne saurait faire oublier les grandes châtaigneraies d’alors, elle y avait connu ces cabanons spécialement destinés à sécher les châtaignes, qui seraient alors vendues plus tard dans toutes les épiceries de village sous le nom de « châtaignons ».

Un soir, elle me fit la description d’un de ces « séchoirs », avec force détails sur  le bois utilisé, la disposition des claies disposées contre les murs sur des étagères, la durée des  opérations…

Et voici qu’un enfant de Bédarieux me ramène sur ce sujet. Un jour, monsieur Aimé Teisseire, mon cher instituteur qui m’a conduit au Certificat d’Etudes Primaires, m’appelle à la sortie de la classe. Il avait dû ce matin-là nous donner le résultat des compositions mensuelles où nous alternions assez régulièrement à la première place. Quand ce n’était pas Roca Honoré, Pédrola François ou Molveau André, c’était Dedieu François. Nous prenions alors nos affaires (« tes cliques et tes claques », disait monsieur Teisseire) et les deux premiers s’installaient pour un mois à la table ou pupitre de devant, les autres suivaient dans l’ordre. 


 
Ce jour-là, j’étais premier. M. Teisseire avait pris l’habitude – pour s’en débarrasser sans les mettre à la poubelle, mais à notre âge nous ignorions cette astuce – d’offrir un livre usagé mais encore convenable au premier. Cela faisait un livre de plus dans une maison où ils se comptaient souvent sur les doigts d’une seule main. Il prit donc un livre vert de la librairie Hachette qui avait été le livre de lecture de nos prédécesseurs, élèves de MM. Camille Barbaza, Auriol, voire Courty : LE  FRANÇAIS  PAR  LES  TEXTES – Cours moyen – Certificat d’études, par V. Bouillot, Professeur au Lycée Montaigne. Il barra sur la couverture le nom écrit tout petit d’un ancien élève et le remplaça par le mien, bien gros, à l’encre rouge, dans le coin supérieur droit. Parfois, dans mes « voyages autour de ma chambre », comme dirait l’autre, je jette un coup d’œil sur ces textes d’un autre temps, et justement…"

Correspondance / François Dedieu, novembre 2012.