Le plaisir de gagner pour certains et pour tous celui de se sentir appartenir à la communauté, au village. A l'opposé de ces femmes qui arrivent en retard à la messe afin de laisser apprécier leur élégance par une assemblée, volontiers distraite un instant du cérémonial et des voies du salut, les plus accros arrivent à l'avance. Une bonne place, pas dans les salles annexes, pour voir le "nommeur" et reconnaître ceux qui entrent et passent et que l'on n'a pas vu depuis longtemps... "C'est un tel... bouh qu'il a changé... on dit qu'il a divorcé..."... Je vous laisse imaginer ces éclairs et indiscrétions : Point-de-Vue-Images-Du-Monde-Paris-Match à l'échelle du patelin.
Sinon on se rassure sur l'identité du nommeur, personnage d'autant plus important qu'il siège à la tribune de la caissière du grand café ! Au moins que ce soit Marius ! Sa voix, sa diction, son phrasé, ses commentaires sont familiers, et puis le changement on n'aime pas, on a ses habitudes :
"Ah lui au moins il articule ! Et il répète !"
Marius chausse ses lunettes, secoue les billes de bois dans le sac. Devant lui un damier pour classer les numéros. Il se racle la gorge, tapote le micro que Marcel l'électricien finit de mettre à l'épreuve surtout que le loto est en simultané dans les deux cafés !
Loto Dynamic Harmonica Microphone_along_with microphone volume knob on Gibson Kalamazoo amplifier model_KEH-wikimedia Commons Author Ky |
«
Un deux, un deux trois… allô, allô allô… un deux, un deux trois… », quelques
crachotements et un effet Larsen qui laisse croire au sourd de service que son
appareil ne fonctionne plus.
Dans la salle, une cacophonie très bruyante, par vagues, comme les ondulations de fumées qui commencent à bouchonner haut dans l'opacité du plafond jauni... On parle et on rit fort dans le midi ! Les cartons sont bien alignés, les tas de maïs prêts pour marquer (les habitués ont ouvert leur boîte de jetons ou de petite monnaie). Yéyé qui, comme Marius, assure des extras de serveur pour les fêtes, aussi svelte et vif que quand il partait ballon en main, slalome et crochète entre les tables et les patères surchargées de manteaux, le plateau maintenu acrobatiquement dans les airs.
Marius a ajusté ses cordes vocales. Dans un roulement magnifique des "rrrrrrrrrrrrrr", sa voix
annonce :
« Bonsoir mesdames, bonsoir mesdemoiselles,
bonsoir messieurs. Pour cette soirée organisée par le "rrruby", nous
démarrons avec une quine pour un jambon. »
– Ah ! se réjouit l'assistance à l'idée que c'est un vrai cambajou de Lacaune, de montagne, s'il faut préciser…
– Chut, chut, font en écho ceux à qui il tarde de tenter la chance !
Le sac bien devant le micro et la main qui farfouille dans le sac et chamboule les boules numérotées.
– "Cinq" toute la main... Le premier numéro est sorti avec sa formule assortie, accompagnée d'un rechut agacé pour ceux qui veulent anticiper le commentaire de Marius ! Tout le monde les attend, les formules – bis repetita placent –, on les connaît par cœur, certains bavards invétérés prennent un malin plaisir à entonner le petit refrain qui va avec, en occitan ou en français suivant la langue qui convient, d'où les chuts agacés à l'encontre de ceux qui s'en croient... Sûr que les organisateurs ne s'aviseraient pas de prendre un annonceur étranger au village, cela provoquerait une bronca sinon une révolution ! "Soixante et dix"… la guerre, "soixante et quinze" boum boum !
"Deux", dous (1) coumo de mèl... "Téreize" ma soeur, "quarante-sept"... elle n'est plus toute jeune...
(1) doux comme du miel.
Jambons de Lacaune Wikimedia Commons Auteur : Marianne Casamance |
– Ah ! se réjouit l'assistance à l'idée que c'est un vrai cambajou de Lacaune, de montagne, s'il faut préciser…
– Chut, chut, font en écho ceux à qui il tarde de tenter la chance !
Le sac bien devant le micro et la main qui farfouille dans le sac et chamboule les boules numérotées.
– "Cinq" toute la main... Le premier numéro est sorti avec sa formule assortie, accompagnée d'un rechut agacé pour ceux qui veulent anticiper le commentaire de Marius ! Tout le monde les attend, les formules – bis repetita placent –, on les connaît par cœur, certains bavards invétérés prennent un malin plaisir à entonner le petit refrain qui va avec, en occitan ou en français suivant la langue qui convient, d'où les chuts agacés à l'encontre de ceux qui s'en croient... Sûr que les organisateurs ne s'aviseraient pas de prendre un annonceur étranger au village, cela provoquerait une bronca sinon une révolution ! "Soixante et dix"… la guerre, "soixante et quinze" boum boum !
"Deux", dous (1) coumo de mèl... "Téreize" ma soeur, "quarante-sept"... elle n'est plus toute jeune...
– Mounto lou ! Il n'en manque qu'un à
quelqu'un, macani ! Des tables dépitées, des regards plus ou moins discrets toisent et guettent, avec envie.
– "Quarante-quatre",
"quarante-six"…
Oh ! une rumeur de déception monte parce
que tout le monde n'a pas une série de "quarante-…" sur ses cartons et que quelqu'un qui espère un "quarante et quelque chose pour crier lance :
– Quarante toujours macarel !
– Quarante toujours macarel !
– "Onze" zonzon...
– Là !
– On a crié. Ne démarquez pas !
– On a crié. Ne démarquez pas !
(1) doux comme du miel.