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samedi 2 septembre 2023

AIGUES-MORTES.

Une impression d’abord : des étangs paisibles essaient, non sans peine, de contenir les colères du Vidourle et du Vistre ; l’homme entrepreneur, entremetteur, a, de sa patte, de ses canaux creusés, marié ces eaux grâce au vieux Canal de Bourgidou vers le Petit Rhône et, plus récent, le Canal du Rhône à Sète. Quant au chenal maritime du Vistre, c’est la mer qu’il joint au Grau-du-Roi... Ne dit-on pas que Saint-Louis voulait un port pour ne plus dépendre des marines italiennes ? Entre la Provence à l’Est, l’Empire à Marseille, le roi d’Aragon à Montpellier, Raymond VII de Toulouse à Agde plus au sud, il ne dispose que de ce débouché étriqué. Aux tractations et échanges avec les moines, succèdent, pour garder la possibilité d'embarquer, l’utilisation du Grau Louis suite à l’ensablement du chenal (sur la Grande-Motte aujourd’hui) ; suivent aussi les constructions des tours Carbonnière (en dehors de la ville) puis de Constance. Des franchises incitent une population dont des marchands à s’installer. En 1270 Louis IX embarque pour sa seconde croisade (la huitième) : elle lui sera fatale. Après lui, le fils s’attellera à la construction des remparts (terminés trente ans plus tard par Philippe IV le Bel qui y fera soumettre les Templiers à la question)...  

Les chenaux envasés, la malaria due aux marécages, la concurrence des autres ports causèrent la mort lente de la ville qui ne survécut qu’en tant que place forte et que grâce à l’exploitation des salins. 

Aigues-Mortes,_France_2022  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Gilbert Bochenek

La petite ville fortifiée de Camargue, même qualifiée de « Petite », en souvenir du bras de Saint-Gilles faisant aboutir une part du Rhône plus à l’ouest, dans l’Étang de l’Or (Mauguio), reste liée à bien des persécutions : les fortifications ne restent pas cantonnées à la défense passive, les remparts, les tours expriment aussi les violences que la force peut générer :

* l’emprisonnement et la torture des Templiers par Philippe le Bel (1307).

* le massacre par les Armagnacs de nombreux Bourguignons, alors alliés aux Anglais (janvier 1421) ; malgré l’hiver, les cadavres empestent ; la crainte d’une épidémie les fait jeter et empiler entre des couches de sel dans la tour sud-ouest dite « Tour des Bourguignons » !

*  l’emprisonnement de femmes dites hérétiques suite à la Révocation de l’Édit de Nantes (1685), dont Marie Durand, fille de pasteur, enfermée pour 38 ans alors qu’elle n’en a que 19.

* Plus grave encore car, plus récent, datant de 1893, aux Salins-du-Midi, dans un contexte de chômage et de tensions entre les Aiguesmortais, les “ Ardéchois ” (paysans de l’intérieur), les trimards (vagabonds embauchés) d’une part et les Italiens (Piémontais) de l’autre, le massacre de sept de ces derniers par les trois autres groupes malgré la présence des gendarmes (une cinquantaine d’Italiens en garderont des séquelles à vie). S’ensuivit un scandale judiciaire puisqu’un acquittement général fut prononcé par un tribunal éloigné, côté atlantique.

Aujourd’hui, loin d’être racornie par un passé aussi lourd, Aigues-Mortes vit un présent de gros bourg du Midi avec une place ombragée où les locaux se retrouvent sans se formaliser des touristes dans les rues. François-René de Chateaubriand (1768-1848) n’y vit qu’ « un vaisseau de haut bord échoué sur le sable où l’ont laissé Saint-Louis, le temps et la mer », une vision en accord, il me semble, avec le caractère triste et austère du personnage, sinon, c'est que la ville donnait alors une impression morose.  

AIGUES-MORTES 2017 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Hyppolyte de Saint-Rambert