Ce n’est
qu’au bout d’une quarantaine d’années que l’exploration du passé m’a
permis de revenir sur une adolescence dérangeante sans pour autant en
éclaircir l’opacité.
Quelques trouées, cependant, aidèrent à exprimer ce
mal pernicieux, tel une radioactivité qu’on voudrait circonscrire.
Quelques mots seulement, puis d’autres, bout à bout, pour une piste de
réflexion, une amorce de discernement, notamment sur la bataille
intérieure entre l’esprit et la chair, parce que la religion,
l’éducation vouent aux gémonies la nature animale d’un Homme qu’on
voudrait plus majuscule que commun. Et quand ces pulsions vitales
déstabilisent et provoquent la guerre, quand les frustrations, la
vivacité des sens, les sentiments refoulés ne peuvent aboutir que sur
des remords et que l’ascétisme et l’abstinence sont synonymes d’une
inaccessible pureté, avec une parenthèse furtive pour ces parfaits d’un
catharisme qui se réfugia justement, dans les Corbières et le piémont
pyrénéen, je fuis, je cingle, toujours poussé vers un nouveau rivage
(1), un nouveau mirage, inconnu, mystérieux, serait-ce en vain. Un jour
pourtant, tandis que j’acceptais et apprivoisais peu à peu celui que je
fus, acceptant ma nature profonde en tant qu’atout, plutôt que de la
refouler, la bloquer en congestion mentale pathogène, une impulsion
venue de loin, aussi profonde qu’impérieuse, m’a sommé de lire le mot
"CYTHÈRE", en grosses lettres. Inquiet et rassuré à la fois par la
performance inconcevable de ma cabosse, je me suis glissé alors dans le
sillage d’un Baudelaire, lu jadis, mais en surface seulement. Je le
retrouve alors, fétide, dans « Un Voyage à Cythère » :
« ... Ah ! Seigneur ! donnez-moi la force et le courage
De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût ! »
Ces vers qui expriment, contradictoirement, un asservissement mental et
aussi le chemin pour s’en affranchir, concluent un tableau sinistre
qui, jusque là, provoquait chez moi une farouche dénégation. je pensais
en être débarrassé or ils restent ainsi inscrits en moi, à mon insu,
indélébiles, conservant à jamais l’emprise irrésistible d’un auteur au
génie tourmenté de lucidité brute. Baudelaire, dont j’ai choisi de
suivre le délire, mais de loin seulement, me laisse, cinquante ans plus
tard, entre désintégration et régénération intimes, originelles, la
prétention fragile d’être, en tant qu’être parmi les êtres, une fleur du
mal parmi les autres.
Tout cela s’apparente à de la psychanalyse
de cuisine. Peu importe, en fait, tant que l'illusion de tirer
profit de l’effet placebo de ce parcours "psychaotique" demeure.
(1) dans quelle mesure pourrait-on évoquer Lamartine et "Le lac" ?
photo : Pic de Bugarach en hiver / googleimages / wikipedia / réutilisation autorisée.
Plutôt que "Ces vers... conservant à jamais... ", je corrigerais en "Ces vers... confortant à jamais...".
RépondreSupprimerUne amie me dit que le Pic de Bugarach a un air d'Uluru (Ayers Rock pour ceux qui ont du mal à reconnaître la culture aborigène). Que répondre sinon qu'il est plus facile et moins onéreux d'aller dans les Corbières qu'au beau milieu des déserts australiens ?
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