mardi 31 octobre 2023

GOLFE de FOS ou GOLFE du LION ?

Henri Bosco, lui, plus à l’est de la Camargue, entre l’embouchure du Grand Rhône et le Cap Couronne, fait-il référence aux pointus quand il parle des  balancelles ” ? 

Henri Bosco Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Souricette-du-13 2014

« Le golfe du Lion
Est piqué tout entier de balancelles roses
Qui traînent des filets immenses ou qui posent
çà et là des nasses de fond.
C'est le printemps, la mer est tendre,
Elle monte, elle va s'étendre
Jusqu'aux îles du Rhône où vivent les taureaux,
Puis sous les amandiers, les mûriers et les figues,
Jusqu'à l'étang de Berre où le bleu de ses eaux
Bat la colline des Martigues. »

Henri Bosco (1888-1976). 

Fos_sur_mer_-_panoramio  2007 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author markoz66

« Non mais tu rêves, dit une voix peu amène, tu les vois où les voiles et les barcots des pêcheurs ? entre la dizaine de grosses coques, à l’ancre dans le golfe, qui fument et polluent même à poste, l’étrave face au Mistral, à attendre ? Port-Saint-Louis-du-Rhône, c’est des conteneurs, du pétrole, de la pétrochimie... Fos-sur-Mer, une trentaine de sites industriels des plus dangereux, classés Seveso 2, du gaz, du méthane... En corollaire, pardon pour le mot lorsqu’il s’agit de victimes et que dire “ victime collatérale ” traduit une hypocrisie sans nom, cynique au possible, sous-entendant que ce serait indirectement alors que les maladies rares, les cancers deux fois plus nombreux que la moyenne sont directement liés à la pollution par des métaux lourds ! Port-de-Bouc ? l’industrie chimique, par le passé, la construction navale... et en face Lavéra, du moins son port pétrolier... Tu vois, poursuit la voix, nous sommes loin du tableau de Bosco, des poissons aujourd’hui disparus, morte la criée de Port-de-Bouc, finie la morue séchée Cabissol, disparu le demi-quintal d’avant de poutargue de Martigues, encore par « Le Pêcheur de Carro » entre 1976 et 2010, même si un couple a redonné un coup de jeune à cette activité originale.

Joli ce pluriel de Bosco : “ ...la colline des Martigues... ”

dimanche 29 octobre 2023

Encore DAUDET Alphonse... sur la Camargue, pour toujours.

Qui essaie de cultiver un art se nourrit de tout ce qui s'est fait avant lui comme un arbre se nourrit des couches de feuilles mortes des saisons passées sans lesquelles il lui serait impossible de pousser...

Arles 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Chensiyuan

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa  lettre ” « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /... 

Camargue 2017 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Jac. Janssen from Baarlo lb. NL


Saladelles de l'Étang de Vendres 2016

Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. Les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »

Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  

Étang_de_Vaccarès martelhières 1964 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Dr Mary Gillham Archive Project

Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhodanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »

Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Vivre c'est aimer. Merci, monsieur Daudet !