jeudi 31 octobre 2019

LA SARDO, le festin de fin des vendanges ! / les vendanges à Fleury.

La récolte rentrée, la tradition voyait le propriétaire payer le repas de fin des vendanges à ses employés. Une tradition déjà passablement mise à mal dans les années soixante.
Le nom de ce repas "La sardo" restait pourtant. On peut lui associer sa version empreinte de religiosité, le "dièu lou vol" (n'allez pas me chicaner en corrigeant "diu", "dius", "dièus", "dio", ou encore "diou"... ).

Dans son livre sur le canton de Coursan (Vilatges al Pais / 2005) Francis Poudou et les habitants relèvent (page 94), "Lo Dius o Vòl" :

"Lo Dius o vòl.
La dernière charrette fleurie, les vendanges se terminaient par une fête que l'on appaelait "Lo Dius o l ! (Si dieu le veut on se retrouvera l'an prochain) (1), repas ou goûter pris en commun et généralement offert par le propriétaire."

Dans "Les Vignes de Sainte-Colombe", Christian Signol écrit :

"... Le dernier soir Charles Barthélémie accorda le "Dieu-le-veut", l'ultime festin destiné à récompenser la vaillance des vendangeurs. Comme c'était la coutume il y eut des mets exceptionnels : bouilli aux câpres, boudin noir et fricassée de volailles, puis des chants, des danses, des rondes et des farandoles qui se perdirent dans les vignes pour de mystérieux adieux..."

Signol évoque avec pudeur les suites sensuelles de ce repas festif. Jean Camp, lui, s'attarde sur une symbolique plus païenne du repas de fête partagé :   


"... Demain nous mangerons la "sarde", tous assis à la même table. Je paie le rancio à tout le monde. Placide, au barricot ! [...] De la charrette qui vient d'arriver et qu'on a laissée au bord du chemin, les hommes tirent planches et tréteaux, et dressent une longue table à peine branlante. les bancs s'alignent tout au long. Puis viennent les corbeilles débordantes de lourds pains ronds, les grands paniers de fricassées, les jattes de volailles rôties, fleurant le romarin, les cassoulets figés qu'une flambée de bois sec va faire ronronner tout à l'heure, les soupières de salades vertes où s'entassent l'anchois pilé, les œufs durs, les tomates douces, l'huile, le poivre, le sel, les piments rouges et les "chapons" spongieux frottés d'ail, les panerées de coques légères saupoudrées de sucre, les flans tremblotants, les crèmes onctueuses et les débordements de raisins fins : muscats déjà ridés aux grains poisseux de miel, chasselas ferme à la robe nuancée, "terrets" blonds de peau épaisse mais de parfum franc, grappes de malvoisie au goût de violette, picpouls énormes et blanc-vert, et même, mêlé aux aristocrates de la table, le modeste et juteux aramon, le roi de la plaine, avec ses prunes serrées d'un beau noir, son jus clair, sa chair tendre et sa généreuse abondance. 

Cassoulet Carcassonne Wikimedia commons Auteur BrokenSphere
Un tonneau de cinquante litres est hissé avec précaution jusque là et calé contre le portail. Le régisseur y met cannelle mais veille à sa sécurité. Puis, les petits barrils de vin blanc, de vin vieux, s'accotent près de lui. Enfin, pour le dessert, les bouteilles pansues de rancio qui mettront le feu aux joues des dîneurs.
Les femmes ont retroussé leurs manches et leurs jupes. Accroupies devant des foyers improvisés, elles réchauffent les potées de légumes, les marmites où chantonne bientôt la graisse fondante. D'autres battent la salade ; d'autres couvrent de branchage fin les desserts qui ont attiré un vol de mouches et d'insectes..." (à suivre)

(1) une interprétation qui en vaut d'autres...

mardi 29 octobre 2019

FIN DES VENDANGES / Les vendanges à Fleury.

Es houro, il est temps de fêter la fin des vendanges avant que les châtaignes et le vin nouveau ne viennent tout bousculer. D'autant que les intempéries peuvent s'en mêler avec les fameux épisodes jadis dits cévenols et plus justement appelés désormais "méditerranéens" (1).

"... Fin des vendanges… mais pas pour tous : « Ah ! tu dis “Aro pot plouré !” (Maintenant il peut pleuvoir NDLR). Et moi qui n’ai pas fini de vendanger ! Je m’en souviendrai l’an prochain ! »..." Caboujolette : 2008 / François Dedieu. 


Dans "Vin Nouveau", Jean Camp a décrit ce dernier voyage :

"La dernière charretée de vendange.
La dernière charretée de vendange arrivait dans une gloire de poussière et de feuillage. Les trois chevaux aux colliers pointus tiraient à plein poitrail dans un carillon de grelots de cuivre avec les pompons rouges chasse-mouches, des rubans aux gourmettes, des houppettes de tamarin fleurissant les rênes sous l'entrelacement des touffes de roseaux et de pampres verts.
Sur la charrette, les comportes étaient cachées par des branches de saules et de sarments feuillus. Par-dessus, deux longues planches faisaient unsiège dur mais solide aux vendangeuses qui, de la vigne dépouillée au cellier regorgeant, semaient sur la route leurs refrains, leur gaîté et leurs sonores bavardages.
Les hommes suivaient, par derrière, accrochés aux ridelles, traînant les seaux, la masse de bois à l'épaule, la chemise échancrée sur la gorge velue et barbouillée de jus violet... Leur barbe de huit jours trouait leur peau tannée et leur donnaient l'air de brigands. Ils répondaient à tue-tête aux chœurs des vendangeuses qui rythmaient le chant aux cahots de l'équipage.
Les larges câlines pendaient dans le dos des coupeuses; Quant au charretier, la verge de son fouet était tressés de fleurs et il fallait voir comment claqua sa mèche en arrivant aux premières maisons du pays.
Les belles vendanges ! Pas une goutte de pluie pendant vingt-cinq jours, pas trop de moustiques, pas trop d'à-coups !... le dernier convoi apportait aux cuves les dernières comportes. Demain, la fête traditionnelle de la fin des vendanges. Un coup d’œil au ciel dégagé semblait dire : "A présent, qu'il pleuve ! Mon vin est à l'abri."

Fin des années cinquante... Jour d'automne... Depuis le préau de l'école, malgré la punition latente, à bout de bras, je me suis haussé au-dessus des carreaux dépolis du bas des fenêtres pour voir passer un chariot qui chantait. Les comportes étaient bien garnies de feuilles de vigne. Grisaille dans le ciel. C'est le tableau qui me revient quand on évoque la fin des vendanges. Je n'ai pas été pris... 

(1) Depuis 1958, l'Aude a connu 99 épisodes avec plus de 120 litres d'eau au mètre carré, dont 27 en octobre. Proches de nous, parmi les plus marquants, en novembre 1999 dans les Corbières et jusque dans la plaine de l'Aude (36 morts, 623 mm d'eau à Lézignan en 24 h, pratiquement le total annuel !), l'an dernier à Trèbes, 15 morts. Celui que nous venons de subir (mercredi 23 octobre surtout) a déversé 187 mm de pluie à Narbonne et 241 à Béziers (à Fleury, comparativement comme à Béziers).