vendredi 7 septembre 2018

VOYAGE EN TCHÉCOSLOVAQUIE (10) / Franconie… avanies et framboises…

Le passé est aussi médiéval en Allemagne mais plus c’est loin, moins la barbarie choque à moins que nous ne considérions, finalement, la cruauté des us comme une norme obligée avec des pics plus terribles encore, périodiquement… C’est ainsi que les hommes vivent ! Et nos enseignants, à force de professer la culture, la face claire d’une civilisation, préparent-ils à cette réalité ou entretiennent-ils, sans le vouloir, les mirages ?

Nürnberg, les contextes historiques s’y télescopent et plus encore quand la trajectoire personnelle s’en ressent. Je pense à cette camarade de maman, obligée d’y aller travailler et qui trouva la mort, à vingt ans,  sous un bombardement. Je revois mon grand-oncle Jan, sommé, en tant que responsable de fabrication, d’aller régulièrement y prendre les ordres de l’occupant nazi (1939 – 1945).

En ce 31 juillet, contrairement aux autres fois, les camions sont moins nombreux, eux qui me redoublaient dans les côtes. Ils semblent plus respectueux de la vitesse limite aussi. Moins de trafic ? moins d’échanges ? Et des plaques d’Europe de l’Est, Pologne et Tchéquie surtout avec quelques Roumains ou Hongrois, quelques Baltes parfois. Est-ce une histoire de chauffeurs moins payés vu que les Allemands sont en minorité et que nous n’en avons pas vu un seul immatriculé en France ?
Photo Florian Dedieu.

Sur l’autobahn, les abords des parkings simples restent des zones de déjections mais ceux équipés de wc sont propres, bien tenus. Les poubelles ne débordent pas. Une recommandation, en allemand, en anglais, en polonais, en tchèque, informe qu’en raison d’une fièvre porcine venue d’Afrique depuis 2014, ne touchant pas l’homme mais dangereuse pour les sangliers, les porcs d’élevage et se transmettant avec les restes alimentaires, il faut absolument jeter ses ordures dans des sacs fermés. Sinon, même aux marges du monde slave, il reste l’inscription « PISSOIR »… le français, langue officielle, et pas seulement pour les JO …   

A partir de Nuremberg, avec les premiers panneaux « Praha », « Plzen 200 km », seul le paysage qui défile  marque. Au fil des voyages chacun des principaux intéressés tait, a tu ou taira ce qui viendrait ternir la joie des retrouvailles. Seule compte, emblématique du retour aux sources, du refuge ultime, protégeant nos êtres chers, la sombre forêt d’épicéas, réfractaire aux frontières administratives, marquant de son sceau chaque moutonnement à l’horizon.
Alors on a gardé pour soi la proximité de Nürnberg, seconde ville de Bavière, ville d’empire, des pages d’histoire presque millénaire dont celle, noire, du national-socialisme, qui lui a valu d’être pratiquement rayée de la carte et de servir de cadre aux procès des criminels nazis. Plutôt parler des jouets, du graveur Dürer, des pains d’épices et des crayons.
VohenstraußKriegerdenkmal monument aux morts Wikimedia Commons Author Allexkoch

Plus loin, Vohenstrauβ avec son « sz » gothique final, dernier gros bourg avant la frontière tchèque. Une esplanade centrale, arborée, avec un monument aux morts, bordée par des commerces. Une fois, tonton avait demandé une lame de faux en acier qu’il voulait allemand ; plus loin nous n’aurions plus trouvé. Une autre fois, c’était une fête de la bière avec des chopes vides qui volaient bas sous le chapiteau ! En 2012, avec à peine un degré le matin, les affiches d’un concert ; comment il s’appelait l’Autrichien domicilié en Suisse, celui qui avait gagné l’eurovision ? Mais si, « Merci chérie » il chantait… Ah oui, Udo Jürgens, décédé en 2014, à 80 ans…

Udo_Jürgens gagnant Eurovision 1966 Wikimedia Commons Author Anefo
Vohenstrauβ… Apprendre plus tard, trop tard, à sa grande honte, qu’à vingt kilomètres à peine, dans ce secteur proche de la frontière, existait un camp, Flossenbürg… Pour Dachau, je savais, choqué que j’étais (années 60) que le nom puisse toujours figurer sur les panneaux routiers, mais là, si proche de la route des vacances, des retrouvailles, des étés légers et ne l’apprendre qu’à un âge déjà avancé…
Wikipedia présente cette commune de l’Oberpfälzer Wald (Forêt du Haut-Palatinat) en tant que lieu de vacances, dominé par les ruines de la forteresse des Hohenstaufen. Le romantisme et Wagner, pas moins ! Plus loin, il est indiqué que Flossenbürg est connue pour son granit, des carrières qui peuvent être visitées… Les pierres destinées au gigantesque cadre architectural dédié aux grands rassemblements nazis de Nürnberg viennent de là.

« … C'est ici que de nombreux prisonniers des camps taillèrent les pierres… » (Wikipedia).

Des victimes par milliers dont quelques personnes connues et à la fin des marches de la mort...
J’ai déjà dit que l’unique coupable est l’homme, capable, d’où qu’il soit, d’où qu’il vienne, planétairement, des pires horreurs. Je pense qu’il est foncièrement malhonnête et trop facile de généraliser, d’accuser un peuple mais de là à effacer, à prôner l’oubli, à faire comme si… 

Stadthalle_Vohenstrauß Wikimedia Commons Author btr Permission GFDL

Vohenstrauβ… un grand parking toutes commodités pour les camions voyageurs avec des framboises tout au long de la haie. A côté d’une halle municipale avec un concert en plein air, dès le matin et quel orchestre ! Quand ils le veulent, les hommes peuvent être bons et accueillants…   

Framboises Wikimedia commons Author Dinkum

mardi 4 septembre 2018

VOYAGE EN TCHÉCO (9) / Du Schwarzwald à la Souabe âpre.



Brigach_(right)_and_Breg_(left)_forming_the_Danube_at_Donaueschingen, Wikimedia Commons, Author Cuestarafael

Sous un bleu éclatant, la Forêt-Noire entretient encore un teint pimpant de montagne. L’air semble plus léger même si l’altitude reste modeste (850 m.). A Löffingen, nous ne sommes plus qu’à 600 mètres environ. Arrêt pour quelques courses, l’eau surtout. Départ à 11h 40. La ligne de partage des eaux est bientôt passée puisqu’un pont franchit le Danube, deuxième fleuve européen, de la Forêt-Noire à la Mer Noire. Mais cette année, la navigation est stoppée en Allemagne et en Autriche et son niveau est bien bas, sous le Pont des chaînes, face au Parlement de Budapest. 
 
Zimmern (Immendingen) 12h 10. L’air est plus lourd comme un temps d’orage mais dans un ciel bleu aveuglant, sans les nuages noirs et chargés. 20,02 l GO à la mauvaise pompe pour poids-lourds… l’embout est trop gros, il en tombe par terre. Mauvais choix (1,299 €/L, 26,01 euros).

Cela devrait ressembler à un Jura Souabe mais ne seraient les maisons d’un autre style, avec la poussière rousse qui suit et monte autour des moissonneuses et des tracteurs, on se croirait plus au sud. Où sont ces nuances de verts avec le gras des foins sur les coteaux, les vergers charnus, ces paysages si bien transmis par les documentaires d’Arte ? Désormais, la campagne apparait blanchie, souffrant plus de la sécheresse persistante que des fortes chaleurs et de la canicule.

Une grande différence néanmoins, les panneaux solaires très présents sur les toitures et même des armées de miroirs voltaïques bien rangés sur de vastes espaces, en campagne. Concernant le nucléaire nos mandarins patentés mettent en avant une indépendance énergétique fragile concernant nos stocks d’uranium alors que nous devons déployer l’armée au Sahel pour garantir la ressource à plus long terme. Le pouvoir jacobin et ses cercles formant l’autorité centripète se doit, pirouette classique, d’allumer alors un contre-feu. De reprocher le recours au charbon outre-Rhin permet de jeter un voile pudique sur le peu de cas qui est fait chez nous des énergies renouvelables.
 
Château Sigmaringen Wikimedia Commons Author Rainer Halama
L’itinéraire s’écarte de la vallée du Danube sans que nous allions contre. Sans doute, ce ciel trop bleu, ce temps trop peu conforme à ce qu’il devrait être. Et puis, ce n’est pas plus mal de ne pas passer à Sigmaringen, enclave extraterritoriale de Pétain et des Vichystes en débandade dont ce putanier de Céline trouvant encore moyen de mettre à profit cette branlée finale pour un bouquin en 1957 ! Alimentaire, mon cher Gallimard ! Confirmation de l’esprit dérangé et déconnecté de Pétain, sa propension à installer un protocole (promenade, réceptions) alors que la nourriture à base de choux rouges et verts donnait la chiasse à son millier de collabos trimbalés dans les fourgons de la Wehrmacht en déroute !  

Erbach aux portes d’Ulm, comme ces localités au N-O d’Ulm, séjour d’Erwin Rommel, le renard du désert, sommé, lui, contrairement aux renégats français trop nazi-compatibles, de mettre fin à ses jours pour avoir été proche des conjurés contre Hitler. N’en déplaise à ceux qui, sur Avox même, confondant vengeance et justice, voudraient tourner une page sans l’avoir lue jusqu’au bout, sans en tirer la substantifique leçon sans laquelle le « plus jamais ça » ne veut plus rien dire. Un point néanmoins mais essentiel, indispensable à mon avis, à savoir que tout humain n’est pas assuré contre l’abjection et que, plutôt que de mettre à l’index un tel ou tel peuple, mieux vaut entretenir la conscience en prévenant de ce qui n’est pas guérissable… De ce point de vue, depuis 60 ans que je passe par l’Allemagne, je vois une communauté d’humains, à laquelle j’appartiens, dans un incubateur planétaire où peuvent fermenter, avant les bonnes si poussives, les plus mauvaises et nocives projections, si promptes et brutales, elles…

Erbach, 14h 20, 270 kilomètres seulement depuis Mulhouse… 55,3 l de GO, 1,259 €/L,  82,61 euros. Citronnelle pète et éructe avant de bien caler sa combustion : certainement les injecteurs ! A programmer avant l’été 2019 si l’État macronien, à moins de faire de nous des hors-la-loi, daigne nous laisser rouler encore un peu plutôt que de nous accabler de doubles peines au carré…   
Ulm 2012.

Ulm 2012.

Ulm, la « cathédrale » dont la flèche est la plus haute du monde. Symbole de racines chrétiennes cannibalisées, en Europe, par un monothéisme plus récent, plus corrosif. Ulm, une cathédrale entre guillemets, appartenant aux protestants : elle semble une coquille vide.

L’autoroute à présent, d’abord pour la pause-déjeuner conclue par un café bien serré, ristreto non espresso mais expresso sans pression, enfin un café italien mais maison, doublement dosé quand même… Cap au nord ; le hasard nous fait doubler la ville de naissance du Generalfeldmarschall Erwin Rommel, qui parlait avec un si fort accent souabe. La Bavière, l’Autriche, traînent, d’après ceux qui croient ne pas en avoir, ce défaut majeur. A plaindre disait Zamacoïs, le poète, à propos de ceux qui croient :

« … Avoir l'accent enfin, c'est, chaque fois qu'on cause,
Parler de son pays en parlant d'autre chose !... »