dimanche 14 mai 2017

CHRONIQUE D’UN DÉPLACEMENT PRESQUE ORDINAIRE (fin) / Mayotte, La Réunion, Métropole

 



Ça m’a un peu coupé la nostalgie de Mayotte et lors du décollage, c’est tout juste si j’arrive à me dire que nous sommes si peu de chose, qu’une île, une petite terre perdue dans l’océan peut porter la vie, être la vie... notre maison me paraît si fragile mais si rassurante, le jardin, tout ce que ta mère peut rapporter des champs me semble dérisoire et formidable à la fois et entre les bambous, les manguiers, les bananiers, les champs de manioc, les pois d’Angole fleuris de jaune, je te vois, mon fils, partir le cœur léger vers ton collège en haut de Sada. 

 



Tu sais, avant de partir, j’ai tenu à prendre des photos... On dit souvent que la sincérité du cœur n’a pas besoin de ces images et qu’au contraire, leur soutien ne répond qu’à une faiblesse. Et pourtant, si tu savais comme, par exemple, elles aident la mémoire à ne pas dérailler. Je regarde souvent celles, en noir et blanc, du Brésil et soixante ans plus tard, elles m’aident à ne pas tricher avec mes souvenirs, elles confortent aussi ce que les sensations ont de vrai... Alors, j'ai pris aussi le lagon, la barrière de corail, la ligne des monts aux pieds desquels nous abritons l’amour qui nous cimente. 1998, je laissais le sourire aimé de ta mère et la vision de Chissioua Mbouini, l’îlot du sud, dernière terre à défiler dans le soleil couchant, entretient à jamais mon sentiment. 

Mystère du grand océan pourtant sillonné par ces thoniers senneurs du pillage irraisonné. Tu me demandais s’il y avait des orques dans nos parages. Oui, on en voit... sauf que, dans ces eaux chaudes et pauvres, leurs troupes ne font peut-être que passer. 


 
 


Madagascar, terre des hommes. On ne saurait voir un rivage sans émotion. Et cette baie qui pénètre telle une large virgule australe, n’est-elle pas liée à l’élevage des crevettes ? Ensuite ce sont ces rivières ocres des sols qu’elles emportent ; elles serpentent entre des bancs de sable. Madagascar, île rouge des forêts disparues où même les lémuriens, si emblématiques, sont désormais menacés. Côte Est, l’empennage sagittaire d’une flèche imaginaire tendue sur le cordon de Nosy Boraha, l’île Sainte Marie. Plus au nord, l’année a été plus marquée par les cinquante morts du cyclone Enawo que par les traditionnels letchis de l’été austral. 

 

La nuit monte de la surface déjà obscure des eaux. Elle va rattraper les ultimes lueurs rosées plus haut dans le ciel. Et sans l’électronique, serait-il facile de trouver La Réunion ? A dix-mille d’altitude, et avec le Piton des Neiges à plus de trois-mille mètres, l’île est visible dans un rayon de 400 kilomètres environ. Avec une boussole, même les pionniers de l'aviation l'ont trouvée... Trois-quarts d’heure après, les lumières du Port puis la route du littoral où les voitures bouchonnent en attendant la nouvelle voie suspendue au-dessus de l’eau : des lumières clignotent pour signaler les piles pharaoniques des nouveaux aménagements. Après le Barachois de Saint-Denis, ourlé de lumières, atterrissage à Roland Garros. 


L’aéroport : plein et en travaux pour accueillir encore plus de gens. Les périodes creuses semblent ne plus exister que de nom, les congés se prennent à longueur d’année, les avions sont remplis à 70, 80 %. ce soir, deux vols pour Paris et un troisième pour Bangkok...
 
Dire que c’est d’ici, ton île de naissance, que tu as commencé à t’envoler vers la métropole et Mayotte. Tu sais combien j’aime les chansons de Brassens, pourtant il y en a une qui me déplaît, celle des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part », imbéciles, d'après lui, car méprisants, chauvins, cocardiers, fiers même de leur crottin... un parti pris trop distordu et subjectif que je récuse... Savoir qu’on est né quelque part nous inscrit dans la course de la planète, dans celle des siens, de sa famille ; c’est aussi important que d'avoir des parents. Et comment, tout à l’heure, avec l’île qui se dessinait sous mes yeux, ne pas te revoir bébé et pour tes cinq premières années dans ce qui fut pour nous un havre de vie ? Mais quelle mouche avait piqué Brassens pour cette chanson ? 

Riz froid salé sucré avec de l’ananas en entrée. Encore du riz avec des morceaux de filets de poulet en sauce. Très bon malgré la redite. De l’edam de l’autre pays du fromage, « skyteam » oblige, (remarque que sur KLM ils servent du cheddar anglais). La bière ? de ce même pays des tulipes parce que la Dodo, quand on décolle de la Réunion, n’a pas la faveur d’Air France. Correct le café, néanmoins, jadis dégueulasse !

Survol de la Somalie, de l’Ethiopie, un écart pour éviter la Libye où l’Occident a semé le chaos. Remontée le long de la botte italienne puis les Alpes, le Léman et cerise sur le gâteau, ce qui ne m’est jamais arrivé, alors que le trop-plein de pavillons, d'immeubles, d'ensembles, de villes qui se touchent défilent sous l'aile, le commandant Jobard (peut-être sans "d" à la fin) a posé le 777 en effleurant la piste sans qu’on ait pu dire quand eut lieu le contact avec le sol. Super !  

Orly Ouest. Un grand escalier à la soviétique tout encombré. Je comprends que les escalators sont à l’arrêt pour ne pas engorger davantage. Des oiseaux se font entendre, je lève la tête vers les poutrelles du plafond, étonné d’entendre des passereaux et pas seulement de simples moineaux. Mais avec les cris de mouettes, je réalise qu’il s’agit d’une bande son qui sort des hauts-parleurs. C’est le contrôle des passeports avec trois guichets ouverts sur sept ; des hôtesses veillent pour faire passer en priorité ceux qui ont une correspondance à prendre sans lambiner. 
 
   

C’est un Bombardier de la filiale Hop qui nous emmène vers Perpignan. Étonnant le bruit des réacteurs, plus celui d’un micro-onde ou d’un moulin à café et pourtant, une heure cinq de vol seulement. J’ai noté un château, un hippodrome, une péniche, une autoroute qui fait des coudes brusques, une rivière aux larges méandres, des serres, le camaïeu de la terre nourricière : quatre tons de vert au moins, ponctués ça et là, d'un champ labouré. Ensuite, plus rien ne sera visible avant l’étang de Canet-en-Roussillon et Rivesaltes le terminus. La mer de nuages parfois dense comme la laine neuve d'un matelas. 
  


Le Sud aussi est sous les nuées venues de la mer. On descend directement sur le tarmac, on attend les bagages avec les accueillants. Ton oncle est là et il ne reste plus qu’à remonter vers l’Aude. 

Je vois que tu es passé chez le coiffeur ! Tonton a fini le boulot d’Eliès... tu as confiance de confier ta tête au cousin qui a à peine douze ans. Joli résultat, ça te va bien !
Pense à ton topo sur "San-Pedro-de-la-Mar".
Gros poutous de ton papa.          

CHRONIQUE D’UN DÉPLACEMENT PRESQUE ORDINAIRE / Mayotte, La Réunion, Métropole


Bonjour mon fils,
j’espère que tu vas bien et que ta semaine de classe s’est bien terminée. A propos d’école, si ça ne t’embête pas, tu prendras ta rédaction en espagnol sur le marché de "San-Pedro-de-la-Mar" que papi aimerait te l’entendre lire.
 
Sinon, deux jours déjà sont passés et pour ne pas te dire que tu me manques, je vais te raconter ce voyage.
 
Oh, je sais, depuis plus de vingt ans que je fais des allers-retours, moi-même j’ai tendance à penser que ce n’est qu’un trajet de plus. Pourtant, chacun a sa particularité, sa part d’imprévu.
 



D’abord, puisque c’est si compliqué de rejoindre l’aéroport depuis la brousse, il faut bien que je revienne sur mes habitudes. C’est vrai qu’il ne fallait que trente minutes pour rejoindre la capitale avant... et vingt ans avant, on parlait en temps de route et non en kilomètres à parcourir. Aujourd’hui, pour faire ces mêmes trente bornes, il vaut mieux compter quarante cinq minutes et carrément une heure quand on a un avion à prendre. Alors, avant-hier, nos quarante minutes étaient plus que justes, me mettant, qui plus est, à la merci du moindre incident comme une crevaison (vous avez pensé à contrôler la pression des pneus ?). 



Là, cette Renault qui se traînait à trente à l’heure et qu’on a dû se coltiner sur une bonne moitié du parcours. Heureusement que la barge aussi était en retard et que malgré mon chargement, j’ai pensé à ne pas rester en arrière au cas où ils auraient à limiter le nombre de passagers ! 





Pour le taxi encore tout s’est d’autant bien goupillé que je ne me suis pas laissé impressionner par ce poids terrible dans mes mains.
En chemin, nous avons laissé le fils Bamana, l’intellectuel, aux studios de Mayotte Première. Nous nous sommes salués... il n’y aurait la surpopulation due à l’immigration, tout le monde se connaît... je parle des anciens, de ceux qui restent et entretiennent l’idée du microcosme. 

A l’aéroport, nous n’étions qu’une dizaine dans la file mais pour un seul comptoir... 35 minutes de patience donc... j’ai rassuré un monsieur qui craignait de ne pouvoir enregistrer alors que nous n’y étions pour rien. Souriante, la dame demande si j’ai bien le droit d’emporter deux bagages. Accommodant mais non sans confiance je précise que j’ai pris soin de lire, de relire les détails du billet et qu’en cas d’erreur je lui offre mes avocats en trop. Elle les aime, dit-elle en poursuivant l’enregistrement. Avec les cartes d’embarquement et le passeport, elle confirme que je n’ai pas fait erreur, que je n’ai rien à lui céder des 49 kilos d’avocats, de citrons, de courges... Nous sommes bien de la campagne et attachés à la terre. Et moi qui me sentais faiblard pour une quarantaine de kilos ! 


Puis j’ai bien pris soin de sortir l’harmonica qu’ils prennent toujours pour un chargeur de je ne sais quelle arme ! Je range l’ordi, je remets la ceinture, la montre, la banane, les papiers (cette fois pas les chaussures) quand le haut-parleur se met à grasseyer « Les voyageurs ....ova et Dedieu sont priés de s’adresser au personnel de l’aéroport...» La dame du contrôle me renseigne, montrant dans mon dos : « Il vient vous chercher...»
 
Et c’est bien un policier qui me demande de le suivre
« Vous savez ce que vous avez dans vos bagages ? ».
- Oui, je sais...je n’ai rien de spécial... Je pense à  ce que j’ai sur moi, je reste calme, confiant et je ne comprends pas...
A chaque porte bloquée, il présente son badge et nous descendons dans les entrailles de l’aéroport... deux policiers aux frontières, deux gendarmes et ma valise rouge apparaît... c’est donc un contrôle du chargement en soute... 
- Ouvrez, monsieur s’il vous plaît.
Les deux cartons remplis de courges, d’avocats, de citrons apparaissent, les papiers, les slips et les chaussettes pour caler et amortir, le petit emballage avec le démarreur en échange standard aussi.
- Monsieur, peu de personnes savent que les pièces usagées ne peuvent être transportées qu’exemptes de graisse et d’essence... Avec un cutter, le policier défait le carton si soigneusement ajusté pour que le lourd démarreur ne se balade pas comme une cargaison mal arrimée à fond de cale. Finalement il déclare que la pièce est propre...
Nous repassons les portes bloquées alors que tout le monde embarque déjà...