mardi 26 septembre 2023

Le CAMARGUE du GARDIAN.

Gardians 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Amage9

« C’est le chant du gardian de Camargue, Belles filles attendez son retour... Gardez vos belles fermement... il vous sourira... vous prendra dans ses bras... votre cœur dira oui par mégarde... » ... et l’amant ira se faire voir ! Malgré la voix mielleuse de Tino Rossi, cette chanson en dit beaucoup des mœurs de l’époque, du machisme, du rang inférieur de la femme ravalée à un statut animal... un butin, une femelle bonne à prendre, à domestiquer ! La chanson figure dans le film « Le soleil a toujours raison », paroles de Jean Féline (1908-1945), musique de Loulou Gasté (1908-1995), elle date de 1943... emblématique donc de l’état français de putain et de ceux en vue dans la collaboration... Tino Rossi, Micheline Presle, et Brasseur, Delmont, Montero, et Blavette et Moulin... enfin, Amouroux l’a écrit : « Quarante millions de putainistes »... 

Camargue_horse 2007 Domaine public Author TwoWings

Il est vrai que le gardian illustre un mythe ; il est représenté à cheval, l’animal qui a si bien valorisé l’autre animal qu’est l’Homme. L’Histoire alimente le mythe, par exemple avec les Numides, les Huns, la Horde d’Or, les Cosaques ; ensuite, il suffit de faire référence au cow-boy de l’ouest “ américain ”, au gaucho de la pampa, au Berbère marocain pour son baroud lors de la fantasia (tbourida) sinon à l’éleveur mongol descendant des khans Gengis, Koubilai, Tamerlan génocidaire... pour en arriver au gardian, dans un registre heureusement apaisé... La curiosité pour les gardians de Camargue va de pair avec l’intérêt porté aux chevaux du delta. Que serait-il sans le cheval ? un simple bouvier armé d’un bâton... Que serait l’Homme sans le cheval ? Certainement pas ce qu’il est devenu...  

LE CAMARGUE.     

Ce petit cheval gris clair adapté à l’hiver, à l’été, au vent, aux insectes, à la poussière, aux sols mouvants. Il mesure entre 1.35 et 1.50 m. au garrot, pèse entre 300 et 500 kilos ; gris clair, sa robe qu’on croit blanche a de positif qu’elle attire moins les insectes (l’Homme a bien sûr favorisé cette disposition naturelle mais tous les essais de croisement pour un équidé plus grand, plus fort, ont échoué, les améliorateurs introduits ne résistant pas longtemps au milieu, aux conditions climatiques). Longtemps dépréciée, la race datant de de l’âge de pierre donc pourtant adaptée à son milieu depuis des millénaires n’a vu son standard protégé qu’en 1977.

S’il n’est pas dressé pour travailler, promener les touristes, participer aux fêtes locales, il vit en troupeau libre dans son milieu naturel, un étalon (lou grignoun), susceptible, agressif, menant son harem de femelles. Celles-ci mettent bas sans que l’Homme n’intervienne, le gardian devant alors seulement avoir un œil sur les primipares et aussi s’assurer que la naissance n’a pas pour cadre un endroit dangereux.  Ces juments sont plus nombreuses que les mâles, ces derniers étant prélevés pour le “ travail ”... Le sont-ils pour la viande ? les sources, peut-être par retenue, n’en disent rien... et je crois me souvenir qu’à l’orée des années 60, Arles était connue pour son saucisson d’âne (enfant, ça interpelle quand les mots de Francis Jammes nous touchent... “ J’aime l’âne si doux marchant le long des houx... ” avant que cela ne choque, plus tard). Les hardes côtoient les taureaux sans problème, le “ blanc ” et le noir des bêtes offrant au Monde l’image aussi esthétique qu’appréciée de la Camargue. Une cohabitation pacifique qui a ses limites puisque le cheval sait psychologiquement s’imposer au taureau pour l’écarter d’un coin de bonne herbe notamment. (à suivre)    

vendredi 22 septembre 2023

SUR LES GITANS

Les roulottes, campement de bohémiens 1888 Domaine public Auteur Vincent van Gogh

Jean Proal (1904-1969), écrivain des Alpes-de-Haute-Provence, auteur de romans et d’essais, parle admirablement de ce peuple de la route sinon du vent, dans ses écrits sur la Camargue même si, depuis cinquante ans, sur le plan administratif, le traitement indigne des nomades et vagabonds qu’il dénonce avec justesse, infligé par notre société sédentaire, a finalement évolué. 

Campement_de_bohémiens_en_Camargue scan de carte postale Domaine Public Auteur éd. P. Ruat Marseille

Suspects, soumis aux devoirs, aux contraintes, sans droits, sans carte d’identité, fichés tels des criminels (empreintes digitales, photos de face et de profil), à partir de 1912, les ambulants et nomades de treize ans et plus devaient présenter un carnet anthropométrique où tous leurs déplacements ou leur présence étaient consignés. Tous les jours, le maire, un adjoint sinon le garde-champêtre devaitt le signer pour chaque individu de même qu’un carnet collectif mentionnant tous les membres du groupe. 

Abrogée en 1969, cette disposition concernant “ les gens du voyage ” et non plus “ les nomades ” a été remplacée par le livret de circulation concernant les personnes de plus de seize ans sans domicile fixe depuis six mois au moins. Ce livret, ne permettant pas, notamment, de passer les frontières, a été tardivement supprimé (janvier 2017).

En suivant l’écrivain de Seyne-les-Alpes, nous devons reconnaître que le monde gitan nous reste fermé. Ils seraient partis du nord de l’Inde, arrivés en Europe par, d’un côté, la Turquie, de l’autre, l’Afrique du Nord et l’Espagne. En dehors de cette origine admise communément, la disparité de ce monde échappe, un fait que traduit la cohorte de noms suivant la particularité, la langue, la localisation, ou qu’on leur colle : Gitan, Kalé, Baringrè, Yéniche, Tsigane, Rom, Romanichel, Manouche, Sinté, Bohémien, Caraque, Gypsie, Zingaro, Doms... L’activité traditionnelle les distingue aussi : si les Gitans peuvent être maquignons, vendeurs de dentelles et tissus, les Roms sont forgerons, ferrailleurs, chaudronniers, étameurs, les Manouches musiciens, vanniers, les Sintis montreurs d’animaux, les Kalés potiers, il est impossible de préciser qui sont les “ Bohémiennes ” diseuses de bonne aventure...   

Grand_Gala_du_Disque 1968 Flamengogitarist_Manitas_de_Plata,_Bestanddeelnr National Archiev Commons license Author Ron Kroon, Anefo

On les disait voleurs d’enfants, souvent, non sans raison, on les dit chapardeurs, voleurs de poules, de fruits, bagarreurs, paresseux, menteurs, sans parole, sans reconnaissance, communautaristes, abusant des gadjés, seraient-ils leurs “ amis ”. Qu’est-ce qui en cela relève d’un mécanisme de défense contre ceux qui, même de bonne intention, voudraient les assimiler ? Il n’empêche que plus de confort, plus de besoins, seraient-ils superflus, les rapproche des modes de vie modernes dont la sédentarisation, tout comme, dans un même ordre d’idées, pour réussir, devenir riches, des artistes tels Django Reinhardt, Manitas de Plata, les Gypsies Kings, les Bouglione, Kendji Girac, qui se sont exposés hors de leurs communautés.

Réaliste, Jean Proal a l’honnêteté de relever le positif de leur organisation communautaire régie par des règles strictes : le sens de la famille, le respect dû aux anciens, l’amour des enfants. Avec le pèlerinage pour Sara, la servante des saintes Maries, l’écrivain clôt son propos en citant les vers de Lanza del Vasto (1901-1981) :

 « J'ai ma maison dans le vent sans mémoire,
J'ai mon savoir dans les livres du vent... »   
Le Chiffre des Choses / 1942.  

Tout a vite été bouleversé... j’ai vu encore, au début des années 60, au village, sur la place du Ramonétage, une ou deux roulottes et les chevaux étiques d’un pauvre cirque de passage. À présent, si nous croisons un convoi de caravanes luxueuses tirées par de belles voitures ou des fourgons, on continue à prendre ses distances à l’idée qu’ils vont envahir un terrain communal, en détourner l’eau, l’électricité, le laisser souillé, tout cela pour un évangélisme radical à l’aspect sectaire... 

Grand_Gala_du_Disque 1968 Flamengogitarist_Manitas_de_Plata,_Bestanddeelnr National Archiev Commons license Author Ron Kroon, Anefo