dimanche 10 avril 2022

Chemin d'école (10) la métairie, la borio de la Pierre.

Il arrive que ça vienne, comme d'une source généreuse mais c'est aussi rare que passager ; et là, parce que sur commande, c'est bouché ; en dépit des jours et des jours qui passent, de la confiante patience qui s'y attache, la résurgence ne donne plus... Ugolin et le papé ont aveuglé, cimenté le filet d'eau ; Manon a fait taire la fontaine du village, à force de chagrin contenu. 

Dans un cadre, une ambiance bien du Midi, Pagnol a bien manigancé, bien romancé l'intrigue, quitte à faire passer Jean de Florette pour un demeuré... les grands aussi aiment croire au merveilleux des belles histoires, à tout ce qui va au-delà de la vie vraie. Derrière l'ordinaire des jours, se cache l'extraordinaire. Vouloir le voir c'est passer de l'autre côté du miroir. 

... les voix, je les entends, celle de Jean mon grand-père, celle du cousin Etienne et surtout celle de papa, le passeur...

Devant ce lieu-dit de La Pierre, cette métairie, cette ferme, peut-être une borio (1) en parler du Sud, les mots en occitan de la chanson festive ne me viennent pas aux lèvres. Comment dire, une vanité indicible me fait penser "Vois-tu, je sais que tu m'attends". Un grand n'importe quoi, pardon Hugo, et si je reste "fixé dans mes pensées" c'est pour honorer la vie plus forte que la mort, pourtant inséparables... Comment dire, un recueillement, une spiritualité respectueuse, comme sur l'allée des naufragés, à Notre-Dame-des-Auzils, avec l'inspiration de Valéry pour le cimetière marin "... Le Temps scintille et le Songe est savoir...". Non, pas n'importe quoi, pas n'importe qui, tous de grands hommes d'une humanité harmonieuse, entre ceux qui ensemençaient la terre, ceux qui fécondaient l'esprit et au milieu, l'entremetteur dans toute son immodestie... les voix, je les entends, celle de Jean mon grand-père, celle du cousin Etienne et surtout celle de papa, le passeur... Hier Nougaro disait de même à la télé "Ô moun païs.../... l'écho de la voix de papa...". 

Je cale toujours pour le paragraphe sur mon grand-père Jean mais je vais vous trouver ce que m'en a transmis, mon père... page 144, vous allez voir ! Mince, le livre s'ouvre sur Pantazi, le "Russe" de Pérignan ! Et vlan ! c'est page 45, voilà l'erreur, voilà ce qui arrive aux prétentieux ! Toujours l'allégorie de la peau de l'ours ! Repassons ces lignes qui valent témoignage :   

"... Raymond Grillères nous a vus passer et il est venu lui aussi... /... On en est venu à parler de Marcel Subra.../... A mon tour je lui ai appris que Marcel Subra était né comme mon père aux Karantes. Je l'ai su moi-même le jour où j'y suis allé avec papé Jean et son cousin germain Etienne Peyre. C'est René, le fils d'Etienne, qui était venu nous rendre visite à Saint-Pierre, qui nous y a conduits, jusqu'à cet endroit qu'on appelle "la Pierre". Maison en ruine. Nous étions dans l'ancienne cuisine. 

"C'est ici que tu es né, Jean, lui dit Etienne. Et c'est ma mère qui t'a reçu dans son tablier." Et plus tard, papé Jean, montrant la "maison" d'en face, ajoute : "Et là c'est Marcel Subra qui y est né."

Il fallait monter une pente assez raide pour y parvenir, et mon père, soucieux de précision : "Le papé Simon, à quatre-vingts ans, portait sur ses épaules une grosse balle de fourrage et la montait jusque là-haut !" C'était une autre époque.../... 

Et Raymond m'a dit qu'il venait lui aussi à l'école à Fleury, mais à bicyclette, et qu'il rencontrait souvent à la Chapelle les copains qui venaient, eux, des Karantes.../... "C'est curieux, dit-il. Marmorières appartient à Vinassan, comme les Karantes à Narbonne et nous sommes tous venus à l'école ici à Fleury, et nous avons toujours fait travailler les artisans de Fleury." ..." François Dedieu, Caboujolette p. 45, 2008.

Encore entre parenthèses, Porfiri Pantazi a eu travaillé la vigne à Marmorières, nous le savons grâce au geste de Momond Billès qui y était employé aussi. 

... D'abord deux parties dont il ne reste plus que les murs mais fermées, qui servent de remise au domaine... 

Je découvre les lieux avec seulement en mémoire, le détail de la balle de fourrage, dans ce que m'en a dit et écrit papa. Première réaction : c'est grand, loin de la masure racornie où j'imaginais tant de personnes entassées. D'abord deux parties dont il ne reste plus que les murs mais fermées, qui servent de remise au domaine. 


Ensuite, sous un toit bien qu'effondré en partie, avec les cheminées décapitées par le Cers ou le Grec, l'habitation, là où les encadrements de pierre (il ne reste ni portes ni volets) marquent quatre logements distincts. Sur trois côtés de la bâtisse, ils se partageaient 120 mètres carrés au sol, en gros, peut-être : en bas la pièce à vivre, à l'étage une chambre, c'était souvent la norme. 



Un taillis est arrivé à boucher une entrée, celle qui donne, allez savoir, sur la cuisine où mon grand-père a taché de sang rosé le tablier de sa tante, le 4 juin 1897. Cette pièce comprend un four à pain, du moins, la tablette, la bouche ainsi que le conduit de fumée, imposant et dont la souche résiste encore, en haut à côté des tuiles. De dehors sa construction en tourelle pourrait faire penser aussi à un puits couvert mais le conduit nous fait pencher pour le four. Je n'ai pas osé m'attaquer au barrage végétal devant l'entrée... je reviendrai... comme Mac Arthur... Ils devaient s'entendre pour cuire en commun, et jusqu'à quand ont-ils fait le pain ? était-ce la cas vers 1907, du temps de mon grand-père sur son chemin d'école ? ou le portait-on déjà du village ? 



Un autre foyer, donnant au sud, semble avoir été occupé récemment. Des vendangeurs ? ou pour se mettre au vert, à une vie rustique, couper un peu avec cette mondialisation dévoreuse de bienveillance, favorisant les égoïsmes ? 


Dans le délabrement ambiant quelques déchets laissent l'impression désagréable, et c'est souvent le cas, du passage de malpropres, ivrognes parfois, vandales, ça arrive : des gens peu recommandables laissant malheureusement leurs souillures. Les vestiges du passé  ne méritent pas ce type d'avanies. 


De la maison où est né Marcel, ne reste qu'un chicot de mur. 

1) "... tant que faren atal croumparen pas de borio, tan que faren atal, croumparen pas d'oustal..." (tant que nous ferons ainsi nous n'achèterons pas de ferme, tant que nous ferons comme ça, nous n'achèterons pas de maison). 

jeudi 7 avril 2022

LA FIN DU CHÂTEAU. Bouquets bachiques à Salles-d'Aude... .

 Oh ! sur la droite, un toit mis à bas, des poutres, des chevrons, des tuiles enchevêtrées ! Le grillage de chantier lui-même éventré par des mains coupables invite à aller voir. 
Dans quel état d'abandon s'est trouvée cette propriété ? A-t-elle été vendue ainsi délabrée ? Était-ce faute de descendants ? Et que sont devenues les vignes du domaine ? Dispersées ?


    


En s'approchant, nul doute possible, c'est la cave du château... Enfin, c'était, ce qu'il en reste avec une belle charpente ne méritant pas cette fin... Ne l'a-t-on pas aidée à tomber pour un projet d'avenir faisant table rase du passé ? Ce n'est pas sans rappeler, non loin, sur cette même commune de Salles, la déchéance du château de Céleyran, racheté à fin d'intentions économiques fumeuses par Georges Frêche, président de région, un tant soit peu mégalo, du genre pas gêné de se laisser filmer dès le petit-déjeuner par une valetaille aussi obséquieuse que servile... Versailles et Louis-le-Grand... Résultat : laissé sans surveillance, le domaine lié à la famille d'Henri de Toulouse-Lautrec, le peintre, a subi vols, vandalisme, squats... Inutile d'en rajouter et sur la gabegie et sur l'utilisation des deniers publics... 
  
Elle est imposante cette cave, elle va loin par rapport au portail d'entrée, voisin de l'église, par rapport à la cour aux vieux platanes, peut-être une quarantaine de mètres, des milliers d'hectolitres dans sept à huit cuves de béton étalonnées, numérotées... 33, 34 ? La cave comptait-elle ailleurs des foudres et autres vaisseaux vinaires ? 

Je devrais m'en souvenir or je n'ai gardé en mémoire que le sourire avenant du régisseur, peut-être de monsieur Hue, le propriétaire. Dans les années 70, en effet le château de Salles (1) dont il ne restait que les dépendances vendait du vin à la propriété... 

En ce temps là, lors d'un stage de formation de neuf semaines à Bourg-en Bresse, les joyeux stagiaires du Lyonnais, des Dombes, de la Bresse, de Franche-Comté se liguèrent pour me commander du vin. J'avais bien l'attache à la voiture mais pas de remorque : "On va t'en trouver une !" avaient-ils répondu du tac au tac. 
Je ne vous dis pas comme il passait bien, après la partie de pétanque de la pause, le vin si montré du doigt de chez nous, avec les saucisses de "La Mouche", la cancoillotte de Beucler (de l'Isle-sur-le-Doubs, son prénom m'échappe), le Mont-d'Or de Jean-Marie (pour lui c'est le nom qui ne me revient pas) ! Quatre-cents litres en deux fois, des cubis... Il avait même un peu consolé Sylvette, la collègue des Dombes qui s'inquiétait pour son docteur libanais, son fiancé submergé dans la guerre civile (2).

Rubis sur l'ongle ils m'ont payé, tous, sauf le prof de dessin technique... des lunettes, un collier de barbe, bachi-bouzouk (3), comment il s'appelait déjà !? Je ne veux pas pêcher par chauvinisme mais un collègue du Beaujolais qui proposait ses bouteilles n'a guère eu de succès non pour une question de qualité, mais pour le prix, je pense. Comme quoi, les gens du cru aussi benoîts que moi, trouvaient des vins honnêtes, pas encore assemblés au bénéfice exclusif du grand négoce...  
  
(1) Le noyau initial du village était constitué d’un ensemble de maisons jouxtant un château, détruit début 20ème siècle, sur l’emplacement actuel du jardin public et du monument aux morts, le tout autour de l’église. 

(2) la guerre civile va durer au moins jusqu'en 1990. Le conflit a-t-il eu des conséquences pour leur couple ? 
"... Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit..." Jacques Prévert, Joseph Kosma, Yves Montand. 

(3) un clin d'œil au capitaine Haddock et surtout pour répondre aux "bouquets bachiques"... Plus sérieusement, les bachi-bouzouks étaient des mercenaires au service des Turcs.