dimanche 20 février 2022

CHEMIN D’ÉCOLE (7) Depuis la côte cette fois...

Jean, le vigneron, mon grand-père paternel, est né le 4 juin 1897 à la métairie de La Pierre, domaine des Karantes, commune de Narbonne, en pleine Clape. Comme les enfants des châteaux de Tarailhan et Marmorières, administrativement sur le territoire de Vinassan, ceux des Karantes allaient à l'école à Fleury, la seule alors accessible, entre 1903 et 1910. 

J'ai essayé de refaire ce chemin d'école mais on dirait que certains chemins publics ne le sont plus... Arrangements passés entre la mairie et un gros acheteur terrien ? Des propos ont couru sous cape... Au moins que les chemins publics soient connus du grand public... En attendant peut-être d'essayer à nouveau, je me devais d'aller voir ce qui reste de ce lieu de vie ; avec les années qui passent, un jour ce ne sera plus possible. Ne voulant pas être celui qui a coupé le fil d'Ariane vers un passé familial à partager, je veux en témoigner déjà auprès des miens, auprès du plus grand nombre aussi, d'une communauté de destin, pour plus tard... Quant à ce que tous feront du témoignage, impliqués ou non à prendre puis à passer le relais : à eux de voir... 

Cette fois, depuis Saint-Pierre-la-Mer et la côte, au prétexte d'une balade aux oeils-de mer des Exals (1), cette incursion dans les terres travaillait trop ma conscience. 

Le vélo caché dans une garrigue haute aux airs de maquis, il s'agit de suivre en gros le lit asséché du ruisseau de St-Pierre en contournant deux mamelons de trente puis cinquante mètres où pousse une profusion de pins serrés qui ne grandiront pas. 

Ce chemin d'école nous a obligés à constater un égoïsme profond de propriétaires actuels... Avant, nous allions partout pour des petits profits naturels comme les poireaux, les asperges, les salades sauvages, les blèdes, les épinards, les guines, quelques figues ou amandes, des feuilles de mûriers, de la réglisse... Pas besoin, néanmoins, de clôture, de barbelés, pour respecter le cerisier, l'abricotier, les melons de quelqu'un, les "raisins bons", isolés dans les vignes. Certes, si la campagne réprouve les voleurs, les propriétaires n'étaient pas animés par cette arrogance de nantis envers celui qui passe. Aujourd'hui sont mal vus ceux qui n'apportent pas à leur commerce de vin, de miel ou d'huile... l'échange se fait moyennant espèces sonnantes. Cette tendance s'accompagne même d'abus sinon d'intentions de cet ordre si le chemin est libre par exemple et que l'occupant mitoyen pose pourtant un panneau ambigu derrière son grillage pour inciter à aller voir ailleurs, manière de finlandiser les abords. Ça m'agace d'évoquer ce côté désagréable qui altère la liberté d'aller, qui plus est lors d'un itinéraire sentimental. 




Ici, comme pour répondre à mes préoccupations, seul un panneau discret, haut sur la colline, indique le caractère privé des lieux. Rien sur le chemin pour interdire, dissuader, repousser, alors qu'on aborde les vignes. Il n'empêche, mieux vaut passer au large, longer la vigne, le bord de la garrigue, ne pas abuser. Au bout de la deuxième pièce du vallon, inattendu, surréaliste, un pont de pierre, superbe, qui ne dépareillerait pas pour un petit train. Mais là, saugrenu, servant un modeste chemin de terre vers les hauts de Saint-Pierre, révérencieux au point d'enjamber avec tant d'élégance l'oued qui lui ne peut impressionner que lors d'une tempête, un de ces aigats, épisode méditerranéen enroulant sa crosse d'intempéries violentes dans le sens inverse des aiguilles, déversant son déluge d'un coup, bloqué qu'il est par le rebord des Cévennes. 



Raisonnable, l'âge aidant, je ne me risque pas dans le lit de rochers à sec : en amont, un fouillis de broussailles opportunistes, là où l'eau s'est infiltrée et pour tout dire la frousse aussi soudaine qu'irraisonnée d'une vipère hallucinée dans un pays de couleuvres ! Rien d'autre à faire sinon me rabattre vers des chemins plus fréquentés. En effet, des promeneurs plutôt seniors, tout comme moi, échangent sur leurs balades, de vive voix. Vite, passons, juste un bonjour timide, je suis pour la discrétion. Il faut laisser le chemin à gauche qui va vers le domaine, une direction qu'eux ne craignent pas d'aborder, comme de plein droit. Vite vers des abords plus éloignés et tranquilles malgré les gros tuyaux de PVC gris qui serpentent, anacondas entre les touffes de romarin. Effet ou non du réchauffement climatique, du déficit hydrique : chaque pied de vigne a droit désormais à biberonner son goutte-à-goutte.            

 (1) je crois avoir écrit "yeux-de-mer" dans l'épisode 6.


mardi 15 février 2022

Dans le PARC & les abords d'un des CHÂTEAUX, balade & ballade.

 


"Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.../...
  Et la nuit seule entendit leurs paroles."
Colloque sentimental / Fêtes Galantes. Paul Verlaine.

 
Bien que non revêtue, avec cette passerelle, à gauche, qui donne sur le lotissement actuel, l'allée semble publique. Au fond, de grands arbres au-delà du parc, avec des arbres aussi beaux, un espace boisé, comme indépendant, comme rendu à la nature, laissé à sa poésie. j'aime l'idée que le propriétaire ne tenait pas à avoir des ares de blé ou du vignoble en plus. Quel âge peuvent-ils avoir, ces arbres ?

Avec les dépendances, écuries et bien plus tard la cave, lors du boum de la vigne, tous ces extérieurs devaient faire partie du château de Salles. A propos d'une origine plausible du nom du village, le francique "Saal", le germanique "sala » signifient "château, demeure fortifiée, manoir" (1). 
 
Par ailleurs, le poète, auteur et chercheur cultivé, Alexandre Macabiès, qui a si bien défendu notre langue, monté comme tant d'autres, pour raison vitale à Paris, lui, comme courtier en vins à Levallois-Perret Hauts-de-Seine, heureux de rentrer au pays (2) pas vieux encore, évoque l'existence passée de deux autres châteaux à Salles-d'Aude, celui de Maurel, un kilomètre au sud (XIV ou XVe siècle) et celui de Rouch (XVIIe s., en prolongeant après le cimetière neuf, en direction de Coursan par la plaine de l'Aude, mentionné seulement en tant que ferme dans le dictionnaire topographique de Sabarthès).   
 

 Délabré, ne barrant plus le passage, un vieux portail aux bandes de fers plats rivetées marquant une époque à présent introuvable, le web détournant nos demandes exclusivement vers des sites marchands... 
 

Pas de panneau, ma foi, la tentation d'une incursion pour un papi dissipé, se souvenant trop bien du galapiat qu'il fut, justifiant un tant soit peu sa mauvaise conscience puisque, finalement, ne faisant rien de mal, voulant seulement transmettre son petit "pas grand chose"... (3)
 
 
Autre grille en fer forgé, belle, d'avant Alazet et Guilleré, les maréchaux-ferrants sinon forgerons d'une époque plus contemporaine, disons. C'est étonnant qu'elle soit encore en place alors que tout se vole et se monnaye (j'ai vu, pour les gogos, les 4700 € demandés pour un portail de récupération !)... Cette jolie grille précède une brèche dans le mur du parc... à donner encore des idées aux galopins... 
 

Plus loin, à peine, un petit pont sur un ruisseau, des Fontanelles, précise l'IGN, toujours aussi fidèle auxiliaire. (à suivre)

(1) Mention du "Castrum de Salis 1322" dans le dictionnaire topographique de l'Aude de l'abbé Antoine Sabarthès en 1322. 
(2) "Escrivi coumo lou pople parlo, es per aco que me coumpreni" (J'écris comme le peuple parle, c'est pour cela que je me comprends / 1935) "... Siai tornat al pais "natal"..." / Al pè dal foc de mon ostal / Cigala Narbonesa n° 201-202, nov-déc 1934. 
(3)  "Hâte-toi, hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance." . - René Char (Commune présence).