vendredi 1 janvier 2021

BERGERS et TÉMOINS DE LA TRANSHUMANCE ANDORRANE.

Préalable : ci-joint la source principale  
 
http://garae.fr/Folklore/R52_147_148_AUTOMN_1972.pdf 
 
pour ceux qui m'en voudraient de plagier ou de paraphraser pour contourner les droits moraux des auteurs alors que le seul but est de témoigner et d'honorer la mémoire de ceux qui ont participé à cette transhumance ou qui en ont fait état de par leur profession ou leur curiosité intellectuelle. Et mieux vaut se fier au bon dieu qu'à Dedieu ! à ceux qui ont vu ces moutons plutôt qu'à ceux qui en parlent !
 
"Bergers et témoins", à moins d'être les deux, sinon, sans les premiers les seconds n'auraient rien eu sur le sujet... Les troisièmes ont eu le mérite de recueillir ces traces pour les transmettre. Sans eux, que saurions-nous, nous les quatrièmes, au bout de la relation, sur les premiers ? Et si nous rafraîchissions et prolongions un tant soit peu, est-ce que cela intéresserait le cinquième segment de l'arborescence, aujourd'hui sur son ordi ou son portable ? 
 
Farré Pierre d'après une photo (convertimage) de Noël Vaquié (Midi libre) et Revue Folklore 147-148 hiver 1972.

Les bergers : 
Farré Pierre, c'est lui sur le dessin d'après photo, est né en 1897 à Canillo (Andorre) dans une famille de neuf enfants. Dès l'âge de dix ans il accompagna un troupeau en Espagne. Quinze ans plus tard c'est en France qu'il transhume, amenant son troupeau autour d'Olonzac (Hérault). En Andorre, le droit d'aînesse empêchant le morcellement de la propriété, l'aîné est seul à hériter. Les cadets sont obligés de partir, souvent pour se louer en Catalogne ou en France : de jeunes "cabalers" venaient travailler la vigne vers Capestang et Béziers. Ils ne revenaient au pays qu'en été, pour les "festes major". Pierre fut d'abord berger pour son père, puis pour d'autres propriétaires avant de constituer son propre troupeau. Il a eu conduit des transhumances de 1100 bêtes. En 1972, il habitait dans l'Aude, du côté de Villefort... entre Puivert et Chalabre dans ce Quercorb des routes du mouton... 
En 1936, un berger espagnol qui travaillait pour un propriétaire de Soldeu amenait un des troupeaux du patron à Tournissan tandis que l'autre allait jusqu'à Oupia (Hérault). Déjà, à cause du peu de bénéfice, du manque de bergers, de la cherté de leurs salaires, les Andorrans préféraient se tourner vers l'élevage des juments poulinières (contribution de monsieur Puget à Tournissan). 

Les témoins directs (le second niveau) : 
Monsieur le directeur des Services Vétérinaires a transmis à M. J. Bernies qui lui même a communiqué les informations suivantes aux auteurs de cette étude (faut-il ajouter un niveau supplémentaire à notre arborescence ?). 
A savoir que les Services Vétérinaires prennent en compte la venue des troupeaux andorrans depuis 1922, qu'en 1948, notre département accueille près de 19.000 ovins et 440 caprins formant 110 troupeaux dont 60 descendus d'Andorre. En 1970, 10.400 ovins (70 % venus d'Andorre) transhumaient encore. La moitié de ces 110 troupeaux arrive jusque dans le Narbonnais. 
En plus de monsieur Puget déjà cité, les auteurs de l'étude remercient nommément les contributeurs Bouisset, Journet, Lacroux Revel, Taffanel, la revue "L'Agriculture Audoise" n° 46 de mars 1966, ainsi que le journal « Midi Libre » qui a permis l'illustration (3 articles sur la transhumance et la vie des bergers avaient paru dans ce journal les 4 et 5 septembre, 27 décembre 1971 sous la signature N. Vaquié). 

Lieux cités dans l'article / carte Geoportail.




jeudi 31 décembre 2020

"L'ANDOURRO ARRIBO" ! l'Andorre arrive ! Des moutons par milliers !

Après avoir suivi Marcel, entre Porté-Puymorens et Lézignan-Corbières, suite à une évocation de Victor Hugo, le lycée-caserne de Narbonne où les frères Torrès apportèrent l'air vif de l'Andorre et des Pyrénées ainsi qu'une envie de grands espaces, la revue FOLKLORE nous offre le détail d'une transhumance descendante, l'itinéraire des troupeaux venus hiverner dans notre Bas-Languedoc.

Articles en amont : 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/de-landorre-aux-pays-daude-hommes-et.html

 Cela nous est d'autant plus précieux que, concernant les troupeaux du Sud, presque la totalité des références, audiovisuelles, littéraires, avec Daudet, Giono, Bosco, Mauron... retracent les drailles et carraires de la grande migration ovine suivant le grand "S" formé par le cours de la Durance, de la Crau jusqu'aux Alpes. Une ligne de crêtes que la géopolitique a voulue frontière avec l'Italie mais dont l'Occitanie se rit, même pour les moutons puisque plus de la moitié des bergers étaient piémontais avec, pour langue maternelle, l'occitan des vallées ! Entre parenthèses, cette émigration transparait aussi dans l’œuvre de Pagnol avec par exemple les bouscatiers et charbonniers qui recueillent Manon dans le  cycle "L'Eau des Collines". 

Et d'autant moins de frustration qu'à trop fouiller et mettre au jour, la vulgarisation porte atteinte à l'enchantement. Autre parenthèse, je m'entends encore demander, en entrant le matin, dans le bruit ambiant de la classe qui sort ses affaires "Monsieur c'est quoi les Corbières ?" à brûle-pourpoint, à notre bon maître, monsieur Rougé qui, d'un beau sourire, a sûrement eu quelques mots pour me faire patienter et continuer à rêver, même si ma mémoire n'a gardé que son sourire pour réponse ! Aussi, dans les mystères des Corbières (près d'une vingtaine de pages à ce jour sur ce blog même) figureront désormais quelques jalons de cette transhumance descendante, juste de quoi aiguiser la curiosité des plus volontaires. Laissons venir à nous, dans le Quercorb, le Razès, le Val de Dagne, les garrigues du Minervois, jusqu'aux Corbières Orientales et les basses plaines de chez nous, ce "nomadisme assagi", pour reprendre les mots de Fernand Braudel.  

Cet article du numéro automne-hiver n°s 147-148 de la revue Folklore, on le doit à messieurs N. Vaquié et U. Gibert (l'Internet nous en dira-t-il davantage sur eux ?). 

L'Hospitalet-près-l'Andorre Place_Sainte-Suzanne wikimedia commons Author Olybrius

Début novembre, divers itinéraires répertoriés (les noms en majuscule marquent les étapes) : 

Tronçon commun :  L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE (1 jour), Ax-les-Thermes, col du Schioula, PRADES (2 jours).

Itinéraire 1 "de l'Hers-vif" :  Comus, FOUGAX (3j), Col du Teil, Rivel, Chalabre, FERME DU PAPE (4j), col de la Flotte, Courtauly, ALAIGNE (5j) puis les pacages du Razès (6 jours), ou du Carcassonnais sinon du Lauragais (jusqu'à 8 jours en tout). 

Itinéraire 2 "par les cols des Tougnets et du Paradis vers les Corbières sèches ": commun avec le 1 jusqu'au col du Teil puis Puivert, TOUGNETS(4 j), ESPERAZA (5 j), ARQUES,(6 j) MOUTHOUMET (7 j) et au-delà vers Durban, Portel ou Tuchan Fitou (jusqu'à 9 jours en tout)

Itinéraire 3 "du Minervois par les Corbières vertes de l'Ouest": commun avec le 2 jusqu'à ARQUES (6 j) puis MISSEGRE (7 j), La CAUNETTE (8 j), LA-BASTIDE-EN-VAL (9 j), MONTLAUR (10 j), COMIGNE (11 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 13 jours en tout).

Itinéraire 4 "du Pays-de-Sault au Minervois par les Corbières de l'Ouest" : commun avec le 1 jusqu'à PRADES (2 j) puis COUDONS (3 j), CAMPAGNE-sur-AUDE (4 j) et qui rejoint le 3 à ARQUES (5 j), MISSEGRE (6 j), La CAUNETTE (7 j), le Plateau de Lacamp, LA-BASTIDE-EN-VAL (8 j), MONTLAUR (9 j), COMIGNE (10 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 12 jours en tout). 

Itinéraires de transhumance d'après N. Vaquié et U. Gibert sur base de carte en gris de l'IGN.

L'Hospitalet-près-l'Andorre Chemin du Rey wikimedia commons Author Olybrius

Prolongements : 
 
Tronçon commun : L'HOSPITALET. Depuis Canillo et Soldeu, par le Port Dret, au plus court et malgré le col à plus de 2400 mètres d'altitude, les troupeaux rejoignent (22 km depuis Canillo, 15 depuis Soldeu) L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE où la douane française vérifie que les bêtes sont bien andorranes ainsi que les certificats (vaccinations faites trois semaines auparavant) avant de délivrer un laisser-passer et un acquit de pacage valable de six à huit mois. Le village est desservi par la ligne de chemin de fer Paris-La-Tour-de-Carol, gare "Andorre-l'Hospitalet" (l'Andorre a financé les 3/4 de la rénovation et organisé des navettes de bus entre les vallées et la France).
PRADES par Ax-les-Thermes et le Col du Chioula, soit 32.5 km (30 par Ignaux ou le ruisseau de Sorgeat qui coupe le long lacet en direction d'Ascou ?). Les bêtes sont parquées dans un enclos. Les bergers font étape dans une auberge ou une maison amie. 

Itinéraire 1 : 

La transhumance va rallier FOUGAX en suivant le cours de l'Hers-vif par Comus et les gorges de la Frau (13 % de dénivelé sur les 3 kilomètres les plus abrupts, canyon entre 300 et 400 mètres de profondeur).
Rivel "Rivelh de las semals" et "de las esquelhas" (Rivel des comportes et des sonnailles... où le grand-père de Dantoine, le dessinateur qui nous a laissés des Poilus formidablement de l'Aude, parlant languedocien, était esquélher). 
Chalabre, capitale du petit pays du Quercorb (ou Kercorb).
 
Itinéraire 2 : 
 
Puivert dont la rupture de la digue du lac (1289) causa une catastrophe à Chalabre et Mirepoix.   
Saint-Jean-de-Paracol, commune la plus pauvre de France en 2014 (les communes les plus pauvres étant audoises !). Momon Billès, pérignanais de Fleury, notre village, y était peut-être en tant que réfugié pendant la guerre. 
A ESPERAZA, jadis capitale du chapeau, les bêtes font halte dans la cour devant la gare ou la place.   
ARQUES (pas celui de la cristallerie... l'Aude a les communes les plus pauvres de métropole, doit-on le rappeler ? Les bêtes sont parquées dans un champ clôturé. Maison de Déodat Roché (1877-1978), historien du catharisme mais château de Gilles-de-Voisins, héritier d'un baron-colon du Nord, le château, déjà en 1280, contrôlait une voie importante de la transhumance, d'où les trois itinéraires encore empruntés au siècle dernier et qui font l'objet de notre sujet)...  
MOUTHOUMET qui ne forme plus un canton (il n'en reste que 19 sur 35 encore avant 2015). C'est aujourd'hui celui de... Fabrezan devenu celui des Corbières, énorme par sa superficie (1025 km2) mais d'une densité de population de seulement 16 habitants au km2. 
MOUTHOUMET comme Lanet, sont des toponymes liés à l'élevage du mouton. 
 
Itinéraire 3 : 

A MISSEGRE le troupeau reste sur la place. Il traverse des plateaux occupés par des pâtures entre des reliefs entre 600 et 878 m. au Milobre de Bouisse qui favorisent les précipitations dont la neige fréquente en hiver.
A La Caunette (aujourd'hui sur-Lauquet) on atteint les Petites Corbières Occidentales (400-600 m). L'étape est au moulin de la Caunette-Basse ou, deux kilomètres plus haut, à la Caunette-Haute.
Il reste néanmoins le Plateau de Lacamp (700 m.) qui domine à l'Est les gorges de l'Orbieu ainsi que l'avant-pays des Corbières et au Nord le Val-de-Dagne (de Diane à l'origine) coupé de la plaine viticole de l'Aude par le bourrelet de l'Alaric.
Étape à LABASTIDE-en-VAL.   

Itinéraire 4 : 
Depuis PRADES, ce trajet parcourt une partie du Pays de Sault (saltus = forêt en latin), à savoir le grand plateau, partant de 1245 mètres d'altitude pour arriver à COUDONS, après une étape de 28 kilomètres, à un peu moins de 900 mètres d'altitude (repos dans un champ clôturé). 
Pour rejoindre CAMPAGNE-sur-AUDE, le parcours évite de descendre directement sur la vallée de l'Aude à Quillan ; il contourne par Brenac et Lasserre (villages qui ont fusionné avec Quillan). 
 
"... Puis, tout à coup, vers le soir, un grand cri : "Les voilà !" et là-bas, au lointain, nous voyons s'avancer le troupeau dans une gloire de poussière..." Alphonse Daudet, Installation, Lettres de mon Moulin.