samedi 13 juin 2020

PARTIR (7) / Lisboa et l'ALCANTARA pas qu'une fois.

Suite de la lettre du 1er juin à ses parents et famille, entre l'escale de Vigo et celle de Lisbonne :

"... En ce moment, je vous écris du salon de repos de 2e classe.../... il est 11 heures du soir. La levée du courrier a lieu à minuit. Nous avons commencé le troisième jour à bord. Aucun de nous trois n'est malade. Nous nous reposons bien vraiment. Encore un détail : le prix du billet est de 252.900 francs..."  

Notes : 5749 € en équivalent pouvoir d'achat (2) ! Cela correspond à près de 10 mois de salaire pour un instituteur débutant célibataire (1) ! L'avion, certainement le très beau Constellation de Lookheed, cinq fois plus cher qu'aujourd'hui environ, doit être néanmoins d'un prix cinq fois moins cher que le bateau.

"Alcantara, le 3 juin 1953,
Bien chers parents,
Voici que s'achève notre quatrième jour à bord. Le bateau est magnifique et on ne sent pour ainsi dire rien car la mer est calme. Demain nous atteindrons Madère, puis ce seront les Canaries, après-demain (Las Palmas). De là nous n'aurons plus d'escale jusqu'à Pernambouc. Jean-François a trouvé un autre petit camarade de deux ans (un Anglais) et ils s'amusent ensemble. Avec Georgette, nous venons de faire quelques jeux de pont : jeu du palet, des anneaux de corde à jeter sur des tiges de bois... Comme autres jeux on trouve encore le ping-pong, le tennis de pont, le petit golf... Dans le salon de repos (avec bibliothèque) ou dans le bar-fumoir où la radio du bord diffuse des nouvelles en anglais, on trouve des jeux d'échecs, de dame, de bridge, de canasta et même de dominos. Je suis au salon-fumoir. On y trouve de petits bureaux très élégants, avec sous-main, porte-plume, encre noire, papier à lettres et cartes postales. Tout est meublé de façon splendide, en bois ciré, notamment du cèdre, fauteuils de cuir marron ou gris, en alternant, ventilateurs au plafond. Tout est illuminé à plein nuit et jour, et tout est neuf... Dans les couloirs sont affichés les plans des cabines, datés de 1952.
Hier nous étions à Lisbonne et avons visité la ville toute la matinée. La rade est fort jolie. Nous sommes allés jusque dans les vieux quartiers et comme à Vigo nous avons visité un marché. Il faisait un soleil splendide. Des femmes vendaient de magnifiques sardines bleues dans des paniers plats. Les maisons populaires étaient plutôt basses, et le quartier que nous avons visité s'appelait justement "Alcantara"...(3) 
François Dedieu / lettres et notes sur le voyage en bateau de 1953.


Je vous envoie par le même courrier une carte du paquebot. La croix indique notre cabine à bâbord, vers l'arrière, au-dessus du mât d'artimon du voilier. 

(1) http://www.numdam.org/article/JSFS_1954__95__109_0.pdf
(2) https://www.insee.fr/fr/information/2417794
(3) quartier repérable depuis 1966 grâce au pont suspendu "du 25 avril" anciennement pont Salazar.  

vendredi 12 juin 2020

PARTIR (6) / Beau comme un paquebot !

Bien sûr que c'est beau un paquebot ! Je ne parle pas de ces buildings flottants obèses et luxueux d'aujourd'hui qui emmènent des croisiéristes, je fais référence aux transports maritimes de passagers historiquement liés aux vagues migratrices et forcément aux colonisations s'agissant de maintenir les affaires et le lien avec les métropoles. L'échange de courrier motive même la création de la Royal Mail Steam Packet Company en 1839 pour desservir les Caraïbes et l'Amérique du Sud.

Royal_Mail_Lines_House_Flag.svg wikimedia commons Auteur Ayack and Greentubing (Crown of Saint Edward.svg).
Vivotant à la fin du XIXème, la compagnie se redresse (1920) jusqu'à devenir la plus importante suite au rachat de la White Star Line, liée au tristement célèbre Titanic. Condamnée pour des comptes falsifiés, l'entreprise est liquidée en 1931. Refondée en 1932, la Royal Mail Line est impactée par l'essor de l'aérien dès les années 50.
Elle n'a plus que deux unités sur la ligne de l'Amérique du Sud au lieu de quatre avant la guerre. Et en 1949, elle perd pour son voyage inaugural son plus moderne et récent navire, le Magdalena (11500 tonnes), ouvert sur les récifs de Tujica à quelques milles de la plage d'Ipanema (Rio de Janeiro) et qui, remorqué vers le port, a pourtant coulé dans la baie de Guanabara. 

Alcantara_à_Rio wikimedia commons Auteur Kenneth Shoesmith
Mais tout ça, je le sais en 2020, sinon que peut-on en connaître en 1953 ? Il n'empêche, un paquebot reste beau, ce qui relève et de l’esthétique et du rapport de l’homme à la mer, cela reste vrai soixante-sept ans plus tard. Et là, c'est l'ALCANTARA, 200 mètres de long, 24 de large, 22.209 tonnes de déplacement, 18 nœuds au maximum (mais le Ruban Bleu ne se joue que sur New-York), 1430 passagers dont 432 de 1ère classe, 223 de deuxième, 775 de troisième classe. Les flots d'émigrants cessent, les Etats-Unis devenant plus stricts sur la santé. La concurrence avec l'avion... Le chant du cygne pour de magnifiques paquebots, Queen Mary, Queen Elisabeth, Bremen, Europa, Aquitania et... Alcantara... 

82 de 1ère classe et 115 passagers de seconde classe figurent sur ce carnet. L'embarquement à Southampton ou à Cherbourg est précisé ainsi que la destination. Les passagers dont le billet a été pris plus tard n'y figurent pas. Des pages sont prévues à la fin pour les autographes.